Faut-il craindre en bourse un choc chinois comme en janvier 2016 ?

par Christopher Dembik, Responsable de la recherche macroéconomique chez Saxo Bank

Fin novembre, les marchés boursiers chinois ont connu une forte baisse du fait d’inquiétudes sur la dynamique de croissance de la Chine. Les craintes se sont rapidement dissipées à la suite de la publication des données étonnamment bonnes sur les exportations de la Chine et des principales mesures prises aux États-Unis en vue de l'adoption de la réforme fiscale. Cependant, certains investisseurs considèrent cette baisse constitue le signe avant-coureur qu'un nouveau choc vient d'Asie. Au cours des trois dernières années, la Chine a causé plus d’une fois des sueurs froides aux investisseurs, ce qui est une conséquence de l'intégration plus importante du pays dans le système financier mondial.

Le pays a été à l’origine des deux dernières corrections boursières mondiales en 2015 et 2016. En janvier 2016, l'indice Shanghai Stock Exchange Composite a chuté de 19%, provoquant ainsi une correction mondiale qui a duré près de deux mois. Les marchés devraient-ils craindre une nouvelle réplique chinoise en 2018 ? La probabilité est élevée que cela se reproduise prochainement. Cela dit, plusieurs facteurs pourraient atténuer ce risque.

Quels sont les principaux risques financiers et macroéconomiques associés à la Chine ?

– L'économie de la Chine se dirige vers un ralentissement plus marqué que ne le croient les investisseurs. Le resserrement monétaire et fiscal post-Congrès n'est pas nouveau. De septembre à il y a quelques semaines, l'indice de surprise économique de la Chine était négatif. Les données d'activité de la Chine pour le marché immobilier, l'industrie, les services, la construction et l'investissement sont toutes en baisse suite au Congrès et aux mesures prises pour réduire les surcapacités. Ce qui est plus surprenant, c'est le nombre de projets d'infrastructure arrêtés ou annulés du jour au lendemain suite à la volonté clairement affichée par l’exécutif chinois de se concentrer sur une croissance qualitative et non plus uniquement quantitative (par exemple les projets de métro en Mongolie intérieure). Il y aura des effets d'entraînement négatifs sur le secteur privé, puisque la plupart des projets en Chine reposent sur des partenariats publics-privés. En fin de compte, c’est la croissance qui risque d’en pâtir puisque les projets d'infrastructure représentent environ 20% du total des investissements en immobilisations. La contraction du Credit Impulse (qui mesure le flux de nouveaux crédits émis par le secteur privé en % du PIB) couplée à une baisse des investissements dans les infrastructures ouvre la voie à un ralentissement inévitable qui sera probablement plus important que prévu. En outre, des signes de contagion du ralentissement chinois commencent déjà à se matérialiser ; d'abord en Australie ainsi qu’à Hong Kong. L'indice du volume des échanges de marchandises de Hong Kong, qui sert de bon indicateur du commerce chinois en raison de sa position portuaire intermédiaire, est orienté à la baisse depuis le début de l'année. Bien que cela ne soit pas encore inquiétant, cela constitue un signe précoce que l'économie mondiale sera confrontée à des tendances contraires très bientôt.

– Le niveau d'endettement des entreprises n'est pas très élevé (46,2% du PIB au T2 2017) mais le ratio du service de la dette du secteur privé augmente rapidement. D'une certaine manière, c'est un risque caché car il est très rarement mentionné lors des discussions sur les risques financiers en Chine. Sur la base des données de la BRI, le ratio du service de la dette du secteur privé atteint le niveau record de 20% contre seulement 11,7% en 2008. Malgré le désendettement, cette tendance devrait se poursuivre au moins à moyen terme. Ce niveau est préoccupant car il implique que le secteur privé consacrera une part de plus en plus importante au remboursement de la dette au détriment de l'investissement et des salaires dans un contexte défavorable de croissance plus lente. Une tension durable sur les taux d'emprunt pourrait déclencher des faillites qui affecteraient d'abord les secteurs en surcapacité, nécessitant une intervention de l'État pour éviter la contagion aux quatre grandes banques systémiques du pays.

– À notre avis, la libéralisation financière est le principal défi à long terme pour la Chine et l'économie mondiale. Le calendrier reste encore incertain mais des changements substantiels sont attendus dans les années à venir (par exemple, les investisseurs étrangers seront autorisés à détenir une part majoritaire dans les institutions financières du pays alors que, jusqu'à présent, ils ne peuvent pas détenir une part supérieure à 20% pour les banques). Ce big bang financier aura certainement autant de conséquences positives à long terme pour le monde que la politique de « porte ouverte » de Deng Xiaoping. Cependant, cela augmentera également le risque macro-financier global associé à la Chine. Jusqu'à présent, le ralentissement économique de la Chine a affecté le reste du monde principalement par les canaux du commerce et de la monnaie. Une fois la libéralisation financière effectuée, la Chine affectera également le reste du monde à travers les banques et l'intermédiation financière, ce qui posera un risque systémique important en cas de ralentissement beaucoup plus conséquent que prévu ou lorsque le prochain cycle de prêts non-performants commencera. Historiquement, la libéralisation financière a été un catalyseur crucial dans le processus d’éclatement des crises financières dans les pays émergents. Il est évident que la Chine a un certain nombre de points forts que les autres pays émergents n'ont pas. Cependant, le risque est important que ce processus de libéralisation conduise à un financement spéculatif plus élevé, augmentant ainsi la probabilité de défaillance de l'emprunteur, dans un contexte d'endettement très élevé. Les autorités comprennent parfaitement ce risque, comme l'a prouvé le discours de Xi Jinping lors du 19ème Congrès du Parti Communiste, ce qui explique pourquoi la Chine a fait le choix du désendettement, rapidement, mais prudemment.

Qu'est-ce qui pourrait atténuer le risque chinois ?

– En 2015 et en 2016, les craintes à l'égard de la Chine étaient principalement axées sur les sorties de capitaux et la dévaluation du yuan. Depuis lors, ces craintes ont disparu, principalement en raison d’un contrôle des capitaux bien plus efficace. Ainsi, les interventions sur le marché des changes de la PBoC ont été considérablement réduites en 2017. Pour la première fois depuis la crise financière mondiale, la banque centrale n'est pas intervenue sur le marché en octobre dernier. Le mois suivant, l'intervention sur le marché est restée marginale : les achats nets / ventes nettes de devises de la PBoC n'ont été que de 10 milliards USD. Un autre signe de meilleure stabilité financière est que l'écart entre le yuan onshore et le yuan offshore, qui s'est creusé en 2014 et 2015 déclenchant une forte dévaluation, a complètement disparu depuis le premier trimestre de 2016. Enfin, la PBoC a également réussi à reconstituer ses réserves de change depuis le début de l'année. Elles atteignent 3,12 milliards d’USD en novembre. Tous ces éléments indiquent une meilleure stabilité financière et un contrôle plus efficace de la banque centrale sur le marché monétaire. Cela dit, la question émergente pour la Chine n'est pas tant la fuite des capitaux mais plutôt le rapatriement du capital détenu par les firmes multinationales chinoises à l’étranger, ce qui constitue une perte sèche à long terme au niveau des capacités d'investissement et pour la croissance de la Chine.

– La consommation reste une source stable de croissance qui peut compenser, au moins dans une certaine mesure, la décélération de l'investissement et de la construction. Le sentiment des consommateurs est au plus haut niveau depuis la fin de 1996 en raison de l'amélioration des conditions du marché du travail et de la forte croissance des salaires. Depuis 1999, la croissance des salaires a considérablement augmenté, tant en termes réels que nominaux, et dans des proportions bien plus élevées que dans les autres grands pays en développement. Au cours de la période débutant en 1999, la croissance des salaires nominaux a presque toujours été supérieure à 10% en glissement annuel. Elle a récemment légèrement décéléré pour atteindre 9,1% en termes nominaux et 6,9% en termes réels en 2016. Associée à une inflation faible, l'augmentation des salaires est un élément positif à long terme qui peut permettre d’atténuer les risques financiers précédemment évoqués.

– Le désendettement financier est en cours. Depuis la mi-2016, l’évolution des prêts en faveur des institutions financières non bancaires est négative. En octobre 2017, la proportion de prêts accordée a chuté de 33% par rapport à octobre 2016. C'est une conséquence directe du resserrement des conditions monétaires et d'une réglementation plus stricte. La PBoC a relevé les taux deux fois cette année pour les facilités de crédit à moyen terme et devrait suivre cette voie l'année prochaine. Parallèlement à ces mesures, le régulateur chinois a également pris des mesures convaincantes afin de mieux réguler les produits de gestion de fortune, via notamment l’introduction d’un ratio de levier standard et d’autres mesures pour limiter le risque qui devraient être pleinement mises en œuvre d'ici 2019.

– Cependant, le risque associé à la dette chinoise reste un sujet de préoccupation majeur pour les investisseurs, ce qui conduit à des rendements obligataires plus élevés au cours des derniers mois. Il a poussé le taux à 10 ans près d'un sommet de trois ans, à environ 4%, contre un plus bas de 2,6% en 2016. Pourtant, il existe des facteurs atténuant le risque. Le gouvernement chinois est un important détenteur direct et indirect de dette privée (via les grandes banques et les entreprises publiques qui représentent environ les deux tiers de la dette totale des entreprises) et, dans le pire des cas, le taux élevé d'épargne brute (environ 50% du PIB contre 17% du PIB aux États-Unis) offre un coussin de sécurité sur lequel le gouvernement peut compter. Jusqu'à présent, seule une partie marginale de la dette publique est détenue par des investisseurs étrangers (environ 1%), limitant ainsi le risque de contagion financière. Le niveau élevé de la dette commencera en fait à représenter un risque global une fois que la libéralisation financière aura eu lieu. Même les plus optimistes à propos de la Chine ne peuvent pas exclure que la libéralisation entraînera probablement des chocs financiers mondiaux plus fréquents dus à la Chine, à travers l'intermédiation bancaire et financière. Les investisseurs doivent s'habituer à ce que la Chine soit une zone d'instabilité financière dans les prochaines années. La question en suspens est de savoir quelle sera l'ampleur de ces chocs et si l'économie mondiale, déjà lourdement endettée et confrontée à une croissance molle, sera capable de contenir la vague négative.