Vers le capitalisme centralisé ?

La montée du populisme dans plusieurs pays pourrait-elle fissurer le modèle social européen et conduire à des chocs sociaux et politiques violents ? Dans son livre « Du rêve de la mondialisation au cauchemar du populisme » (Editions Renaissance du Livre), Bruno Colmant lie de manière convaincante les bouleversements économiques et la vague de colère des électeurs.
 
« Les rafales de crises économiques et sociales, dont la mutation est permanente, placent aujourd’hui notre continent devant les défis socio-économiques extrêmement importants. La croissance économique s’illustre par sa faiblesse, probablement liée au vieillissement de la population, tandis que les Etats conservent des systèmes sociaux dont la seule garantie est l’espoir d’une croissance future et de prélèvements fiscaux qui seront déçus », écrit l’économiste, Head of Macro-Research chez Degroof Petercam et membre de l’Académie royale de Belgique, pour expliquer les enjeux.
 
Peut-on se « raccrocher à une époque révolue que seule la croissance d’après-guerre avait autorisée » alors que la crise de 2008 – « coup de semonce de ce qui arrive » – n’en finit pas car « elle ne peut pas finir » ? 
 
Si Bruno Colmant traite de l’actualité, en particulier des « Gilets jaunes » français, son analyse de « cette espère de rancœur sociale qu’on appelle populisme », comme il l’a souligné lors d’une récente rencontre à Paris, permet une plongée dans l’histoire économique.
 
Pour lui, la période néo-libérale – qui a succédé au tournant des années 1980 à « la décennie maudite » des années 1970 (choc pétrolier, apparition du chômage de masse, inflation très forte, etc.) et aux « Trente Glorieuses » de l’après-Guerre – est en train de se clore. Il note que les deux pays qui ont déclenché la vague du néo-libéralisme (le Royaume-Uni de Margaret Thatcher et les Etats-Unis de Ronald Reagan) s’en détournent. L’un a voté le Brexit pour sortir de l’Union européenne et l’autre a choisi pour président un Donald Trump qui se définit lui même comme un « nationaliste. »
 
Va-t-on assister à un retour en arrière ? Bruno Colmant fait remarquer que la vague néo-libérale a disqualifié les Etats et l’Etat-providence. Et aussi qu’on a subordonné les Etats aux marchés financiers. De fait, pour sortir de la crise de 2008, les Américains ont rejeté ce qu’ils appelaient les solutions des « socialistes de marché » alors que les Européens ont demandé le soutien de l’Etat. Conclusion : « Le mécontentement va augmenter », souligne-t-il. D’autant que la croissance économique a ralenti et qu’elle devrait être « autour de 1% par an au cours des dix prochaines années.
 
Face à cette situation, l’économiste observe une mutation du modèle politique avec un système plus présidentiel aux Etats-Unis où l’exécutif accapare de plus en plus de pouvoir depuis l’élection de Donald Trump. De sorte que, « face au capitalisme chinois centralisé par le Parti communiste, il y a le capitalisme américain contrôlé par la Maison Blanche. » Et l’Europe ? Il déplore l’absence de « vision structurelle de ce que doit être l’Europe. »
 
Avant le scrutin de fin mai destiné à renouveler le Parlement européen, les dirigeants politiques devraient lire cet ouvrage qui explique les mouvements à l’œuvre depuis plusieurs décennies.