Brexit, phase 2

par Catherine Stephan, Economiste chez BNP Paribas

Le Conseil européen a estimé que les discussions entre le Royaume-Uni et la Commission européenne sur les conditions de sortie de ce dernier de l’Union européenne avaient suffisamment avancé pour enclencher une nouvelle phase.

L’accord de retrait définitif devrait inclure les modalités de la phase transitoire ainsi qu’une déclaration politique définissant les contours des futures relations commerciales entre le Royaume-Uni et l’UE.

L’UE souhaite que les contours de l’accord commercial avec le Royaume-Uni soient similaires à ceux de l’accord conclu avec le Canada, en raison du souhait du Royaume- Uni de quitter le marché unique.

Le Royaume-Uni souhaite un accord commercial qui prendrait davantage en compte le secteur des services.

Le Conseil européen1 a estimé, lors de sa réunion des 14 et 15 décembre 2017, que les discussions entre le Royaume- Uni et la Commission européenne (CE) sur les conditions de sortie de ce dernier avaient suffisamment avancé pour enclencher une nouvelle phase de discussion sur la période de transition et les relations futures entre le Royaume-Uni et l’Union européenne. 
En effet, le Royaume-Uni et la CE, qui ont entamé les négociations le 17 juin 2017, sont parvenus à un accord sur trois thèmes cruciaux pour les Européens : les droits des citoyens européens résidant au Royaume-Uni et ceux des Britanniques installés sur le sol européen, le cas particulier de l’Irlande du Nord et le règlement financier.

Phase 1 : accord a minima sur les conditions de sortie

– Protection des citoyens européens et britanniques

Le rapport conjoint produit, le 8 décembre 2017, par les négociateurs de la Commission européenne et ceux du gouvernement britannique stipule que le Royaume-Uni s’engage à garantir le respect de la législation européenne, toute leur vie durant, aux citoyens européens ainsi qu’aux membres de leur famille vivant légalement au Royaume-Uni, avant la date de sortie du pays ou avant la fin d’une période de transition durant laquelle la libre circulation des personnes serait assurée. Ils pourront ainsi jouir de leur droit à la santé, à la retraite et des autres prestations de sécurité sociale. Les Britanniques résidant au sein de l’UE bénéficieront des mêmes prérogatives. Le rapport conjoint prévoit également que les procédures administratives soient peu coûteuses et simples pour les citoyens de l'UE résidant au Royaume-Uni.

La législation britannique devra être modifiée à cet effet. Elle devra, en particulier, intégrer les droits des citoyens européens en faisant directement référence à l’accord de retrait. Les cours et tribunaux britanniques devront par ailleurs prendre en compte la jurisprudence de la Cour de justice de l’UE (CJUE) après la date de sortie du Royaume-Uni de l’UE, et ce pendant huit ans à compter de l’entrée en vigueur de la section traitant des droits des citoyens. Ils devront également prendre en considération les décisions pertinentes de la CJUE après le retrait ou à la fin de la période de transition. L’accord envisage, par ailleurs, de permettre au gouvernement britannique et à la Commission européenne d’intervenir, le cas échéant, devant la CJUE ainsi que devant les cours et tribunaux britanniques.

– Maintien de la coopération entre la république d’Irlande et l’Irlande du Nord

Ce sujet a été l’objet d’un vif débat lors des négociations sur les conditions de sortie du Royaume-Uni de l’UE. La première ministre britannique Teresa May a, notamment, dû répondre aux inquiétudes des unionistes du DUP (Democratic Unionist Party), lesquels, pourvus de dix sièges à la Chambre des communes, lui offrent une majorité.

Le respect de l’accord de paix pour l’Irlande du Nord du 10 avril 1998, aussi appelé « accord du Vendredi saint » ou « accord de Belfast », pierre angulaire de l’accord entre le Royaume-Uni et l’UE, crée, en effet, une ambiguïté.

Le Royaume-Uni considère l’Irlande du Nord comme partie intégrante du pays, et à ce titre s’engage à ce qu’aucun nouvel obstacle règlementaire ne voit le jour entre l’Irlande du Nord et le Royaume-Uni. Le Royaume-Uni continuera ainsi à assurer aux entreprises du nord de l’Irlande un accès libre et inconditionnel à la totalité du marché intérieur britannique.

Le Royaume-Uni s’engage parallèlement à ce qu’aucune frontière physique ni qu’aucun contrôle ou vérification ne soient érigés entre l’Irlande du Nord et la république d’Irlande. Le Royaume-Uni s’engage à respecter l’intégration de l’Irlande au marché intérieur européen et à l’union douanière ainsi qu’à préserver la participation de l’Irlande du Nord à ce marché. En l’absence d’accord commercial entre l’UE et le Royaume-Uni, celui-ci s’engage donc à aligner ses règles sur celles du marché intérieur européen et de l’union douanière2. Les échanges entre le Nord et le Sud seraient en effet mis à mal si la régulation britannique différait trop de celle de l’UE et donc de la république d’Irlande. De même, la zone commune de voyage (ZTA ou Common Travel Area, CTA), qui permet au Royaume-Uni, à l’Irlande, à l’île de Man et aux îles anglo-normandes de réduire les contrôles aux frontières des citoyens britanniques et irlandais, devrait être préservée. Les effets de cet accord de principe, lequel prévaut sur l’accord commercial qui pourrait être conclu à l’avenir entre le Royaume-Uni et l’UE, demeurent donc équivoques. Cette ambivalence a d’ailleurs suscité l’intérêt d’autres régions britanniques. Le souhait du Royaume-Uni de faciliter la coopération entre le sud et le nord de l’Irlande et donc l’UE a, en effet, suscité l’intérêt de l’Ecosse et de Londres qui souhaiteraient bénéficier des mêmes prérogatives que l’Irlande du Nord.

– Entente sur le règlement financier

A l’issue d’âpres discussions, le Royaume-Uni et la Commission européenne sont parvenus à régler leur différend financier. Ils ont en particulier listé les éléments à intégrer au règlement financier, déterminé le mode de calcul et défini les modalités de paiement. Ils se sont par ailleurs mis d’accord sur la façon dont le Royaume-Uni allait continuer de participer, jusqu’à leur échéance, aux programmes du cadre financier pluriannuel 2014-2020 et à plusieurs fonds européens. Il en résulte que le Royaume-Uni continuera à participer au budget européen jusqu’en 2020. Les Britanniques devront également verser leur part aux montants engagés et non encore payés, appelés « engagements restant à liquider » (ou « RAL ») du budget de l’UE. Le Royaume-Uni devra par ailleurs, au moment de sa sortie, offrir à la Banque européenne d’investissement (BEI) une garantie d’un montant égal au capital exigible. Cette garantie diminuera ensuite progressivement à mesure que le stock des opérations sera amorti.

Selon cette méthodologie, le Royaume-Uni devrait ainsi verser entre EUR 40 et 60 mds. Toutefois, aucun chiffre officiel n’a été communiqué. Le calendrier des versements ainsi que leur montant exact ne seront fixés qu’au moment de la sortie effective du Royaume-Uni de l’UE.

Phase 2 : négociation très ardue du cadre des relations futures

Le Royaume-Uni et l’UE sont parvenus à s’entendre sur d’autres sujets tels que la coopération policière et judiciaire, les problématiques autour de la coopération européenne en matière de nucléaire civil grâce au programme Euratom, la libre circulation des biens mis sur le marché avant le retrait.

Le Royaume-Uni et la Commission européenne doivent cependant apporter des précisions, et traduire en termes juridiques leurs engagements respectifs avant de parvenir à un accord de retrait définitif. Celui-ci devrait par ailleurs inclure les modalités de la phase transitoire et sera accompagné d’une déclaration politique définissant les contours des futures relations commerciales du Royaume-Uni et de l’UE. Autant de sujets qui seront traités lors de la seconde phase de discussion.

– Une phase de transition de près de deux ans

L’UE et le Royaume-Uni semblent s’accorder sur la durée, de près de deux ans à compter du 29 mars 2019, de la phase de transition. Toutefois, les exigences de l’UE suscitent certaines réserves chez les Britanniques. L’UE exige, en effet, que le Royaume-Uni continue, durant la période de transition, à respecter l’ensemble du droit européen ainsi que la compétence de la CJUE sans, pour autant, pouvoir participer aux prises de décision des institutions, organes et organismes de l’UE. Le Royaume-Uni devra également appliquer automatiquement les modifications de l’acquis. Le Royaume- Uni, qui continuerait alors à participer au marché unique et à l’union douanière, devra donc respecter l’indivisibilité des quatre libertés du marché unique, à savoir la libre circulation des biens, des services, des capitaux et des personnes, et se conformer à la politique commerciale de l’UE.

– Dissensions autours des contours des futures relations commerciales entre le Royaume-Uni et l’UE

Le Conseil européen devrait adopter ses orientations sur les futures relations commerciales en mars 2018. Toutefois, le Royaume-Uni et l’UE pourront seulement définir, au cours de cette deuxième phase de négociation, les grands principes d’un accord commercial. Les détails de cet accord pourront seulement être négociés, et l’accord conclu, lorsque le Royaume-Uni aura officiellement quitté l’UE. La seule définition des contours devrait être cependant l’objet de négociations difficiles. La Commission européenne et le gouvernement britannique ont, en effet, exprimé des points de vue divergents. L’UE souhaite que les contours de l’accord commercial entre le Royaume-Uni et l’UE soient similaires à ceux des accords conclus entre l’UE et le Canada ou le Japon en raison du souhait du Royaume-Uni de quitter l’union douanière et le marché unique.

Un accord semblable à l’Accord économique et commercial global (AECG, ou CETA) conclu entre l’UE et le Canada, et entré provisoirement en vigueur le 21 septembre 2017, peut en effet répondre à certaines attentes du Royaume-Uni. Il n’inclut pas la liberté de circulation des personnes à la différence de l’Association européenne de libre-échange (AELE)3, et prévoit à terme la suppression presque totale des droits de douane sur les produits industriels, l’élimination de nombreuses barrières non tarifaires et une reconnaissance mutuelle des certificats d'évaluation de la conformité dans un certain nombre de domaines. De plus, un accord semblable au CETA faciliterait l’entrée temporaire de certains travailleurs qualifiés sur le territoire respectif du Royaume-Uni et de l’UE. Cet accord garantit en outre une plus grande libéralisation du marché des services.

Le Royaume-Uni est cependant plus ambitieux, et souhaite un accord commercial qui prendrait davantage en compte le secteur des services. Les apports du CETA sont en effet limités dans ce domaine. Un tel accord n’offrirait pas l’accès au passeport européen aux services financiers britanniques, et leur vente dans toute l’UE4. Le secteur des services est pourtant primordial. Il représentait en effet près de 40% des exportations britanniques à destination de l’UE au cours des trois premiers trimestres 2017. Il est en outre le seul poste de la balance courante à dégager un excédent, grâce principalement aux services financiers.

Les négociations s’annoncent donc délicates alors que le Royaume-Uni et l’UE doivent parvenir à un accord de retrait définitif d’ici octobre 2018, afin de laisser le temps au Conseil de l’UE ainsi qu’aux parlements européen et britannique de l’approuver. Ils disposeront également de peu de temps pour parvenir à un accord commercial. La phase de transition devrait en effet s’achever le 31 décembre 2020, date à laquelle le budget pluriannuel 2014-2020 arrivera à échéance. En outre, les élections européennes de 2019 pourraient contrarier les négociations.

La négociation pourrait prendre moins de temps que de coutume pour ce genre de partenariats. Cela fait en effet des années que le Royaume-Uni échange librement avec l’UE, et applique la législation européenne. Toutefois, la négociation d’un futur partenariat commercial en l’espace de seulement deux ans sera un exercice ardu compte tenu des délais généralement nécessaires à la conclusion de tels accords. Un accord commercial semblable au CETA devra par ailleurs obtenir l’aval des parlements nationaux, nécessaire pour les accords mixtes incluant des dispositions autres que spécifiquement commerciales, telles qu’un système juridictionnel des investissements (Investment Court System, ICS) destiné à résoudre les litiges entre les États et les investisseurs. En effet, seule la ratification d’un accord exclusivement commercial nécessite « uniquement » l’aval du Conseil de l’UE et du parlement européen, en raison de la compétence exclusive de l’UE en la matière.

Il est donc probable que la ratification d’un accord entre l’UE et le Royaume-Uni, semblable au CETA, relève également de la compétence des Etats membres, rallongeant d’autant les délais de mise en œuvre complète d’un tel accord.

NOTES

  1. Le Conseil européen réunit les chefs d’Etat et de gouvernement de l’UE.
  2. L’Irlande du Nord a négocié un alignement règlementaire plutôt que l’absence de divergence règlementaire, laquelle aurait nécessité la reconnaissance des règles du marché unique européen.
  3. L’AELE réunit l’Islande, la Norvège et le Liechtenstein.
  4. Ce passeport, également appelé « agrément unique », permet aux établissements de crédit, de paiement, de monnaie électronique, ainsi qu’aux entreprises d’investissement ou d’assurance de l’Espace économique européen (EEE) de vendre leurs produits et leurs services, et aux entreprises de s’établir librement sur l’ensemble de cet espace dès lors qu’elles ont obtenu un agrément de l’autorité compétente dans leur pays d’origine.

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