BCE : le passé n’est pas que le passé, il est aussi le futur

par Paola Monperrus-Veroni, Economiste au Crédit Agricole

C'était inévitable. La Réserve fédérale a ouvert la voie. La BCE avec son antécédent de cible d'inflation manqué ne pouvait que suivre.

La Réserve fédérale accepte désormais d'affirmer plus fermement la symétrie de sa politique de ciblage de l'inflation pour contrer les asymétries propres à une politique monétaire conduite dans un environnement de taux naturel décroissant avec un taux plancher contraignant. En effet, quand la politique monétaire est contrainte par un taux plancher, les anticipations d'inflation contiennent un biais baissier, car les agents perçoivent que les marges de manœuvre de la politique monétaire sont limitées. Les anticipations ne sont donc plus si parfaitement ancrées à l'objectif d'inflation annoncé. Ce résultat est d'autant plus probable que l'objectif d'inflation est perçu comme un plafond infranchissable. Mais si l'objectif de la banque centrale est à atteindre en moyenne sur le moyen terme en ciblant une inflation supérieure à l'objectif suite à des périodes où l'inflation a été inférieure à celui-ci, alors les anticipations seront plus facilement ancrées à la cible. D'où l'intérêt d'une politique de ciblage moyen de l'inflation (average inflation targeting) permettant d'accepter des périodes d'inflation supérieure à la cible pour compenser des périodes d'inflation trop faible.

La politique monétaire américaine s'annonce donc structurellement plus expansionniste afin de modifier de façon permanente les anticipations sur les taux d'intérêt et l'inflation.L'idée derrière le ciblage moyen de l'inflation est que le passé n'est pas que du passé. L'inflation perdue (le retard par rapport à la cible) n'est pas perdue pour toujours. Au contraire, le passé devient le futur, car on ajoute un élément rétrospectif à l'horizon de politique monétaire qui permet d'accepter et projeter une inflation plus élevée, tant que la cible n'est pas atteinte en moyenne sur une période suffisamment longue.

Pour la BCE, la stabilité des prix était au départ définie comme une progression sur un an de l'indice des prix à la consommation harmonisé (IPCH) inférieure à 2% dans la zone euro. Le Conseil des gouverneurs a précisé en 2003 qu'il visait à maintenir le taux d'inflation à un niveau inférieur, mais proche de 2% à moyen terme. Ces définitions étaient nécessaires pour plafonner les anticipations d'inflation à une période où la crédibilité des banques centrales (et de la BCE en tant que nouvelle entité) devait se construire par rapport à leur capacité à maîtriser l'inflation.

Le défi aujourd'hui est autre. La crédibilité doit être restaurée quant à la capacité à atteindre la cible par le bas. Le 2% ne peut plus être un plafond. Déjà M. Draghi avait récemment souligné le caractère symétrique de la cible. Mais une simple déclaration n'a pas suffi à ancrer les anticipations. Il en fallait plus. Il fallait saisir l'opportunité de la révision de la stratégie de la BCE pour confirmer plus ouvertement que la cible doit être perçue comme symétrique sur le moyen terme. La BCE n'est donc pas loin d'affirmer, comme l'a déjà fait la Fed, que la cible de 2% est une moyenne sur le moyen terme.

L'alternative aurait été d'accepter la défaite et de cibler une inflation plus faible. Mais dans un environnement d'endettement croissant, capituler en acceptant un couple d'inflation et de croissance plus faible (et de taux d'intérêts réels plus élevés) comporte un évident questionnement en termes de soutenabilité.

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