Guerre commerciale : faut-il avoir peur ?

Cinquante milliards de dollars ! Puis 100 milliards ! Entre les Etats-Unis et la Chine, c’est à qui annoncera les taxes douanières les plus fortes sur les produits de l’autre. Cette surenchère va-t-elle déboucher sur une guerre commerciale qui remettrait en cause la croissance mondiale ?
 
Malgré la bonne tenue de l’économie américaine – qui connaît son deuxième cycle d’expansion le plus long depuis le début des statistiques du National Bureau of Economic Research (107 mois depuis le printemps 2009 contre 120 mois pour la période 1991-2001) – le président Donald Trump, élu en novembre 2016 sur un programme populiste et protectionniste, a décidé de remettre en cause un certain nombre de règles du commerce mondial.
 
Début mars, il a imposé des taxes de 25% sur toutes les importations d'acier et de 10% sur celles d'aluminium. Après des menaces de représailles, il a exclu le Canada, le Mexique et l’Union européenne du champ des pays visés. Quelques jours plus tard, dénonçant le déficit commercial avec la Chine (275 milliards de dollars), il a publié une liste de 1300 catégories de produits chinois représentant 50 milliards de dollars d’importations susceptibles d'être frappés de droits de 25%. Pékin a immédiatement riposté en listant 106 produits américains pour un même montant.
 
Fidèle à son comportement de matamore, il a évoqué des droits sur 100 milliards de dollars d’échanges commerciaux supplémentaires. 
 
Problème : contrairement à Trump, qui remet en cause le libre échange prôné officiellement par le Parti républicain, les dirigeants chinois sont rationnels et, surtout, disposent d’outils pour contraindre les Etats-Unis. D’ores et déjà, la Chine a saisi l’Organisation mondiale du commerce (OMC) en vue d’une plainte formelle et s’est dit prêtre à « aller jusqu'au bout » de cette guerre commerciale naissante « quel qu'en soit le prix. »
 
Pour Michala Marcussen, Chef économiste de Société Générale, les tensions entre les Etats-Unis et la Chine sont le facteur le plus inquiétant aujourd’hui pour l’économie mondiale. Toutefois, ajoute-elle, « même avec une guerre commerciale forte, il est difficile de retirer plus de 0,5 à 0,6 point à la croissance mondiale. Mais, si on ajoute un impact fort sur les marchés financiers, cela peut avoir un risque plus important. »
 
Le Fonds monétaire internationale (FMI) table sur une croissance mondiale de 3,9% pour 2018 et 2019. Le consensus « buy side » de ZoneFinance est à 3,6% pour 2018. En dépit des sujets d’inquiétude (commerce et endettement dans le monde, Italie en zone euro, Brexit, etc.), les planètes sont encore alignées avec des taux d’intérêt qui demeurent bas, une inflation très faible et des prix des matières premières maîtrisés.
 
Mais cet équilibre peut-il être remis en cause ? La principale incertitude est liée aujourd’hui au comportement de Trump, prompt à prendre des mesures contre les partenaires de son pays sans se soucier des conséquences.
 
Il ne s’est ainsi pas posé la question de savoir si l’économie américaine pouvait se passer de la Chine. S’appuyant essentiellement sur la consommation, les Etats-Unis ont « externalisé » la production de biens et services auprès de partenaires chinois depuis une quinzaine d’années pour avoir des prix toujours plus bas alors que les salaires des travailleurs américains ne progressaient que très faiblement. Remettre en cause cet arrangement peut se traduire par des dommages économiques et sociaux importants aux Etats-Unis. D’autant que par ailleurs la Chine investit massivement dans ce pays (45 milliards de dollars en 2016).
 
En outre, la Chine est le premier créancier des Etats-Unis, avec 1.170 milliards de dollars de bons du Trésor américain. Ce qui fait dire à certains économistes que Pékin pourrait utiliser des armes non conventionnelles dans la guerre commerciale. Mais est-ce certain ? En vendant massivement des actifs en dollars, Pékin peut précipiter les Etats-Unis en récession mais il affaiblirait du même coup son deuxième partenaire commercial.
 
Or si le rééquilibrage de l’économie chinoise – vers un modèle dépendant moins des investissements et des exportations vers un modèle basé sur la consommation interne et les services – est en cours, il est loin d’être achevé. Cette transformation, qui passe notamment par la disparition de pans entiers de l’industrie et le licenciement de millions de personnes, va provoquer des secousses sociales importantes. Selon des experts chinois, c’est cette situation qui a conduit le président Xi Jinping à vouloir concentrer tous les pouvoirs entre ses mains. Il veut pouvoir réagir vite et fort en cas de révoltes qui menaceraient la mainmise du Parti communiste sur le pays.
 
Les Etats-Unis et la Chine n’ont donc aucun intérêt à déclencher une guerre commerciale totale. C’est le pari des investisseurs. Si les marchés financiers ont connu des soubresauts, il n’y a pas eu de vraie panique pour le moment.