France : une embellie durable ?

par Ludovic Martin, Economiste au Crédit Agricole

Des signes tangibles d’amélioration de la conjoncture sont perceptibles depuis quelques semaines (croissance du PIB, climat des affaires, marché du travail).

Ces données récentes suggèrent que les moteurs internes de la reprise sont plus dynamiques qu’initialement prévu dans notre scénario. Un cycle de reprise auto- entretenue semble se mettre en place.

Toutefois, plusieurs éléments viennent nuancer cette vision optimiste.

o Un certain nombre de facteurs temporaires soutiennent la croissance en 2017 : mesure de suramortissement, rebond du secteur du tourisme, de la production agricole et des exportations aéronautiques et navales. A priori ces facteurs ne joueront pas en 2018.

o L’environnement financier demeure favorable mais les taux d’intérêt à long terme et surtout l’euro amorcent une remontée.

o Certains freins à la croissance subsistent. La France pâtit toujours d’un déficit de compétitivité coût et hors coût. Par ailleurs, la nécessité de réduire le déficit public via des mesures d’écono- mies en dépenses peut également limiter l’expansion économique actuelle.

Ainsi, notre prévision de croissance est revue à la hausse pour 2017 compte tenu d’une dynamique interne plus favorable qu’initialement prévu et de phénomènes de rattrapages ponctuels. En revanche en 2018, la croissance n’accélèrerait pas. Nous retenons une croissance de 1,7% en 2017 et de 1,6 % en 2018.

Des signes tangibles d’amélioration de la conjoncture

– Les surprises favorables s’accumulent sur la conjoncture française

Croissance du PIB. Au T2, pour le troisième trimestre consécutif, le PIB progresse de 0,5% sur le trimestre, dépassant légèrement nos prévisions (+0,4% sur le trimestre). Ce chiffre laisse un acquis de croissance de 1,4% pour 2017 (c’est-à-dire avec une croissance nulle au T3 et au T4). Ainsi, la croissance en 2017 devrait atteindre un niveau inédit depuis 2012. En particulier, au deuxième trimestre, aussi bien la demande interne (hors stocks) que le commerce extérieur contribuent positivement à la croissance, de respectivement +0,4 et +0,8 point. Cette contribution favorable du commerce extérieur est liée au fort rebond des exportations (+3,1% après -0,7% au T1) et au net ralentissement des importations (+0,2% après +1,2%). La contribution des stocks est en revanche négative (-0,6 point, après +0,7 point au trimestre précédent).

Climat des affaires et confiance des ménages. Les enquêtes sur le climat des affaires de l’Insee sont nettement remontées depuis le début de l’année et restent bien orientées. En août, le climat des affaires s'améliore pour le quatrième mois consécutif pour atteindre 109 points, un plus haut depuis avril 2011, bien au-dessus de la moyenne de long terme (100). À noter que cette amélioration est visible dans l’ensemble des secteurs couverts par l’enquête (industrie, bâtiment, services, commerce de détail).

La confiance des ménages demeure également bien orientée en août, même si elle s’est légèrement effritée depuis juin, et se maintient au-dessus de sa moyenne de long terme, à 104 points. En particulier, les craintes liées au risque de chômage sont au plus bas depuis 2008. Le léger effritement est sans doute à attribuer aux élections, un phénomène similaire avait été observé en 2012.

Marché de l’emploi. Le marché de l’emploi connaît également une embellie. Après une hausse de 0,3% au premier trimestre, l’emploi salarié progresse de 0,5% au deuxième trimestre. Il s’agit du onzième trimestre consécutif de hausse. Sur un an, l’emploi salarié progresse de 1,5%. Cette amélioration est particulièrement marquée dans le secteur de l’intérim (un secteur qui constitue un indicateur avancé de la tendance du marché de l’emploi) ; hors intérim, la hausse au deuxième trimestre est de 0,3% sur le trimestre et 1,0% sur un an. À noter que le secteur de la construction amorce également une amélioration en créant modes- tement des emplois depuis deux trimestres, alors que le secteur était en contraction depuis 2008. Cette progression globale de l’emploi contribue au recul du taux de chômage, qui recule de 0,1 point au deuxième trimestre pour atteindre 9,2% en France métropolitaine, retrouvant le niveau de début 2012.

S’agit-il d’un retour de la confiance dans un cycle auto-entretenu en Europe et en France ?

En partie oui. En effet, en 2015-2016, la reprise de la croissance en France s’appuyait surtout sur une conjonction de facteurs externes favorables, avec un prix du pétrole bas, des taux de financement au plancher et un niveau de l’euro également favorable aux exportations. En 2017-2018, la croissance en France reposerait plus sur un redémarrage cyclique auto-entretenu. Les données récentes confirment une dynamique plus vertueuse. La hausse des profits, le niveau élevé des marges des entreprises, un climat des affaires plus favorable et le bas niveau des taux favorisent la reprise de l’investissement et de l’emploi, soutenant en retour la dynamique de la consommation. L’amélioration de la confiance et la baisse du taux de chômage pourraient aussi contribuer à une légère baisse du taux d’épargne des ménages également favorable à la consommation. Celle-ci entraîne de nouvelles créations d’emploi, le mieux sur l’activité favorise de nouvelles décisions d’investissement de la part des entreprises, etc. Ce cercle vertueux reste toutefois fragile. À la différence de l’Allemagne, les exportations ne participent que marginalement à ce redressement cyclique et la reprise de la demande intérieure profite en bonne partie aux importations.

Les données récentes tendent donc à montrer que les moteurs internes de la reprise sont un peu plus dynamiques qu’initialement prévu. Toutefois, plusieurs éléments conduisent à nuancer cette vision.

Des facteurs temporaires soutiennent la croissance en 2017

Un certain nombre de facteurs ponctuels, et donc par définition non durables, soutiennent la croissance en 2017. Mentionnons :

La mesure de suramortissement mise en place entre avril 2015 et avril 2017 a déclenché en début d’année un effet d’aubaine sur les dépenses en investissement, les chefs d’entreprises anticipant la fin de la mesure. L’acquisition d’un nouvel équipement industriel donnait droit à un avantage fiscal exceptionnel qui permettait de déduire de son résultat imposable 40% du prix de revient de ce bien.

Le secteur du tourisme, qui avait pâti d’une conjoncture difficile à la suite des attentats en 2016, connaît également une année de rattrapage. En 2016, le solde touristique (exportations – importations de biens et services dans le secteur du tourisme) s’était nettement dégradé, ôtant 0,2 point à la croissance au PIB. En 2017, on pourrait observer un retour à une situation plus favorable, le solde touristique ne pesant plus négativement sur la croissance. Au premier trimestre 2017, le redressement de la fréquentation dans les hébergements collectifs touristiques en France métropolitaine se confirme. Les nuitées progressent de 1,1% par rapport à la même période de 2016, après un rebond de 3,8% au quatrième trimestre.

La production agricole se redresse après une année de recul prononcé en 2016 en raison de conditions climatiques difficiles. La valeur ajoutée de la branche agricole (2% de la VA totale) avait reculé de 9,8% en 2016. En poursuivant sur son rythme de croissance actuel, elle augmenterait d’environ 6% sur un an en 2017, ajoutant 0,1 point de croissance au PIB.

Les exportations sont également ponctuellement soutenues en 2017 par un calendrier de livraisons de grands contrats aéronautiques et navals. À noter par exemple que les exportations ont été dopées au deuxième trimestre par les chantiers navals, STX France ayant livré un méga-paquebot sur cette période. Toutefois, les exportations françaises restent structurellement freinées par un déficit en matière de compétitivité.

Autre élément, qui peut tempérer l’optimisme actuel : l’évolution de l’environnement financier. Celui-ci reste certes accommodant avec un pétrole qui peine à remonter et des taux toujours très bas. Toutefois, l’impact de ces facteurs devait s’étioler progressivement. Nous prévoyons en effet une remontée du pétrole vers les 59 dollars le baril (Brent) fin 2018 ainsi qu’une modeste tension des taux OAT, atteignant 1,35% fin 2018, contre actuellement 0,7%. Par ailleurs, la hausse récente de l’euro, liée en partie à de meilleures anticipations sur les perspectives de croissance en zone euro, pourrait rogner une partie de la compétitivité prix des produits français, pesant sur les perspectives d’exportation. Notre scénario fait l’hypothèse d’un taux de change euro/dollar de 1,21 fin 2018 (contre 1,19 actuellement). Selon le modèle Interlink de l’OCDE, une appréciation de l'euro de 10% par rapport à toutes les monnaies entraîne une perte de croissance du PIB de 0,5% la première année et la deuxième année(1). Depuis début 2017, la hausse du taux de change effectif nominal est de l’ordre de 5%, cela représenterait donc environ 0,2-0,3 point de croissance par an, mais l’effet serait en partie compensé par la reprise du commerce mondial.

Enfin, les handicaps plus structurels de l’économie française continuent de peser sur les perspectives de croissance. La France pâtit toujours d’un déficit de compétitivité coût et hors coût, ce dont témoigne notamment le solde du commerce extérieur de marchandises. Le déficit cumulé des 12 derniers mois (de juillet 2016 à juin 2017) atteint 59,8 milliards d’euros, contre 50,2 milliards pour l’année 2016. Par ailleurs, la nécessité de réduire le déficit public via des mesures de restrictions budgétaires peut également limiter en partie l’expansion économique actuelle. L’assainissement budgétaire va se poursuivre en 2018 : un plan massif de baisses d’impôts et de charges à hauteur de 15 milliards d’euros est annoncé, mais dans le même temps 20 milliards d’euros d’économies en dépense seraient mis en place, soit un effet net sur la croissance légèrement négative, au moins à court terme. Une baisse de la consommation ou de l’investissement des administrations publiques a un effet direct sur le PIB. En revanche, l’effet d’une baisse d’impôts est moins immédiat et amorti par une hausse de l’épargne (pour les ménages) et le contenu en importations de la demande. En revanche, à moyen terme, les mesures fiscales jouent davantage et tendent à améliorer la croissance potentielle.

Par conséquent, il paraît vraisemblable que l’essentiel des bonnes surprises conjonc- turelles soit passé, et que la croissance aura du mal à se maintenir sur le même rythme au cours des prochains trimestres.

Notre scénario pour 2017-2018

Notre prévision de croissance est donc revue à la hausse pour 2017 compte tenu d’une dynamique interne un peu plus favorable qu’initialement prévu et de phénomènes de rattrapage ponctuels. En revanche, en 2018, la croissance n’accélèrerait pas. Nous tablons sur une croissance de 1,7% en 2017 et de 1,6 % en 2018. Cette croissance proviendrait essentiellement de la demande intérieure hors stock, avec une contribution favorable de l’investissement et de la consommation. À l’inverse, la contribution du commerce extérieur resterait quasi nulle sur la période.

NOTES

  1. Les effets de l’appréciation de l’euro sur l’économie française, Franck Cachia, juin 2008.

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