Décalage

Pendant que François Hollande surmontait ses préventions pour vanter les mérites de l’entreprise en Californie, son gouvernement était confronté à la jacquerie des taxis et des intermittents qui veulent, dans leurs secteurs respectifs, qu’un système totalement anachronique perdure même si la France n’a plus les moyens de le financer.
 
Après avoir fait campagne en 2011 et 2012 contre la « finance » et contre les « riches », le chef de l’Etat a opéré depuis quelques mois un changement radical dans son discours : il admet désormais que dans une économie de marché ce sont les entreprises qui peuvent créer des richesses et des emplois. 
 
Il reconnaît aussi que la France a pris du retard et qu’il convient d’améliorer sa compétitivité. Enfin, il a pris conscience que l’innovation était cruciale pour l’avenir industriel du pays. D’où un séjour symbolique dans cette Silicon Valley américaine qui fait rêver les jeunes qui veulent « révolutionner » le monde et s’enrichir.
 
Ce changement de discours de la part de Hollande, même s’il est contraint du fait de la situation financière catastrophique de la France, est bienvenu. Il reste désormais à passer aux actes. Les doutes demeurent et ce ne sont pas les derniers événements qui vont rassurer ceux qui se demandent s’il ne faut pas quitter ce pays totalement bloqué.
 
Face à la grève des taxis, qui ont décidé de bloquer des routes pour protester contre une concurrence nouvelle qui séduit les consommateurs, le gouvernement a décidé de « reporter » les réunions de la Commission d'immatriculation des véhicules de tourisme avec chauffeur (VTC) jusqu'à la fin de la médiation en cours.
 
Face à une profession qui refuse de se remettre en cause et qui veut le maintien de son monopole archaïque, l’exécutif cède une nouvelle fois.
 
Autre sujet : l’indemnisation des chômeurs. L’Unedic, chargée de cette tâche, devrait enregistrer un déficit de 4 milliards d’euros en 2014. Selon les prévisions de cet organisme géré par les partenaires sociaux, la dette cumulée atteindra 22 milliards d’euros à la fin de cette année et 37 milliards fin 2017 si aucune réforme n’est lancée.
 
Le Medef a formulé des propositions et les syndicats sont montés immédiatement au créneau avec des termes très forts – « Une provocation », « Une déclaration de guerre » – en dénonçant notamment la suggestion de réintégrer dans le régime général le régime spécial des intermittents du spectacle.
 
Quant à la ministre de la Culture, Aurélie Filipetti, a fait preuve d’un sens de la nuance extraordinaire : « Le Medef veut tuer la culture ». Rien que ça.
 
Ce régime indemnise environ 110.000 personnes, versant plus de 1,3 milliard d’euros pour seulement 240 millions de cotisations. Cette situation n’est pas tenable. Mais, se présentant comme les défenseurs de la fameuse « exception culturelle » française, les représentants des intermittents refusent tout changement.
 
Il faut dire que le système actuel arrange beaucoup de monde : certains employeurs de l'audiovisuel  sont accusés d’embaucher des salariés sous ce statut alors qu'ils sont permanents. En clair, ce sont les autres qui paient pour quelques uns. En outre, des artistes, y compris des stars très bien payées, abusent de la situation.
 
Une réforme est indispensable mais le gouvernement ne semble pas pressé d’autant qu’il y a des échéances électorales au printemps puis des festivals.
 
Taxis, intermittents : dans la grande tradition française, des catégories ayant un pouvoir de nuisance parviennent systématiquement à empêcher toute réforme.
 
Peut-on vanter les mérites de l’innovation dans la Silicon Valley, inciter les jeunes à créer leur start-up ici, et se satisfaire d’un statu quo qui coûte des milliards d’euros au pays ? Que va penser un dirigeant d’un géant américain de l’Internet qui va se retrouver bloqué par une grève des taxis à la sortie de l’aéroport ? Que va penser un mélomane européen si son opéra à Bastille est annulé par des intermittents ? 
 
La plupart des politiques diront que ce sont des problèmes de riches. C’est oublier un peu vite que l’image est primordiale de nos jours. La France est encore une puissance économique qui compte mais la situation peut changer rapidement. 
 
En 2013, les investissements directs étrangers ont chuté de 77% ! Pourquoi ? Parce que la perception du pays est devenue négative à l’extérieur. Le défi pour Hollande est grand : il ne s’agit pas de transformer la France en Silicon Valley. Il s’agit de mettre fin à des blocages qui sont incompréhensibles pour un étranger et qui sont coûteux pour la majorité des Français.