Allemagne : tourner la page des années Merkel

par Philippe Vilas-Boas, Economiste au Crédit Agricole

Les partis politiques traditionnels allemands ne cessent d’être bousculés depuis le début du quatrième mandat d’Angela Merkel. Former une coalition a été fastidieux et celle- ci n’est plus plébiscitée dans les urnes. Les trois principaux partis perdent à chaque nouvelle élection locale davantage de voix. Angela Merkel en a tiré les conclusions et a annoncé son retrait progressif du monde politique. Si elle abandonne dès le mois prochain son poste de chef du Parti conservateur (CDU), elle devrait cependant rester chancelière jusqu’à la fin de son mandat si le parlement n’exerce pas un vote de défiance à son encontre.

L’élection du nouveau président de l’Union chrétienne-démocrate (CDU) s’organise autour de huit conférences régionales au cours desquelles les candidats pourront se présenter. Ce sont ensuite les mille délégués du parti qui auront la responsabilité de choisir la nouvelle orientation du parti et le chef de file de celui-ci. Annegret Kramp- Karrenbauer et Friedrich Merz ressortent comme les grands favoris des derniers sondages avec une légère avance pour Madame Kramp-Karrenbauer.

En cas de victoire de cette dernière, la coalition actuelle ne devrait pas être perturbée et Angela Merkel serait vraisem- blablement maintenue à la chancellerie. Dans le cas d’une victoire de Monsieur Merz, la CDU adopterait un tournant plus libéral qui ne s’accorderait pas avec le partenaire social-démocrate, conduisant à une rupture probable de la coalition. La recherche d’une coalition Jamaïque avec les libéraux et les Verts serait alors la seule issue pour éviter de nouvelles élections anticipées. Dans ce dernier cas, le départ de la chancelière serait alors avancé dans le temps.

Une grande coalition fragilisée et la perspective du retrait d’Angela Merkel

Le quatrième mandat de la chancelière avait commencé sous de biens mauvais auspices avec un premier échec dans la formation d’une coalition des conservateurs (CDU-CSU) avec les libéraux et les écologistes (la coalition « Jamaïque »). L’actuelle grande coalition avec les sociaux- démocrates avait ensuite été conclue au prix d’un laborieux processus de négociation où chacun décrochait une mesure symbolique visant à satisfaire son électorat : allégements d’impôts de 10 Mds € pour la CDU, limitation du nombre de réfugiés dans une fourchette de 180 000 à 200 000 personnes par an pour la CSU, maintien du taux de remplacement des pensions à 48% sans hausse du taux de cotisation pour le SPD. Cet assemblage hétéroclite de mesures extraites des programmes de chacun des partis ne satisfait finalement pas les électeurs qui ressortent déçus du décalage entre les promesses faites et l’accord signé par leur parti.

De plus, l’opposition constante entre la chancelière et son ministre de l’Intérieur sur la question de l’immigration a ruiné tout espoir de fédérer les trois principaux partis autour de cette coalition. Les dernières élections régionales en Hesse et en Bavière n’ont fait que mettre en lumière le délitement des partis de la coalition au pouvoir. Les résultats issus des urnes sont sans appel. L’Union des conservateurs (CDU et CSU) a perdu plus de 15 points depuis 2013 et les sociaux-démocrates 11 points. Seuls les Verts et l’AfD progressent dans les scrutins. Face à ces résultats désastreux, Angela Merkel a annoncé fin octobre renoncer au poste de chef du Parti conservateur (CDU) en décembre prochain à l’issue du Congrès du Parti ; elle était présidente de la CDU depuis avril 2000. Elle a déclaré néanmoins souhaiter rester chancelière jusqu’à la fin de son mandat en 2021, date après laquelle elle se retirera de la vie politique.

– Angela Merkel, peut-elle rester à son poste de chancelière sans être la leader de la CDU ?

Dans la mesure où elle a été élue par le Parlement, Angela Merkel est en droit de rester à son poste de chancelière jusqu’à la fin de son mandat, sauf si le président fédéral, Franck Walter Steinmeier, décide de dissoudre le Bundestag à la suite d’un vote de confiance qui mettrait la chancelière sur la sellette. Pour le moment, un vote de défiance à l’égard de la chancelière paraît peu probable, d’autant que celle- ci bénéficie encore d’un large soutien dans les sondages. En effet, selon une enquête du 9 novembre (politbarometer), 78% des Allemands estiment que la décision de la chancelière de quitter son poste de chef de parti est une bonne chose, contre 18% qui la désapprouve. Une large majorité de 63% pense également qu’elle devrait rester à la chancellerie jusqu’à la fin de son mandat contre 34% s’y opposant. Son maintien à la chancellerie dépendra donc principalement des relations qu’elle entretiendra avec le futur leader de la CDU qui devrait être élu le 9 décembre prochain à Hambourg.

L’élection d’un nouveau président de la CDU

L’élection du président de la CDU se fait par le vote des quelque mille délégués élus par les différentes directions régionales du parti. Elle nécessite l’obtention de la majorité absolue des voix. Dans le cas contraire, un second tour est tenu, opposant les deux candidats arrivés en premier dans les suffrages. Une cohabitation difficile entre le leader du premier parti du pays et la chancelière pourrait précipiter prématurément la fin du mandat de celle- ci. A l’inverse, une continuité dans les choix politiques de son successeur serait une garantie de stabilité politique du pays et assurerait le maintien d’Angela Merkel à la chancellerie.

– Quels sont les principaux candidats ?

Environ une douzaine de personnes ont déposé leur candidature auprès du comité exécutif de la CDU, mais trois candidats sérieux se détachent. Tout d’abord, Annegret Kramp-Karrenbauer, très proche de la chancelière, elle est considérée comme la représentante d’une CDU modérée, centriste, dans la lignée d’Angela Merkel qui l’a soutenue lors de son élection au poste de Secrétaire général du parti en février dernier. Vient ensuite Jens Spahn, l’actuel ministre de la Santé, jeune concurrent politique ambitieux, en opposition avec la chancelière sur les questions migratoires. Il s’inscrit dans une ligne plus conservatrice, s’étant montré dans le passé hostile à l’élaboration de la grande coalition avec les sociaux-démocrates et partisan d’une plus grande rigueur budgétaire vis-à- vis des pays ayant bénéficié d’un plan d’aide européen. Enfin, Friedrich Merz, qui a été président du groupe parlementaire CDU/CSU de 2000 à 2002. Il est resté député jusqu’en 2009 avant de se retirer progressivement de la politique pour retourner vers le milieu des affaires. Il siège au sein de plusieurs comités de direction de grandes sociétés, notamment Blackrock en Allemagne. Il est jugé plus conservateur qu’Angela Merkel et tenant d’une politique libérale axée sur les allègements d’impôt.

Un récent sondage d’opinion sur l’ensemble de la population donne Madame Kramp-Karrenbauer légèrement en tête des intentions de vote, avec 31% des voix parmi l’ensemble des répondants et 35% parmi les membres de la CDU. Monsieur Merz obtient 25% du total des voix et 33% parmi les sympathisants de la CDU. Monsieur Spahn ressort plus en retrait avec 6% des votants et 7% des membres de la CDU. La popularité des deux premiers candidats est élevée au sein de la CDU et le résultat final devrait être très serré.

Quelle coalition et quelle orientation politique ?

– Une coalition qui dépendra des orientations de la CDU…

Plusieurs possibilités sont envisageables en fonction de la personnalité choisie à l’issue du congrès de la CDU du 9 décembre. La secrétaire générale a déjà fait savoir qu’il fallait veiller à ne pas sombrer dans des guerres fratricides qui nuiraient au parti. Le comité exécutif de la CDU s’est quant à lui unanimement prononcé en faveur d’un candidat qui poursuive les accords de la grande coalition. Toutefois, huit conférences régionales auront lieu d’ici les élections afin de présenter les différents candidats, et ce sera in fine les délégués du parti qui choisiront l’orientation économique du parti et leur chef de file.

Si Madame Kramp-Karrenbauer est élue, il y aura peu de changement dans la ligne politique du parti et la cohabitation avec la chancelière ne serait pas un obstacle à la poursuite de la coalition actuelle. Toutefois, le choix de la continuité politique pourrait s’avérer politiquement dangereux car c’est précisé- ment ce que rejettent les électeurs dans les urnes. Le choix de Monsieur Merz est plus critique pour la grande coalition. Sa victoire signifierait un tournant politique plus libéral que la chancelière pourrait provisoirement assumer, mais qui remettrait en cause la grande coalition avec les sociaux- démocrates. Elle pourrait conduire à des élections législatives anticipées en cas d’échec à former une coalition alternative.

– … mais pas uniquement

La CSU a dû elle aussi tirer les conséquences de son opposition à la chancelière qui lui a valu de perdre sa majorité absolue au parlement bavarois. Son chef de file, Monsieur Seehofer, a annoncé sa démission du poste de leader de parti, ajoutant ainsi un facteur d’incertitude supplémentaire au maintien de l’actuelle coalition.

Du côté du SPD, la débâcle lors des dernières élections plaide là aussi pour une remise en cause de son orientation politique et pose la question de sa participation à la coalition. Si un changement drastique des membres de la direction est peu probable dans les mois à venir, la cheffe du parti, Andréa Nahles, pourrait être tentée de renégocier sa participation à la grande coalition mais il est vraisemblable qu’elle ne s’y risquera pas avant les élections européennes. Une cohabitation avec Madame Kramp-Karrenbauer rendrait peu probable la fin de la grande coalition. Mais en cas de renégociation de la participation du SPD à la coalition, une confrontation avec Monsieur Merz conduirait alors à une rupture de la coalition au profit d’une coalition de centre droite, vraisemblablement avec les libéraux (FDP) et les Verts qui occupent une place grandissante dans les intentions de vote. En effet, compte tenu des derniers sondages au niveau fédéral, les combinaisons d’alliances possibles sont restreintes. La grande coalition actuelle ne remporterait que 41,1% des voix alors qu’une alliance Jamaïque serait la seule à dépasser la majorité avec 54,2% des votes.

Au regard de ces différents paramètres, une grande incertitude demeure quant à la pérennité de l’actuelle coalition. L’élection du chef de parti des conservateurs sera déterminante pour l’alliance gouvernementale et l’orientation économique du pays. Les délégués de la CDU peuvent décider de garder le cap actuel garantissant une stabilité politique à court terme au risque de subir une plus grande désaffection lors des prochaines élections régionales et européennes de 2019. Le choix d’un tournant plus libéral serait également envisageable avec une formation gouvernementale de type Jamaïque. Même si une telle alliance avait échoué en septembre 2017, on peut penser que les conditions de sa réalisation sont depuis différentes. Les libéraux plaidaient à l’époque pour des réductions d’impôts plus massives et une plus grande restriction à l’immigration. Ils ont depuis obtenu gain de cause sur ce dernier point grâce à la pression de la CSU tandis que des allégements fiscaux supplémentaires sont encore possibles. Enfin, leur place dans les intentions de vote est globalement équivalente aujourd’hui à ce qu’elle était l’an dernier alors que le poids des Verts a plus que doublé, les laissant espérer intégrer également quelques mesures de leur programme dans le programme du gouvernement. L’alliance des conservateurs, des libéraux et des Verts serait l’opportunité de tourner la page d’une coalition déjà usée par les divisions internes et décevante en raison d’une feuille de route peu ambitieuse en matière de réformes structurelles.

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