États-Unis : lire dans les pensées de la Réserve fédérale

par William De Vijlder, Group Chief Economist chez BNP Paribas

Les dernières projections des membres du FOMC reflètent l’effet d’entraînement, robuste mais temporaire, de la relance budgétaire et de la normalisation de l’activité économique du fait de la vaccination des adultes. Ils tablent ainsi sur une hausse limitée de l’inflation. Quatre d’entre eux estiment désormais que la situation justifierait un relèvement du taux des fonds fédéraux l’année prochaine. Selon sept autres, les conditions seraient réunies pour 2023. Le président de la Fed n’a pas manqué de souligner que les projections ne constituent pas les prévisions du Comité et que les données ne justifient pas un virage monétaire.

Ce message a manifestement ancré les taux d’intérêt à court terme, tandis que les rendements des obligations à long terme fluctuent entre soulagement et malaise à propos du niveau auquel le taux des fonds fédéraux pourrait se situer d’ici plusieurs années.

Depuis la réunion du Comité de politique monétaire de la Fed (FOMC), en octobre 2007, les participants – les sept membres du Conseil des gouverneurs et les douze présidents des banques de Réserve fédérale – soumettent individuellement, tous les trimestres, leurs projections économiques. Ces dernières sont réunies dans un document, le « Résumé des projections économiques ». Dans le graphique du taux des fonds fédéraux également publié à cette occasion, ces projections sont matérialisées par des points ou « dots ». C’est la raison pour laquelle les observateurs de la Fed parlent habituellement de « dots » pour désigner l’ensemble des projections.

La dernière publication, parue le 17 mars, était très attendue compte tenu de tout ce qui s’est passé depuis celle de décembre dernier : la rapidité et le très large succès de la campagne de vaccination américaine, l’amélioration des statistiques économiques et le plan de relance de USD 1900 mds. La projection médiane des membres du FOMC, relative à la croissance du PIB réel cette année, a été révisée à la hausse, de 4,2 % à 6,5 %. L’évolution de la fourchette de projections individuelles est plus significative (de 2,5-5,5 % à 5,0-7,3 %). De plus, la projection relative à l’inflation sous-jacente pour cette année s’établit à présent à 2,2 % (contre 1,8 % auparavant), dans une fourchette de 1,9 -2,5 %. L’année prochaine, elle devrait reculer à 2,0 % sous l’effet du ralentissement de la croissance à 3,3 %. Les projections reflètent donc l’effet d’entraînement, robuste mais temporaire, de la relance budgétaire et de la normalisation de l’activité économique du fait de la vaccination de la population adulte.

Sans surprise, eu égard à la hausse significative des rendements des Treasuries ces dernières semaines, l’attention s’est en grande partie portée, pendant la conférence de presse de Jerome Powell, sur les projections de taux d’intérêt et ce qu’elles impliquent pour les perspectives de politique monétaire. Quatre membres du FOMC estiment à présent que la situation justifierait un relèvement du taux des fonds fédéraux l’année prochaine. Dans les « dots » de décembre, un seul membre était de cet avis ; pour 2023, sept membres considèrent désormais que les conditions seraient réunies pour un resserrement de la politique monétaire (contre cinq en décembre), même s’ils sont toujours onze à penser que le taux directeur pourrait rester inchangé.

Le président de la Fed n’a pas manqué de souligner que les projections ne constituent pas les prévisions du Comité : « Cela ne fait pas l’objet d’une réunion ou d’un débat, d’une discussion ou d’une approbation ou même d’une déclaration du type : voilà ce qui représente, vous savez, notre fonction de réaction en tant que Comité ». Certes, l’inflation devrait accélérer cette année, du fait des effets de base et des goulets d’étranglement, mais elle devrait rester « relativement modérée » pour plusieurs raisons. L’économie américaine est très dynamique du côté de l’offre – les goulets d’étranglement ne durent pas éternellement –, certaines entreprises préféreront peut-être ne pas relever leurs prix – pour préserver ou accroître leur part de marché – et les anticipations d’inflation sont fortement ancrées autour de 2 %.

Ces déclarations n’ont pas empêché les rendements obligataires d’évoluer à la hausse le lendemain. Les investisseurs en obligations pourraient être plus préoccupés que la Réserve fédérale par un dépassement des prévisions d’inflation car celui-ci pourrait être préjudiciable à leur performance. Il s’ensuit un comportement grégaire : à l’idée que les concurrents ont réduit leur exposition au risque de taux d’intérêt, on peut être tenté d’en faire autant si on estime que l’inflation pourrait dépasser les prévisions.

Les investisseurs ont également en tête les signaux clairs envoyés par Jerome Powell sur la détermination de la Fed à agir en cas de désarrimage des anticipations d’inflation1 ou si la situation économique le justifiait. L’orientation prospective basée sur les résultats dépend, par construction, des progrès réalisés vers les objectifs de la Réserve fédérale en termes d’inflation et d’emploi. « Nous le dirons, lorsque nous estimerons – jusqu’à ce moment-là, jusqu’à ce que nous envoyions un signal, vous pouvez supposer que nous n’en sommes pas encore là. Et à mesure que nous nous en approcherons, nous donnerons à l’avance – bien à l’avance – un signal selon lequel, oui, nous sommes sur une trajectoire permettant peut-être de faire cela, d’envisager un tapering (réduction progressive des achats d’actifs) ». Ce message a manifestement ancré les taux d’intérêt à court terme, tandis que les rendements des obligations à long terme fluctuent entre soulagement et malaise à propos du niveau auquel le taux des fonds fédéraux pourrait se situer d’ici plusieurs années. Pour citer le prix Nobel Paul Krugman, lors d’un récent passage sur Bloomberg Television, il s’agit de « lire dans les pensées de la Fed ».

NOTES

  1. « Si nous voyions les anticipations d’inflation dépasser nettement le seuil de 2 %, nous ferions, bien sûr, en sorte de mener une politique monétaire permettant de nous assurer que cela n’arrive pas. Nous nous sommes engagés à ancrer les anticipations d’inflation à 2 %, ni nettement au-dessus, ni au-dessous de 2 % ». Source : Réserve fédérale, conférence de presse de Jerome Powell, 17 mars 2021.

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