La fin des BRICS ?

La Russie traverse une crise économique profonde, le Brésil subit une panne inquiétante tandis que l’Inde stagne et que la Chine voit ses taux de croissance se « normaliser ». Est-ce la fin des grands pays émergents ? En réalité, les situations ne sont pas comparables et ces puissances demeureront même si de nouveaux pays veulent prendre leur relais.
 
Dans son dernier panorama, la Coface estime que les BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud) devraient enregistrer en 2014 une croissance du PIB inférieure en moyenne de 3,2 points au taux moyen enregistré au cours la décennie précédente.
 
Pour Yves Zlotowski, économiste en chef de l’assureur-crédit, les plus grands pays émergents ont bénéficié d’une « dynamique de rattrapage » et ils ont « une capacité plus forte à résister aux chocs externes » grâce à une situation financière plutôt bonne.
 
Les raisons pour lesquelles ces pays sont « en panne » diffèrent. 
 
Alors que son économie se dégrade depuis un an déjà, la Russie affronte actuellement les Occidentaux au sujet de l’Ukraine. Les Etats-Unis et les Européens ont commencé à imposer des sanctions et, faute d’accord préservant l’intégrité territoriale de l’Ukraine, ils ont prévu de prendre d’autres mesures, ce qui devrait contribuer à isoler politiquement Moscou et à l’affaiblir économiquement.
 
La Banque mondiale alerte déjà sur la « fuite de capitaux » en prévoyant qu’elle pourrait atteindre 150 milliards de dollars cette année contre 62,7 milliards l’an dernier.
 
S’il est très prudent sur la notion de « fuite de capitaux », Yves Zlotowski note qu’il y a « un problème de confiance des Russes dans leur propre économie ». Conséquence, le pays n’investit pas suffisamment pour son développement et dépend surtout de ses exportations de matières premières, en particulier de pétrole et de gaz.
 
S’agissant du Brésil, il est confronté à des difficultés structurelles. Faute d’avoir pu mener à bien des réformes en profondeur, il subit aujourd’hui une croissance molle (inférieure à 2% en 2014), une inflation inquiétante (5,6% en janvier) et des déficits publics difficiles à résorber faute d’une activité forte.
 
L’Inde est un cas particulier : tout le monde rêve de voir ce pays disposant d’atouts majeurs (démographie, éducation, etc.) jouer un rôle majeur dans l’économie mondiale mais les espoirs sont toujours déçus. La classe politique n’est clairement pas au niveau, de l’aveu même des chefs d’entreprise indiens qui déplorent la bureaucratie inefficace, la corruption, l’absence de vision. Le pays est donc condamné à vivoter.
 
La situation en Chine est particulière. Est-ce encore un pays émergent ? Pour l’économiste Antoine Brunet, « la Chine est en train de contester l’hégémonie des Etats-Unis et on peut donc plus dire que c’est un pays émergent ».
 
Les économistes de la Coface soulignent que la qualification de « pays émergents » est liée au niveau de développement mais aussi aux questions de gouvernance. Et de ce point de vue, la Chine n’est clairement pas au niveau des pays occidentaux.
 
Sur le fond, les dirigeants chinois ont décidé de faire évoluer le modèle économique pour moins dépendre des exportations. Cela pèse actuellement sur la croissance, qui va retomber autour de 7% à 7,5%. Est-ce un taux suffisant pour maintenir la cohésion sociale ? C’est tout l’enjeu pour le Parti communiste chinois.
 
Les pays émergents traversent une période de doute. L’annonce par la Réserve fédérale américaine l’an dernier de sa décision de réduire son soutien à l’économie nationale a fait vaciller ces puissances en devenir avec le retrait subit de fonds internationaux. 
 
Mais on est loin de la fin des années 1990 quand les pays d’Asie et d’Amérique du Sud étaient très endettés et dépendaient des Occidentaux et des institutions internationales comme le FMI et la Banque mondiale pour leurs financements. Ils ont fait des efforts pour assainir leurs finances publiques et la plupart d’entre eux ont des réserves de chance colossales (près de 4.000 milliards de dollars pour la Chine !).
 
Malgré le rattrapage de ces des dernières années, les pays émergents sont encore loin des niveaux de vie occidentaux. Le PIB par habitant de la Russie en dollars en parité de pouvoir d’achat représente seulement 35% de celui des Etats-Unis. Le Brésil et l’Afrique du Sud sont autour de 20%, la Chine n’a pas encore atteint ce seuil et l’Inde est à peine au-dessus de 5%.
 
Ces pays manquent encore d’infrastructures et ils ont besoin d’investir massivement pour donner du travail à une population jeune et en croissance.
 
Pendant que les BRICS  s’interrogent, d’autres pays commencent à émerger. La Coface a dressé une liste de 10 pays susceptibles de prendre le relais : Philippines, Pérou, Indonésie, Colombie, Sri Lanka, Kenya, Tanzanie, Zambie, Bangladesh et Ethiopie.
 
Ces pays bénéficient d’une croissance potentielle élevée en accélération avec, en outre, une économie diversifiée et pouvant résister aux chocs externes. De plus, ils ont des capacités suffisantes pour financer leur croissance sans risque de bulle de crédit.
 
Parmi ces 10 pays, cinq – Pérou, Philippines, Indonésie, Colombie et Sri Lanka, déjà baptisés « PPICS » – sont mieux armés car bénéficiant d’un climat des affaires convenable, comparable à celui des BRICS aujourd’hui.
 
Pour autant, et Coface le reconnaît, il ne faut pas attendre de bouleversement. Les 10 pays cités ne représentent que 11% de la population mondiale alors que les BRICS totalisaient 43% en 2001 et leur PIB n’atteint que 70% de celui des BRICS à l’époque. Enfin, les BRICS avaient en moyenne un excédent de la balance courante alors que les « nouveaux émergents » accusent un déficit de 6% du PIB environ.
 
Mais les 10 pays affichent des taux d’inflation inférieurs en moyenne de 2,8 points et la leur dette publique est proche de 40% du PIB contre 54% pour les BRICS en 2001.
 
Le grand mérite de l’étude de l’assureur-crédit est de montrer que les opportunités se trouvent toujours dans ce bloc que l’on nomme « émergent ». 
 
Les pays occidentaux sont confrontés à un vieillissement de la population. Si les Etats-Unis font tout pour attirer à eux cerveaux et capitaux afin d’être leader dans l’innovation, l’Europe et le Japon ont tendance à se replier sur eux-mêmes afin d’essayer de préserver les acquis de leur population.
 
Après leur coup d’arrêt actuel, il ne fait guère de doute que les BRICS vont tenter de lancer des réformes pour repartir de l’avant. Suivant leur exemple, de nouveaux pays, en Asie, en Amérique du Sud et en Afrique prennent le relais.
 
Les BRICS en tant que tels vont peut-être disparaître mais les pays émergents vont acquérir une puissance économique de plus en plus grande. Et c’est une bonne nouvelle pour l’ensemble de la planète.