La Chine : encore plus fort

par John Plassard, Spécialiste en investissement chez Mirabaud

Si je vous ai récemment parlé du Plénum chinois et des plans à moyen et long terme du pays du milieu, force est de constater que les bonnes statistiques économiques se poursuivent. La Chine a en effet réussi l’impossible exploit de sortir grandi de la crise du coronavirus en accélérant le développement domestique, mais aussi les exportations vers les pays en « déconfinement ».

La question est maintenant de savoir ce qui a changé dans les habitudes de consommation des Chinois et quelles sont les nouvelles tendances dans lesquelles on va pouvoir investir. Synthèse et analyse d’un thème en pleine expansion.

a. Les faits

Coup sur coup cette semaine la Chine a publié deux statistiques économiques extrêmement probantes :

Activité non manufacturière au plus haut depuis 8 ans : La Chine confirme son avance dans le cycle des services (56,2 à 56,4) qui a poursuivi son amélioration en novembre en atteignant un plus haut niveau depuis 8 ans. L’activité a été portée notamment par les secteurs de la construction, du transport et des télécommunications.

Activité manufacturière au plus haut depuis 10 ans : L'indice des directeurs d'achats (PMI) pour le secteur manufacturier, calculé par le cabinet IHS Markit pour le groupe de médias Caixin, s'est établi à 54,9 points le mois dernier contre 53,6 en octobre. L'activité manufacturière en Chine a ainsi connu en novembre sa plus forte progression depuis 10 ans qui confirme mardi la nette reprise de l’activité économique chinoise.

L’activité des services sera publiée demain matin, mais on peut déjà affirmer que ce secteur contribue à près des deux tiers de la croissance économique chinoise et à 90 % des nouveaux emplois, ce qui illustre un changement significatif dans l'équilibre du pouvoir économique.

Cela n’étonnera donc personne si j’affirme que la Chine devrait être, à la fin de l’année, l’un des rares grands pays au monde à annoncer une croissance positive en 2020.

Aujourd’hui, je me focalise sur le fait de savoir quelle a été l’évolution des habitudes de consommation de la part des Chinois durant cette pandémie et surtout de savoir si elle nous apporte des thématiques d’investissement pour 2021.

b. Les (nouvelles) tendances

Le COVID-19 a fait évoluer le comportement des consommateurs sur de nombreux secteurs, des achats d'épicerie aux voyages en passant par l'achat de produits de luxe. Mais 5 tendances se démarquent aujourd’hui selon un tout dernier rapport de McKinsey :

Digitalisation : Le COVID-19 a non seulement accéléré la numérisation dans les applications et les canaux d'entreprise à consommateur (B2C), mais aussi dans la partie traditionnellement moins numérisée de l'économie, comme les domaines nécessitant des interactions physiques, et les processus d'entreprise à entreprise (B2B).

Avant le COVID-19, la Chine était déjà un leader numérique dans les domaines liés aux consommateurs qui représentent 45 % des transactions mondiales de commerce électronique lorsqu'elles sont mobiles. La pénétration des paiements mobiles était notamment trois fois plus élevée que celle des États-Unis.

Enfin, dans le domaine des soins de santé, les interactions numériques ont accéléré la croissance rapide des consultations en ligne, en partie grâce à un changement de réglementation dans la politique de remboursement, ainsi que des interactions virtuelles plus larges entre les ventes de produits pharmaceutiques et les médecins. Ces changements sont intervenus avant le large déploiement de la technologie 5G, qui catalysera probablement l'utilisation des outils numériques.

Qui devrait en bénéficier ? Paiement en ligne (Alipay (Alibaba) – WeChat pay (Tencent)) / Apple – Samsung – Huawei grâce à la croissance des ventes de téléphones mobiles (alimentée par la 5G)

Diminution de sa concentration : La crise sanitaire d’une part et les tensions commerciales avec les États-Unis d’autre part ont mis en exergue le fait que l’arrêt d’une chaîne de production en Chine pouvait impacter négativement l’acheteur final, mais aussi le producteur (en l’occurrence la Chine).

Pékin a donc décidé rapidement de délocaliser certaines chaînes d'approvisionnement (pour avoir des sources alternatives) et d’améliorer l’innovation de ses capacités existantes (par la robotique par exemple, moins dépendante d’une pandémie par exemple).

Impensables il y a moins de 2 ans, ces 2 changements radicaux ont été alimentés par des soutiens financiers gouvernementaux. L'innovation au service de la Chine restera importante, mais le pays continuera à avoir besoin d'apports technologiques mondiaux afin de maintenir la croissance de sa productivité.

Qui devrait en bénéficier ?: Le Vietnam / La Corée du Sud

Augmentation de la concurrence : Si la plupart des entreprises chinoises vont continuer à avoir une croissance forte, la crise sanitaire a mis en avant une intensification de la concurrence de plusieurs pays émergents. Cependant, au lieu de réduire les coûts et le personnel, plusieurs grandes entreprises chinoises ont décidé (à contrecourant) de continuer à investir dans le département recherche et développement (R&D) avec des aides étatiques quelquefois et de faire des associations contre-nature.

On songe par exemple aux supermarchés Freshippo d'Alibaba qui ont surmonté les contraintes d'approvisionnement en gérant à merveille la montée en flèche des commandes de fruits et légumes en ligne grâce notamment à sa collaboration avec Foxconn.

Cette association a permis à Alibaba d’avoir une longueur d’avance sur les nouveaux venus. Les PMEs ont logiquement été les plus impactées (négativement) par cette évolution.

Qui devrait en bénéficier ?:Les leaders tels qu’Alibaba et Tencent ont réussi à accroître leurs avances pendant la crise du coronavirus ce qui a notamment poussé le gouvernement chinois a tiré la sonnette d’alarme face à leurs dominations face aux plus petites entreprises locales.

Le consommateur a « muri » : La jeune génération aisée chinoise n’avait jamais connu la crise avant l’arrivée du coronavirus. Le virus les a obligés à dépenser différemment, à épargner et à faire des compromis dans le comportement d'achat. Une enquête a montré que 42 % des jeunes consommateurs avaient l'intention d'économiser plus à cause du virus. Les prêts à la consommation ont également diminué, tandis que quatre sur cinq consommateurs chinois ont l'intention d'acheter plus de produits d'assurance après-crise.

L'épargne a également connu un essor considérable – le dépôt des ménages a augmenté de 8 % au cours du premier trimestre pour atteindre 87’800 milliards de RMB. De plus en plus de consommateurs s’intéressent à la gestion de patrimoine et des fonds de commun de placement (plus de 1 100 nouveaux fonds ont été lancés cette année, pour un volume d'émission qui dépasse les 2 500 milliards de yuans (373,1 milliards de dollars)).

Enfin, le coronavirus a également obligé à faire des compromis, les consommateurs cherchant une meilleure qualité et des options plus saines : Plus de 70 % des personnes interrogées continueront à consacrer plus de temps et d'argent pour l'achat de produits sûrs et respectueux de l'environnement, alors que les trois quarts d'entre eux veulent manger plus sainement après la crise.

Qui devrait en bénéficier ?: Les gestionnaires de fonds étrangers tels que Fidelity International et Vanguard ont intensifié leurs efforts pour exploiter cette tendance, aidés par un soutien réglementaire et une collaboration avec des institutions financières et technologiques locales telles qu'Alibaba-affiliate Ant Group.

Les secteurs privé et social s'intensifient : Lors de l'épidémie de SRAS de 2003, le gouvernement et les entreprises d'État avaient été les principaux acteurs de la reprise économique.

Aujourd'hui, ce sont surtout le secteur privé et les entreprises technologiques de pointe qui jouent un rôle plus important, apportant des contributions socio-économiques dans un contexte d'émergence de puissantes institutions sociales qui ont donné des millions aux efforts de relance.

Le secteur privé contribue à près des deux tiers de la croissance économique et 90 % des nouveaux emplois, ce qui illustre un changement significatif dans l'équilibre du pouvoir économique. Dans le sillage de COVID-19, les efforts conjoints entre le gouvernement et les grandes entreprises privées ont joué un rôle. Par exemple, Alipay et WeChat ont soutenu l'initiative du gouvernement de Shanghai avant le lancement du code QR de santé "Suishenma" pour aider à contenir la propagation du virus.

Qui devrait en bénéficier ?:Alibaba (Alipay) / Tencent (WeChat)

c. Synthèse

Je l’ai déjà répété à de nombreuses reprises, mais la Chine est en train tout d’abord de prouver au monde entier que le coronavirus n’a que « très peu » affecté sa croissance (qui devrait encore être positive cette année) et ensuite que la crise a renforcé un pays qui n’est plus (autant) refermé sur lui-même.