États-Unis : la remontée des rendements obligataires doit-elle inquiéter les investisseurs en actions ?

par William De Vijlder, Group Chief Economist chez BNP Paribas

L’année dernière, les rendements des Treasuries ont fortement baissé, la pandémie de Covid-19 ayant provoqué une fuite vers les valeurs refuge. D’autres facteurs, comme la politique de la Réserve fédérale et les perspectives d’inflation, ont aussi joué un rôle. Le rendement à 10 ans a atteint un plus bas pour l’année, en août, à 0,52 %. Depuis, les taux d’intérêt à long terme sont sur une tendance haussière. La décomposition de la variation cumulée des rendements nominaux des Treasuries montre que, à la fin du mois de janvier, les rendements nominaux étaient plus ou moins équivalents à la hausse des points morts d’inflation[1].

Le rendement obligataire réel – rendement des obligations indexées sur l’inflation -, après avoir progressé jusqu’au début du mois de novembre, était revenu à son niveau du mois d’août. En février, cependant, la hausse des rendements nominaux a été alimentée par la progression des rendements réels alors que les points morts d’inflation ont, en fait, légèrement diminué.

Jusqu’à une date récente, la hausse des taux longs n’a pas empêché l’ascension du marché actions, mais l’accélération récente de la remontée des rendements obligataires a fait craindre un impact possible sur les marchés boursiers. Ainsi, cette semaine, le mouvement mondial de remontée des taux obligataires a poussé les marchés actions à la baisse. Toutes choses égales par ailleurs, une hausse durable des rendements obligataires correspond à une augmentation du taux d’actualisation utilisé pour le calcul de la valeur actualisée nette des dividendes futurs, entraînant ainsi un repli des cours des actions. Cependant, toutes les hausses de taux obligataires ne se ressemblent pas.

Lorsqu’elles reflètent des anticipations d’accélération de la croissance du PIB réel, la trajectoire des dividendes futurs doit également être révisée à la hausse. Avec une augmentation du numérateur et du dénominateur, les cours des actions ne baissent pas nécessairement en réaction à la remontée des rendements. La progression des taux à long terme peut également traduire le sentiment d’un repli de l’incertitude et d’une diminution de la probabilité de résultats économiques très négatifs. Cela devrait entraîner une réduction de l’autre composante du taux d’actualisation, à savoir la prime de risque actions exigée. Les rendements peuvent également augmenter sous l’effet d’une hausse des anticipations d’inflation. L’impact sur le cours des actions est alors ambigu. L’accélération de la hausse des prix pourrait signifier une progression des bénéfices nominaux, mais cela suppose que les prix relatifs restent inchangés. L’augmentation des anticipations d’inflation pourrait laisser craindre, et c’est plus important, un resserrement de la politique monétaire, ce qui, normalement, devrait peser sur les cours des actions.

Comme le montre le tableau, la relation observée entre les rendements obligataires et le marché actions a évolué dans le temps. Pour la période commençant en 1983, une progression durable des rendements à 1 et 10 ans – il faut entendre par « durable » une augmentation sur une période de quatre semaines – ainsi qu’une pentification de la courbe de taux sont associées à une baisse statistiquement significative du marché actions. Pour les observations commençant en 1990, la relation avec la hausse du rendement à 10 ans n’est plus significative et la pente de la courbe de taux est moins significative. Concernant la période la plus récente, qui débute en 2000, les trois variables n’ont plus aucun pouvoir explicatif significatif pour le comportement du marché actions. Les deux dernières décennies ont été marquées par un long marché haussier, interrompu par deux récessions.

Les périodes de hausse des rendements obligataires ou les deux cycles de resserrement de la politique monétaire de la Fed n’ont pas eu d’incidence réelle. Le gradualisme de la politique monétaire ainsi que les précautions prises pour éviter de créer la surprise y ont contribué. La déclaration de Ben Bernanke en mai 2013, selon laquelle la Fed envisageait de ralentir le rythme de ses achats d’actifs (épisode du « taper tantrum ») avait pris le marché par surprise, mais il a fallu moins de deux mois au S&P500 pour rattraper ses pertes. Les investisseurs ont réalisé que le ralentissement du rythme des achats d’actifs par la Fed n’allait pas tuer la croissance.

La Réserve fédérale a parfaitement conscience qu’il est crucial d’éviter les surprises. Son président, Jerome Powell, a d’ailleurs insisté sur ce point dans sa déclaration devant le Congrès cette semaine. Il s’est non seulement voulu rassurant sur les perspectives d’inflation, mais il a aussi rappelé que le FOMC « indiquerait clairement [son] évaluation des progrès enregistrés vers [ses] objectifs bien avant toute modification du rythme des achats d’actifs »[2]. En l’absence d’une forte hausse surprise de l’inflation, l’attention du marché actions se portera probablement davantage sur l’évolution de la croissance bénéficiaire que sur les taux d’intérêt.

NOTES

  1. Il s’agit de l’écart entre le rendement des obligations nominales et celui des obligations indexées sur l’inflation.
  2. Déclaration de Jerome Powell, Président de la Réserve fédérale devant la Commission des banques, du logement et des affaires urbaines du Sénat américain, le 23 février 2021

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