Le concept d’efficience énergétique pourrait-il devenir obsolète ?

par Charlie Thomas, Gérant et Directeur des stratégies Environnement et Développement Durable chez Jupiter AM

Jupiter célèbre les 30 ans de sa stratégie Jupiter Ecology avec une série de commentaires sur les principaux enjeux susceptibles de marquer les années à venir, transformant les opportunités d’investissement du secteur.

Si nous nous penchons sur l’histoire des investissements environnementaux au cours des 30 dernières années, il a eu des moments charnières importants pour les enjeux liés au développement durable. Parmi les tournants attendus, l’un d’entre eux peut sembler tout à fait étrange au premier abord : pourrions-nous à l’avenir nous préoccuper de moins en moins de la quantité d’énergie que nous consommons, voire même ne plus y prêter attention du tout ?

Cela semble particulièrement farfelu dans un contexte de hausse des prix de l’énergie, mais l’idée que les prix de l’électricité en particulier pourraient baisser à un tel point que nous n’ayons pas à nous soucier de notre consommation n’apparaît plus comme une idée aussi fantaisiste. Cette vision apparemment improbable du futur repose sur la prévision d’une baisse continue des coûts des énergies renouvelables, au même rythme que la baisse actuelle, et d’un meilleur alignement sur la demande d’énergie fournie à partir de sources renouvelables.

Electricité à volonté !

En pratique, cela signifierait non seulement la mise en place d’une infrastructure de réseau couvrant de vastes territoires, capable de redistribuer de l’énergie provenant de sources renouvelables, mais également la mise au point de solutions nécessaires pour stocker l’énergie en vue d’une utilisation ultérieure. Aucuns de ces éléments ne sont simples à mettre en place, même sur le long terme, mais les récentes évolutions en la matière nécessitent néanmoins un temps de réflexion. Une fois établies, les sources d’énergie renouvelables produisent de l’électricité à un coût marginal très réduit. Par conséquent, si les coûts initiaux continuent de baisser et que les réseaux énergétiques évoluent comme prévu, la question est de savoir si les réseaux électriques pourraient fournir une énergie bon marché, abondante et propre. Certains commentateurs et analystes du secteur de l’énergie sont allés jusqu’à dire qu’en une génération ce modèle de «coût marginal zéro» permettrait de consommer l’électricité de la même manière que des données sur Internet, c’est-à-dire à moindre coût et en grande quantité.

Quelles seraient les conséquences ? Les fournisseurs d'électricité ressembleraient davantage à des entreprises de télécommunication, recevant des paiements pour couvrir les coûts fixes de connexion et les services associés, et pas nécessairement pour l'énergie consommée. Les conséquences du côté de la demande sont peut-être plus intéressantes. Dans un avenir où l’électricité est produite à peu voire sans frais et n’est soumise à aucune restriction liée au changement climatique, qui impacte en revanche les sources d’énergie à forte émission de carbone, son utilisation risque de ne plus être contrainte, ce qui devrait avoir d’énormes répercussions.

Libérer une nouvelle demande d’énergie

Les entreprises proposant des solutions d'efficience énergétique trouveraient leur marché de plus en plus compromis. De plus, nous savons par les changements précédents dans les systèmes énergétiques que cela stimule de nouveaux usages. Le charbon était exploité pour le chauffage avant que son abondance ne soit mise au service de l'industrie, de l'électricité, du transport maritime et du rail. L’huile raffinée a également favorisé le développement des véhicules tous publics et l’aviation. La question est de savoir quelles industries émergent et prospèrent dans un monde avec une énergie propre et abondante. Comme le disait récemment l'Oxford Institute for Energy Studies, « de nouvelles sources d'énergie vont générer une nouvelle demande qui n'est actuellement pas facile à prévoir» 1.

Certains signes apparaissent via des technologies existantes qui sont freinées en raison de leurs coûts énergétiques. Par exemple, la désalinisation qui transforme en eau potable celle des océans a surmonté de nombreux obstacles, mais pas encore celui des coûts énergétiques élevés et prohibitifs. Une tarification plus élevée de l’eau était souvent jugée nécessaire pour que le dessalement de masse soit viable afin de parer à la pénurie d’eau, mais des projets pilotes récents faisant appel à l’énergie solaire la moins chère au monde suggèrent que l’énergie pourrait finalement être la solution à ce problème. Ailleurs, dans des entrepôts japonais, les fermes « verticales » existent à petite échelle depuis les années 1970, mais ont récemment commencé à se développer avec l’avènement de l’éclairage LED pour une source de lumière artificielle moins chère. La baisse des coûts d’électricité constituerait un stimulant supplémentaire.

Ce scénario ressemble beaucoup à la « transition du système électrique » mise en avant comme une des pièces du puzzle nécessaire afin de maintenir le changement climatique à 1,5 °C au-dessus des niveaux préindustriels dans un récent rapport du Groupe d'experts Intergouvernemental sur l'Evolution du Climat (GIEC) 2 des Nations Unies. Bien que leur rapport expose une vision à long terme qui pourrait sembler trop ambitieuse, il y a eu beaucoup de cas au cours des 30 dernières années où le paysage a changé si rapidement que les objectifs initialement considérés comme ambitieux ont été atteints plus rapidement que prévu. De même, le point de basculement vers une énergie bon marché et illimitée peut être plus proche que nous le pensons.

NOTES

  1. “La montée des énergies renouvelables et de la transition énergétique”
  2. Un réchauffement global de 1.5⁰C, Groupe d’experts Intergouvernemental sur l’Evolution du Climat, 2018