L’histoire est encore à écrire…

par Marc-Ali Ben Abdallah, stratégiste chez Amundi Asset Management

Les tensions récentes sur la dette souveraine hellénique ont probablement connu leur plus haut avec la conclusion dimanche dernier d’un accord entre la Grèce, d’une part, et la Commission européenne et le Fond Monétaire International d’autre part. Ce plan a un double objectif : donner à la république hellène les moyens de juguler sa crise de liquidité et de s’attaquer vigoureusement aux sources de ses difficultés actuelles. Sur ces deux points, le plan donne une réponse ambitieuse. Alors qu’on annonçait quelques 45 milliards d’euros d’aide (59 milliards de dollars) l’enveloppe octroyée en prévoit 110 (145 milliards de dollars) sur trois ans financés au tiers soit 30 milliards d’euros par le FMI.

La contrepartie pour l’économie grecque est douloureuse. Il s’agit là de la seconde ambition du plan : amener la Grèce à renouer avec une discipline fiscale et budgétaire. Aujourd’hui à 13,6% du PIB, le ratio déficit rapporté au PIB est projeté à moins de 3% en 2014. Le ratio dette sur PIB actuellement à 110% devrait s’inscrire à terme dans la même tendance.

L’ajustement sera amer et long en bouche…les transferts sociaux comme les salaires de la fonction publique représentant 75% des dépenses de l’État seront forcément les postes qui subiront les plus larges coupes. L’épargne réalisée devrait totaliser 5 ¼ points de PIB et pour ne rien minimiser l’ajustement fiscal, quant à lui, s’élèvera à 11 points de PIB sur trois ans. Le choc sur la demande domestique sera forcément d’ampleur.

Les marchés se focalisent sur la demande d’obligations

Rien ne se fera dans la facilité. Le FMI projette une croissance négative en 2010 de -2%. Les ratios de soldes ou de stocks de dette rapportés au PIB sont trompeurs car ajuster le numérateur entraîne souvent une contraction du dénominateur. La Grèce ne fera pas non plus l’économie de réformes structurelles destinées à renforcer sa compétitivité à moyen terme. Sans surprise aucune, les marchés continuent de tester la robustesse des autres dettes souveraines du sud de la zone euro.

Ceci étant, on aurait cependant bien tort de considérer que le regain de volatilité obligataire actuelle restera une spécificité de la zone euro. Il y a deux raisons fondamentales pour considérer que cette problématique est globale. En premier lieu, il existe une forte interaction entre le bilan des banques et la volatilité de la dette souveraine. Une dégradation de la qualité de crédit de ce type d’instruments ne sera pas sans impact sur les bilans bancaires. En outre, elle induit implicitement une limitation de la capacité des États concernés à mettre en œuvre des politiques de stabilisation financière (émission de garanties, recapitalisation ou rachats d’actifs). En second lieu, l’équilibre offre-demande est en train de se déplacer en faveur de rendements plus élevés. Les banques centrales des économies matures – celles qui ont opté pour l’achat de titres de maturité longue (quantitative easing) font état de réflexion sur un processus de sortie graduelle de politiques monétaires conventionnelles.

De plus, les banques centrales d’Asie, notamment celle de Chine, de l’Inde ou de l’Australie mais aussi celle de l’Amérique Latine – entre autres le Brésil – sont en phase de durcissement de leurs conditions de crédit domestique. Bien qu’il s’agisse de mesures nécessaires pour éviter tout risque de surchauffe de leurs économies, elles aboutiront dans la pratique à une baisse des surplus commerciaux des économies exportatrices de biens comme les matières premières. En somme, l’offre de fonds prêtables au niveau mondial devrait se tasser. Si on ajoute à cela une baisse des anticipations d’inflation de moyen terme, les taux réels pourraient se redresser substantiellement. Il est trop tôt pour se prononcer de façon catégorique sur ce point mais au moment de la rédaction des colonnes, Axel Weber, membre du Conseil de la Banque Centrale et candidat le plus probable à la succession de Jean Claude Trichet, se déclare très inquiet sur le risque de contagion.

Privilégier l’alpha liquide

Les situations de crise obligataire sont souvent les plus redoutées par les allocataires. Il est trop tôt pour ajuster une exposition aux actifs risqués. Nous continuons de recommander une exposition raisonnable privilégiant les actions émergentes et les actions américaines. Ceci va de pair avec un biais plutôt « croissance ». La visibilité des perspectives est à privilégier au détriment d’une approche strictement rendement. Il est à craindre que certaines actions régionales d’ores et déjà attractives comme celles de la zone euro le deviennent encore plus dans les semaines à venir. Comme nous le défendions dans notre mensuel du mois de mars, l’environnement actuel est propice à la recherche de performance absolue : l’alpha. Nous recommandons plus particulièrement l’alpha au sein d’univers d’actifs liquides afin de se prévenir d’un risque de propagation de la volatilité aux marchés interbancaires. La volatilité de court terme peut être achetée via des stratégies d’arbitrage de volatilité ou via l’achat de monnaies à faible rendement (stratégie de financement des carry trades). Le dollar et le yen y sont des candidats naturels. Autre actif de diversification : l’or. Bien qu’il soit sur des plus hauts historiques en termes réels, l’or souffre toujours de phases d’incertitudes sur le risque souverain. La crise asiatique 1997-98 fut une exception à cette règle du fait que les banques centrales étaient intervenues pour soutenir leurs devises. Dans le cas présent, la baisse de l’euro serait un facteur de soutien pour l’Allemagne comme la Grèce.