Le carry trade a encore de beaux jours devant lui

par Kokou TOPEGLO, économiste chez Crédit Agricole AM

Après la chute spectaculaire de l’indice de carry trade en 2008 (-28% pour une position acheteuse équipondérée sur le dollar australien, la couronne norvégienne et le dollar néo-zélandais contre une position vendeuse équipondérée sur le franc suisse, le yen et le dollar américain) suite à la forte remontée de l'aversion au risque, le carry trade (ou stratégie de portage) a de nouveau le vent en poupe. Depuis le début de l'année, une telle position pour un investisseur de la zone euro aurait rapporté 23,8%, soit autant que l'Euro Stoxx 50 mais avec une volatilité beaucoup plus faible (18% contre 29%). Ainsi, les investisseurs semblent revenir massivement sur cette stratégie largement délaissée pendant la crise.

Le carry trade est une stratégie spéculative dont l'objectif est de tirer profit du différentiel de taux entre deux devises. Elle consiste à s’endetter dans une devise à faible taux d’intérêt (monnaie de financement) pour investir dans une autre devise à taux d’intérêt plus fort (monnaie cible ou monnaie d’investissement). On le voit bien, une telle stratégie n'est rentable que dans un contexte de taux de change variant très peu où les gains générés par le différentiel de taux ne devraient pas être annulés par les variations de cours. Dans les faits, l'accumulation des positions de carry trade a pour effet d'affaiblir la devise de financement, faisant ainsi s'apprécier la monnaie cible, ce qui va à l'encontre de la théorie de la parité des taux d'intérêt non couverte. Le prix à payer pour ce gain facile peut parfois être très lourd. En effet, ces stratégies ont un impact très asymétrique sur le cours des devises : bien souvent, la devise d'investissement met plusieurs mois à s'apprécier puis se déprécie très brusquement à la survenance d'un choc. C'est notamment le cas lors de l'intensification de la crise 2008 où en une journée, le dollar australien s'est déprécié de plus de 13% par rapport au yen, pour ne citer que cet exemple.

Aujourd'hui, il ne fait aucun doute que les stratégies de carry trade sont très risquées avec des probabilités de perte extrême non négligeables. L'histoire du carry trade recèle de plusieurs épisodes de débouclements massifs de positions qui ont contribué à la forte dépréciation des devises cibles. Pour autant, les investisseurs sont prompts à revenir sur la stratégie une fois l'orage passé comme en témoigne la récente performance du carry trade. Une des raisons de l'attrait de ce style d’investissement peut se trouver dans le comportement des stratégies de valorisation (« valo »). Contrairement au carry trade , la stratégie de « valo » a tendance à bien performer en période de crise, mais génère souvent des performances plus faibles dans des conditions normales de marché. Plusieurs études académiques montrent que généralement les cours des devises enregistrent à court terme des déviations importantes par rapport à leurs valorisations fournies par les modèles fondamentaux et que ces déviations mettent parfois plusieurs années à se corriger. Ce qui se traduit par de faibles performances du style « valo » sur les devises.

En conséquence, les investisseurs, accordant peu de crédit aux stratégies de valorisation fondamentale, se détournent de celles-ci et sont à la recherche de stratégies simples et lisibles permettant de générer des profits immédiats et récurrents. Le carry trade présente toutes ces caractéristiques et se retrouve donc plébiscité par les investisseurs malgré son risque extrême. De plus, sur une longue durée, la stratégie de portage reste plus rentable que la « valo » et, à titre d’exemple, malgré sa très mauvaise performance au plus fort de la crise, elle a surperformé la « valo » au cours de la période 1991-2008.

Tout semble donc indiquer que l'âge d'or du carry trade n'est pas encore révolu et que son histoire ne serait alors qu'un éternel recommencement !