L’incidence variable de l’incertitude des prévisions

par William De Vijlder, Group Chief Economist chez BNP Paribas

La pandémie de Covid-19 a non seulement entraîné une baisse massive de la demande et de l’activité, mais aussi une montée en flèche de l’incertitude des prévisions. Ce phénomène, classique dans un contexte de récession, est dû à la difficulté d’anticiper la vigueur et la rapidité de la reprise. Des facteurs psychologiques tels que la confiance et les « esprits animaux » jouent un rôle important, mais ils sont difficiles à prévoir. Lors de la précédente récession, les prévisions du consensus relatives à la croissance du PIB réel aux États-Unis en 2009 s’établissaient à -1,3 %, avec une fourchette comprise entre -2,5 % et 0,3 %[1].

L’actuel consensus Bloomberg pour 2020 s’inscrit à -5,9 %, avec une fourchette allant de -10,5 % à -2,5 %. Pour l’année prochaine, les chiffres sont respectivement de 4,1 %, 0,5 % et de 11,4 %. Les fourchettes de prévisions sont aujourd’hui cinq fois plus larges qu’à la fin de 2008. Cela en dit long sur l’incertitude entourant la gravité de la récession et sur le potentiel de rebond. Ces écarts rendent l’exercice de prévision particulièrement difficile.

L’incertitude macroéconomique a tendance à aller de pair avec l’incertitude microéconomique. Le graphique permet de visualiser cette dernière. Il montre la dispersion des prévisions de bénéfices par action pour les douze prochains mois. Cette mesure de l’incertitude a fortement augmenté, et atteint aujourd’hui un niveau deux fois supérieur à celui de 2008. Ce mouvement anormalement élevé n’est pas surprenant compte tenu de la nature et de l’ampleur de la crise actuelle. Ce qui est peut-être plus frappant, c’est l’évolution du marché actions américain. Auparavant, une hausse soudaine de l’incertitude entourant les perspectives de résultats s’accompagnait d’un repli des cours des actions.

Or, ces trois derniers mois, nous avons assisté à une baisse, plutôt de courte durée, des performances de ces dernières, suivie d’un rebond significatif, alors même que l’incertitude concernant les perspectives de résultats reste très élevée. Face à une visibilité réduite sur les résultats, les opérateurs du marché ont probablement raccourci leur horizon d’investissement et cessé de se demander comment les bénéfices allaient évoluer. Le soutien des politiques monétaires et budgétaires, ainsi que l’écart entre le rendement des dividendes et celui des obligations incitent alors à acheter des actions sur le court terme ; d’autant plus que des coûts de transaction faibles permettent de clôturer facilement les positions dans le cas où la situation n’évoluerait pas comme prévu.

La réaction des conseils d’administration est assez différente. Devant des perspectives troubles, les entreprises seront réticentes à investir, préférant attendre une meilleure visibilité pour accroître les capacités. Contrairement aux investissements financiers, la formation de capital est difficile à interrompre une fois le projet lancé ; aussi, confrontées à des coûts de transaction élevés, les entreprises auront-elles tendance à se montrer attentistes. Compréhensible au niveau microéconomique, une telle prudence, si elle est largement adoptée, a un coût macroéconomique certain en termes de ralentissement de la croissance, ce qui peut, à son tour, conforter les dirigeants d’entreprise dans leur conviction que « mieux vaut prévenir que guérir ». Cependant, cette profonde différence d’attitude entre les marchés financiers et les entreprises face aux mêmes sources d’incertitude ne peut durer indéfiniment. Soit la croissance repart, donnant le sentiment d’une meilleure visibilité et amenant les entreprises à renouer avec leurs « esprits animaux », soit elle continue de stagner et les marchés se mettent à douter des perspectives de résultats, à moins que la Fed ne vienne de nouveau à la rescousse.

NOTES

[1] Source : Consensus Forecasts, décembre 2008. En 2009, la croissance du PIB réel est en fait ressortie à -2,5 %.

Retrouvez les études économiques de BNP Paribas