L’ombre portée du chômage

par William De Vijlder, Group Chief Economist chez BNP Paribas

Une baignade en Méditerranée peut révéler des surprises : si en surface la température de l’eau peut être agréable, celle des courants sous-marins est froide. Cette image correspond assez bien au sentiment actuel à l’égard de l’économie. L’effet de l’assouplissement des mesures de confinement, adoptées pour lutter contre la pandémie de Covid-19, est de plus en plus perceptible dans les données économiques, mais risque d’induire un sentiment de confort illusoire. En effet, il est très probable que les conséquences de la gravité de la crise se fassent sentir pendant de nombreux mois. Plusieurs facteurs sont à l’œuvre, tels qu’une incertitude omniprésente, l’endettement élevé des entreprises agissant comme un frein pendant la reprise[1] et la détérioration du marché du travail.

Dans leurs dernières projections, plusieurs banques centrales de l’Eurosystème prévoient que le taux de chômage l’année prochaine soit plus élevé qu’en 2020[2]. Un tel scénario implique une hausse modeste du revenu réel disponible, pesant sur la consommation des ménages et sur la croissance du PIB (graphique 1)[3]. Les anticipations jouent également un rôle. Selon une étude menée avant la pandémie auprès de ménages néerlandais, plus les anticipations de perte d’emploi sont élevées, plus la probabilité d’acheter une voiture neuve est faible. Ils ont également tendance à opter pour des véhicules meilleur marché et à accroître leur épargne[4]. Au niveau agrégé, la crise a fait s’envoler les anticipations de chômage des ménages de la zone euro. Le graphique 2 montre que, d’après les données historiques, ces anticipations sont assez bien corrélées avec la croissance de la consommation des ménages. Il existe aussi une relation étroite avec l’évaluation des perspectives d’emploi dans les enquêtes réalisées auprès des directeurs d’achat : les points de vue des employeurs sont très proches de ceux des salariés. L’on pouvait supposer que, dans le monde de l’après-confinement, le rebond de l’activité entraînerait une amélioration des données sur la confiance.

Ce processus a déjà commencé, les chiffres du mois de mai étant moins mauvais que ceux d’avril. Mais, à en juger par le niveau toujours très faible du sentiment économique, la croissance des dépenses sera loin d’être dynamique, d’autant plus que de grandes entreprises européennes ont annoncé récemment d’importantes suppressions d’emplois. Le chômage est un indicateur retardé, comme l’annonce de ces mesures est venue le rappeler. Les entreprises peuvent, dans un premier temps, préférer conserver leur personnel et recourir aux dispositifs de chômage partiel, mais si elles estiment que les perspectives restent sombres et très incertaines, elles finiront par supprimer des emplois. Cela pèse non seulement sur les décisions de consommation de ceux qui perdent leur travail, mais aussi sur celles des autres. En Espagne, les ménages dont le premier apporteur de revenu a toujours un emploi réduisent, néanmoins, leur consommation de 0,7 % par point d’augmentation du taux de chômage. « Ce comportement n’est pas dû à la baisse du revenu actuel des ménages, mais plutôt au chômage agrégé, qui jette une ombre sur les anticipations de revenu futur »[5]. Cela montre l’importance primordiale de la psychologie dans les décisions économiques, les entreprises et les ménages s’influençant réciproquement.

NOTES

  1. Voir « L’endettement élevé des entreprises : un frein pendant la reprise », Ecoweek, BNP Paribas, 12 juin 2020
  2. Banque de France, Bundesbank, Banque d’Italie et Banque d’Espagne
  3. Ce graphique est basé sur les données annuelles 2001-2019 pour l’Autriche, la Belgique, la Finlande, la France, l’Allemagne, la Grèce, l’Irlande, l’Italie, le Luxembourg, les Pays-Bas, le Portugal et l’Espagne.
  4. Source : Yuri Pettinicchi et Nathanael Vellekoop, Job Loss Expectations, Durable consumption and household finances: evidence from linked survey data, document de travail SAFE n°249, 2019
  5. Source : Rodolfo G. Campos et Iliana Reggio, Consumption in the shadow of unemployment, document de travail de la Banque d’Espagne n°1411, 2014

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