Embellie sans lendemain ? Dessiner 2021

par Paola Monperrus-Veroni, Economiste au Crédit Agricole

Dessiner les contours du scénario de croissance en 2021 est un exercice particulièrement difficile, car contrairement à ce que nous avions fixé comme hypothèse pour notre scénario de septembre, la dynamique de la pandémie s'est envolée et nous sommes de nouveau confrontés à la question de la gestion du confinement, tout aussi généralisé ou « aménagé », soit-il.

Frapper fort sans attendre, telle est la stratégie adoptée dans plusieurs pays européens, mais pas dans tous. La diversité dans la temporalité et l’ampleur du déploiement de la deuxième vague conduisent pour l’instant à des stratégies moins invasives pour l’activité dans certains pays, voire différenciées sur le territoire national. La stratégie d’intervention rapide et sévère appliquée par le gouvernement en France est celle préconisée par le Conseil scientifique dans son dernier rapport du 26 octobre (2).

Le profil de la croissance en fin d’année et l’année prochaine dépendra très fortement de l’évolution de la pandémie (3) et des mesures choisies pour la contenir. Dans ce contexte, le calibrage du scénario doit forcément reposer sur des hypothèses sanitaires scientifiquement plausibles et sur des actions portant sur la mobilité et l’activité cohérentes avec les premières. Le dernier rapport du Conseil scientifique constitue ainsi un guide utile pour fixer le cadrage sanitaire dans lequel la décision publique devra intervenir et l’activité économique se déployer au cours des prochains mois.

La science médicale au service de l’économie

Les hypothèses sanitaires et les options de mobilité qui y sont présentées sont entourées d’un degré élevé d’incertitude, les premières étant fortement dépendantes de la réussite des deuxièmes. Cette endogénéité renforce la difficulté à estimer cette équation sanitaire dont le nombre de variables aléatoires (caractéristiques du virus, comportements individuels) comporte déjà un degré de liberté très élevé. Selon le Conseil scientifique, « il est très difficile de prévoir combien de temps va durer la deuxième vague, car cela dépend du virus lui-même, de son environnement climatique, des mesures qui vont être prises pour limiter la circulation du virus, de leur acceptation et donc de leur impact. On peut faire une hypothèse d’une sortie de deuxième vague en fin d’année ou début d’année 2021 ». L’hypothèse la plus plausible selon le Conseil est donc que « la période de confinement qui vient d’être annoncée d’une durée de quatre semaines (éventuellement prolongée sur le mois de décembre) serait suivie, selon les effets obtenus, par une période de couvre-feu sanitaire allant jusqu’au début de janvier 2021, qui préserverait certaines activités économiques et sociales, limitant les effets délétères de l’épidémie ».

L’objectif affiché par les autorités sanitaires est celui d’un retour de la circulation du virus à un niveau très contrôlé (5 000 à 8 000 nouvelles contaminations par jour maximum, soit une réduction massive du nombre de nouveaux cas). Il est très plausible que l’endiguement de la contagion soit plus long à obtenir qu’au printemps dernier, le confinement « aménagé » permettant, en effet, une mobilité encore importante des personnes. Un pilotage sur la base de cibles chiffrées permettrait de mettre en œuvre une stratégie offensive de « Tester-Tracer-Isoler » avec une plus grande chance de succès. La période de confinement servirait aussi à gagner du temps et à tirer les leçons du relatif échec de cette stratégie au cours de l’été 2020.

L’élan interrompu

Le dernier trimestre de 2020 sera donc caractérisé par une croissance négative. La préservation d’un grand nombre d’activités économiques par le confinement « aménagé » permettra néanmoins d’en réduire l’impact délétère sur la croissance, par rapport au deuxième trimestre 2020. La modification progressive des comportements de consommation et de vente dans le commerce permettrait aussi une adaptation plus rapide aux nouvelles mesures de restrictions de la mobilité, avec un moindre effet de baisse de la consommation. En revanche, le rebond qui se dessine au premier trimestre 2021, à la sortie du confinement, pourrait ne pas être calé sur l’exemple de l’été 2020, mais s’annoncer plus modéré, du fait à la fois de mesures plus durables de distanciation sociale et de comportements d’autocensure dans la mobilité.

L’acquis de croissance fin 2020 pour l’année 2021 serait alors assez faible. Sur cet acquis, c’est une dynamique de croissance heurtée qui va se construire, notamment durant tout le premier semestre.

Le Conseil scientifique nous prévient : « Il est probable que ces mesures [une stratégie offensive de « Tester-Tracer-Isoler »] même optimisées ne suffiront pas pour éviter d’autres vagues, après la deuxième. On peut ainsi avoir plusieurs vagues successives durant la fin de l’hiver/printemps 2021, en fonction de différents éléments : état climatique, niveau et efficacité opérationnelle de la stratégie Tester, Tracer, Isoler. En effet, l’immunité en population va mettre de nombreux mois à monter de façon significative et commencer à ralentir la rapidité de la circulation du virus en population générale. […] On ne sait par ailleurs pas exactement pendant quelle durée (six mois, plus ?) les personnes déjà atteintes par le Covid auraient une immunité protectrice. ».

Coupe-circuits et profil de croissance

Le premier semestre de l’année prochaine serait donc caractérisé par de nouveaux arbitrages dans la gestion de « vagues successives de recrudescence […] jusqu’à l’arrivée des premiers vaccins et/ou de traitements prophylactiques (deuxième trimestre 2021 ?). » Deux stratégies sont alors préconisées par le Conseil : « une stratégie de type « on/off » avec des mesures de restrictions successives, variables selon les territoires et pour des durées limitées, entrecoupées de mesures plus "libérales" » ; une stratégie alternative qui « consisterait, une fois le contrôle de la circulation du virus rétabli (5 000 contaminations par jour), à maintenir le virus à un taux inférieur à ce seuil », avec « des mesures fortes et précoces à chaque reprise épidémique. »

Ces mesures, ainsi que des comportements de grande prudence, d’une population qui aura intégré le caractère durable de la pandémie, impliqueront un rythme de croissance très modeste sur la première moitié de 2021. La rétention à titre de précaution d’une partie de l’épargne cumulée par les ménages limitera aussi le rebond. L’incertitude sur l’horizon de maîtrise de la pandémie pèsera sur les décisions de dépense, qu’elles soient pour investir ou consommer.

Un horizon plus dégagé sur les avancées médicales permettrait une levée de ces incertitudes et une amélioration de la conjoncture au deuxième semestre 2021. Ce scénario implique de nouvelles mesures de soutien par les autorités budgétaires nationales, en l’absence probable d’une relance additionnelle par les autorités européennes avant l’été 2021, même si une partie des dépenses prévues par le fonds de relance européen pourront être détournées de l’investissement dans l’avenir au profit du soutien plus immédiat à l’économie. Ces efforts nationaux pourraient alimenter une nouvelle discrimination accrue à l’égard des souverains plus endettés ou plus impactés par la deuxième vague. La BCE veillera par sa présence sur le marché souverain à circonscrire l’impact de cette discrimination sur les conditions de financement des États membres de la zone euro et à endiguer tout risque d’instabilité financière du marché souverain.

NOTES

  1. Cf. Monde – Scénario macro-économique 2020-2021 : tous sont égaux, mais certains sont plus égaux que d'autres… – 2 octobre 2020
  2. Une deuxième vague entraînant une situation sanitaire critique
  3. Cf. Monde – L’actualité de la semaine du 30/10/2020 article « Apprendre à vivre avec : ce que cela signifie pour le scénario de croissance »