Croissance, taux d’intérêt et dette publique

par William de Vijlder, Chef économiste de BNP Paribas

Les relations entre la dette publique, la croissance économique et les taux d’intérêt sont complexes et variées. En période de récession, la dette publique grimpe en termes absolus et en pourcentage du PIB, mais la détente monétaire qui s’ensuit fait baisser le coût des emprunts publics. Les pays lourdement endettés peuvent, toutefois, pâtir de la défiance des investisseurs. La prime de risque augmente alors et, par conséquent, les rendements obligataires. Une longue période de détente monétaire en phase ascendante du cycle peut engendrer un recul du taux d’intérêt nominal moyen sur la dette publique (r) en deçà du taux de croissance nominale (g). On l’a vu ces dernières années dans un grand nombre de pays.

Récemment, Olivier Blanchard, ex-économiste en chef du FMI, a analysé la marge de manœuvre dont dispose un pays dont rest inférieur à g (1). Ce pays peut alors se permettre un déficit primaire permanent (déficit public hors charges d’intérêt) tout en affichant un ratio dette/PIB stable. Lorsque r est inférieur à g et que le déficit primaire se situe en deçà du niveau critique (niveau auquel le ratio de la dette est stable), le ratio dette sur PIB baisse. Le pays peut alors mener une politique d’expansion budgétaire susceptible de faire augmenter le solde primaire jusqu’à son niveau critique. Une telle politique est de nature à stimuler la croissance à court terme, d’autant plus si la demande privée est atone : le multiplicateur budgétaire pourrait en effet être élevé bien que cela dépende aussi du degré d’ouverture de l’économie. Le risque qu’une croissance faible ou négative ait des effets secondaires défavorables durables, du fait de la baisse de la formation de capital, s’en trouverait également réduit. L’expansion budgétaire pourrait aussi jouer un rôle-clé en complétant une politique monétaire contrainte par des taux d’intérêt très bas. Appliquant ce raisonnement, un calcul rapide (2) montre que dans de nombreux pays r est inférieur à g, ce qui, compte tenu du solde primaire actuel, leur offre une marge de manœuvre (graphique). C’est le cas de l’Allemagne, tandis que la marge de manœuvre du Royaume-Uni et de la France est limitée. L’Italie n’en a aucune et, il est intéressant de le noter, le déficit primaire américain est déjà trop élevé pour stabiliser le ratio de la dette. On peut cependant faire valoir qu’avec un r inférieur à g, l’augmentation du ratio dette sur PIB serait très lente si le déficit primaire dépasse le seuil critique. De plus, compte tenu d’un faible appétit pour les actifs risqués (actions, obligations d’entreprise, etc.) en cas de récession, le besoin de financement pourrait être satisfait sans pousser les rendements à la hausse. Pour les pays avec un ratio dette sur PIB élevé, cet argument pourrait ne pas tenir et la remontée des rendements obligataires risquerait de limiter l’efficacité de l’expansion budgétaire (3).

NOTES

  1. Olivier Blanchard, Peterson Institute for International Economics and MIT, Public debt and low interest rates, discours prononcé devant l’American Economic Association, Janv. 2019.
  2. Ces calculs se fondent sur les données des tableaux A2,A7 et A23 de l’annexe statistique du Fiscal Monitor du FMI (avril 2019). La différence entre r et g correspond à la projection du FMI relative au différentiel taux d’intérêt-croissance sur la période 2019-24. Pour simplifier le calcul, le solde budgétaire primaire qui, étant donné r et g, génère un ratio dette sur PIB stable, a été calculé sur la base de la nécessité d’une stabilisation instantanée du ratio de la dette.
  3. On pourrait y voir une illustration de la critique de Lucas selon laquelle les relations économiques changent lorsque la politique économique change.

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