Fed : ce n’est peut-être pas le dernier chapitre mais…

par Alexandre Hezez, Stratégiste et allocataire chez Groupe Richelieu

Le président de la FED Jerome Powell a tenu hier par vidéoconférence un discours qui a participé à la baisse des marchés actions américains et à la hausse du dollar.

Il s’est montré un cran plus négatif quant à la situation économique, notamment en déclarant que « la reprise pourrait être moins rapide que ce qu’aurait souhaité l’institution ».

Le président de la FED déclare que « ce n'est peut-être pas le dernier chapitre », soulignant que davantage de mesures de relance, tant fiscales que monétaires, pourraient être nécessaires.

Compte-tenu de l’incertitude élevée et de statistiques « hard data » généralement assez retardées, la perception de la Réserve fédérale aurait pu être un signal positif pour les marchés anticipant des actions plus importantes en termes de politique monétaire.

Cependant, la position qui reste à écarter les taux négatifs comme dans de nombreux pays a douché les espoirs d’un marché toujours à l’affut d’une surenchère.

Un soutien budgétaire supplémentaire pourrait être coûteux, mais il en vaut la peine s'il permet d'éviter des dommages économiques à long terme et d'avoir une reprise plus forte.

Pour le président de la FED, si les plans d'aides d'urgence sont « coûteux » pour les Etats-Unis, ils sont incontournables pour éviter une profonde récession.

Les dommages de la pandémie de coronavirus sur l'économie américaine pourraient être « durables » d’où la nécessité de nouvelles mesures de soutien.

La reprise pourrait prendre un certain temps à se matérialiser. En effet, les taux FED à terme montrent que les taux négatifs sont anticipés début 2021.

Courbes des Fed Funds

Source : Bloomberg, Richelieu Gestion

La situation économique américaine sera durablement affectée, d’autant que les mesures de restrictions y ont été plus tardives, ce qui appellera un nouveau plan de relance.

La Réserve fédérale américaine continuera à favoriser les achats d’actifs massifs plutôt qu’une baisse en territoire négatif des taux directeurs, ce qui ne constitue pas une surprise alors que le comité de politique monétaire y est largement opposé.

Robert Kaplan, le président de la Réserve fédérale de Dallas, avait déjà rejeté fermement l'éventualité de taux d'intérêt négatifs : « je suis sceptique quant à l'utilité réelle de taux négatifs, quant au fait que les avantages l'emporteraient sur les dommages causés au secteur financier. Donc, personnellement, je ne suis ni un fan ni un partisan des taux d'intérêt négatifs » (Robert Kaplan). Donald Trump a de nouveau critiqué la Réserve fédérale en jugeant qu'elle devrait adopter des taux négatifs à l'image des banques centrales d'autres pays.

Jerome Powell essaie de garder l'indépendance de la banque centrale américaine, par rapport aux appels continus du président Trump pour explorer la trajectoire des taux d'intérêt négatifs et influencer la politique et les actions de la banque centrale.

Nous pensons que la banque centrale américaine gère avant tout les taux réels et donc une équation entre inflation et croissance.

Les taux réels devraient rester négatifs pendant longtemps pour stimuler l’investissement tout en essayant d’éviter des effets pervers comme des bulles d’actifs.

Taux réels 10 ans américains

Source : Bloomberg, Richelieu Gestion

De plus, l'indice des prix à la consommation (PCE) aux Etats-Unis est ressorti en baisse de 0,8 % en avril 2020 sur un mois.

Inflation Anticipée 5 ans dans 5 ans

Source : Bloomberg, Richelieu Gestion

Des taux négatifs allègeraient évidemment le poids de la dette de l'Etat, dans une période où ses dépenses (et donc ses émissions de dettes) ont et vont exploser (faisant flamber le déficit budgétaire à un niveau record en avril) mais ce n’est pas une option.

Déficit budgétaire US mensuel

Source : Bloomberg, Richelieu Gestion

Le déficit sera facilité par l’engagement de la Réserve fédérale à faire le nécessaire en termes d’achats d’actifs. Jerome Powell a lancé un appel du pied à davantage de soutien budgétaire pour permettre « d’éviter des pertes économiques trop importantes à long terme ». Il a exhorté la Maison-Blanche et le Congrès à dépenser plus d'argent pour s'assurer que leur réponse initiale au ralentissement économique induite par les coronavirus ne soit pas gaspillée.

Jerome Powell veut clairement rassurer sur le fait que la Fed dispose d'un ensemble approprié d'outils de politique monétaire et se joint à la présidente de la BCE, Christine Lagarde, pour exercer davantage de pression sur la politique budgétaire afin qu'elle agisse plus fortement et plus rapidement.

Nous continuons de penser que les taux américains vont rester proches de zéro pendant longtemps pour soutenir l'économie et que le recours aux taux négatifs est exclu. La structure de l’économie américaine fondée avant tout par un financement sur les marchés, et non sur un système bancaire, exige des taux de rentabilité minimums pour favoriser la vélocité de la monnaie. La Banque centrale européenne, la Banque du Japon et la Banque nationale suisse, entre autres, pratiquent de leur côté des taux négatifs afin d'inciter les banques à prêter davantage aux entreprises et aux ménages ou de freiner la hausse de leur monnaie.

Le bilan de la Réserve fédérale américaine devrait continuer à grimper tant les incertitudes économiques sont réelles. Les principaux éléments de la boîte à outils de la FED sont les taux d’intérêt, les achats d’obligations qu’elle effectue et ce qu’elle appelle des « orientations prospectives », ou ses instructions verbales sur la politique à l’avenir et l’impact qu’elles auront sur les baromètres économiques, comme le chômage et l'inflation.

BILAN FED en Milliers de milliards USD

Source : Bloomberg, Richelieu Gestion

L'objectif de taux des fonds fédéraux ("fed funds"), le principal instrument de la politique monétaire de la FED est fixé entre 0 % et 0,25 % depuis mars après deux baisses de taux adoptées en urgence pour soutenir la première économie du monde face aux effets de la pandémie du coronavirus.Sur les marchés US, il existe des soutiens techniques significatifs (position de couverture importante notamment), cependant une baisse à très court terme est probable en attendant de nouveaux soutiens budgétaire et monétaire (ce qui est prévu !). Cela pourrait être un point d’entrée intéressant.

Position de couvertures sur le S&P 500

Source : Raymond James, Richelieu Gestion

Graphique du S&P 500

Source : Bloomberg, Richelieu Gestion

L’augmentation de la masse monétaire devrait empêcher tout nouveau krach de marché mais des actions seront encore plus que nécessaires.

Le temps presse et joue contre l’économie car les taux de défaut risquent d’exploser pour l’ensemble des agents économiques privés, que ce soit le consommateur ou l’entreprise. La réouverture de l’économie américaine est une nécessité.

Non seulement des millions de personnes perdent leur emploi, mais le bilan des ménages américains était déjà vulnérable avant le virus, avec des taux de défaut en hausse, en particulier sur les prêts automobiles.

Avec 25 % des travailleurs américains gagnant moins de 600 $ par semaine, la profondeur de cette récession dépendra en grande partie du temps qu'il faudra avant que l'argent de la relance n'arrive entre les mains des consommateurs.

Une enquête de la FED révèle cette semaine que près de 40 % des personnes qui travaillaient en février et faisaient partie des ménages gagnant moins de 40 000 $ par an ont perdu leur emploi.

Le taux de défaut à haut rendement a grimpé à 8,8 % en mars, à un niveau certes moins élevé que le précédent pic, mais c’est une augmentation historiquement forte en un seul mois.

S&P Global a une prévision de base pour les défauts sur le High Yield à 10,3 % d'ici décembre 2020, et une prévision pessimiste de 13,1% .

Taux de défaut sur le High Yield

Pour l’instant les mesures de relance sont équivalentes à plus de 30 % du PIB mais elle ne seront pas suffisantes.

  1. Défenses fiscales : Un total de 2 900Mds$ ≈ 13,5% du PIB
  2. Monétaire : Potentiel de la Fed à 4 000Mds$ ≈ 20% du PIB

L’avertissement du président de la Réserve fédérale selon lequel les États-Unis sont confrontés à une crise économique "sans précédent moderne" qui pourrait nuire de façon permanente à l'économie si le Congrès ne fournit pas un soutien politique suffisant pour empêcher une vague de faillites et de chômage prolongé est clair !

Les milliards de dollars de soutien que les décideurs politiques ont déjà injecté dans l'économie pourraient ne pas être suffisants pour prévenir les dommages durables d'un virus qui a déjà fermé des entreprises et mis plus de 20 millions de personnes au chômage. Des mesures seront prochainement mis en œuvre.

Nous entamons une phase 4 en ce qui concerne le plan de relance budgétaire.

Source : Wall Street Journal

Les démocrates proposent plus de 3000 Mds de dollars de budget supplémentaire et les républicains près de 1000 Mds de dollars.

Il y a quelques points d’accords (Paycheck Protection Program Liquidity Facility), mais les discussions vont se poursuivre et créer de l’anxiété.

Gardons à l’esprit que l’élection présidentielle se profile et que cela complique la donne…

La réponse de la politique monétaire et budgétaire à la récession a été extraordinaire.

Il diffère également en taille et en conception de ce que nous avons vu dans les précédents épisodes de relance économique mais nous ne sommes pas au dernier chapitre…..