Coronavirus : propagation internationale et risque de perte extrême (tail risk)

par William de Vijlder, Chef économiste chez BNP Paribas

La diffusion internationale du coronavirus oblige à en réévaluer les conséquences pour l’économie mondiale. L’épidémie, qui combine chocs de demande, d’offre et de confiance, a un impact direct sur l’économie touchée par le virus via la baisse des dépenses et de la production (fermeture des usines et des bureaux, restrictions concernant les voyages). Cela, à son tour, crée des effets indirects au plan international : les partenaires commerciaux accusent une baisse des exportations vers les pays frappés par l’infection mais la rupture des chaînes d’approvisionnement peut aussi entraîner une chute de la production. L’impact global dépend de la taille du pays et de sa place dans la chaîne d’approvisionnement, d’où les inquiétudes entourant l’évolution de la situation en Chine.

On retrouve ces mêmes canaux de transmission dans tous les pays où le virus se propage mais l’effet marginal de la diffusion internationale de l’épidémie sur l’économie mondiale devrait, a priori, être assez limité. En effet, des pays comme l’Italie dont le poids est de loin moins important que celui de la Chine devraient générer des effets indirects moins élevés. Dans le cas de l’Italie, l’impact au plan régional peut, néanmoins, être plus significatif, son économie représentant 15 % du PIB de la zone euro.

La forte baisse des marchés actions après l’annonce de la propagation internationale du virus est survenue alors que des nouvelles encourageantes venaient de Chine concernant les nouveaux cas de contamination et la reprise progressive de la production, à l’exception de la province de Hubei. Cela signifie également que les marchés actions ont enregistré, récemment, de meilleures performances en Chine qu’en Europe ou aux Etats-Unis. Le net recul de l’appétit pour le risque, qui s’est également traduit par un raffermissement de l’euro face au dollar, reflète une inquiétude grandissante : sous l’effet de la diffusion internationale de la maladie, les conséquences pour la croissance mondiale pourraient, in fine, être plus sévères qu’on ne le supposait jusque-là.

Si l’on se réfère aux calculs du FMI, l’épidémie n’a entraîné qu’une faible révision à la baisse de la croissance mondiale de 0,1 % pour cette année. Cependant, les données empiriques s’accumulent, montrant l’importance de l’impact sur les entreprises. Les prévisions de résultats ont été revues à la baisse, voire supprimées, en raison de l’absence de visibilité. Les analystes aussi ont revu à la baisse leurs anticipations de bénéfices. Certaines entreprises ont annoncé des mesures de réduction des coûts pour limiter l’impact sur leurs résultats. Ces évolutions propres aux entreprises viennent alimenter les craintes d’une sous-estimation de l’impact macroéconomique global. Paolo Gentiloni, commissaire européen aux affaires économiques et monétaires, a déclaré, et cela en dit long, qu’il est encore trop tôt pour évaluer pleinement l’impact du coronavirus.

La forte hausse de l’aversion au risque parmi les investisseurs pourrait également être due à l’inquiétude grandissante liée au risque de perte extrême (tail risk). Des évolutions peu probables finissent ainsi par modifier de façon disproportionnée les comportements. Il en va de même de l’attitude des consommateurs. Leurs inquiétudes liées à l’infection seraient telles que l’on pourrait assister, par mesure de précaution, à un repli de la demande. Cette réaction (« la sécurité d’abord ! ») crée un décalage entre le nombre d’infections et l’impact macroéconomique. Ce risque revêt une importance particulière pour le secteur du tourisme, les gens s’abstenant de voyager, y compris pour raisons professionnelles, non du fait de contraintes de revenu mais par peur pour leur santé ou en raison de l’annulation de conférences internationales pour ces mêmes motifs. Cela peut, à son tour, avoir des effets indirects sur d’autres secteurs[1]. Les préoccupations liées à la santé peuvent également affecter l’offre, notamment lorsque les employés doivent rester chez eux en quarantaine, pour eux-mêmes ou leurs enfants, même si, et il convient de le rappeler, dans de nombreux secteurs les technologies de l’information et de la communication permettent le télétravail, limitant ainsi, quelque peu, cet effet[2]. Enfin, les évolutions sur les marchés financiers pourraient jouer un rôle d’accélérateur et contribuer à la détérioration des perspectives de croissance. Si les entreprises sont dans l’incapacité de produire ou d’expédier leur production, ou si elles sont confrontées à une baisse de la demande, des tensions peuvent apparaître en termes de besoin en fonds de roulement. C’est ce que l’on observe de plus en plus en Chine. Une chute des bénéfices peut entraîner une dégradation de la notation, faisant ainsi grimper les coûts de financement. Ces derniers peuvent également augmenter lorsque les investisseurs se détournent du marché des obligations d’entreprise, entraînant un élargissement significatif du spread, comme ce fut le cas cette semaine.

NOTES

  1. Selon les données d’Eurostat, le secteur européen du tourisme (fournisseurs traditionnels de voyages et de prestations touristiques) englobe 2,4 millions d’entreprises, essentiellement des petites et moyennes entreprises (PME), et emploie quelque 13,6 millions de personnes. Compte tenu des liens étroits avec d’autres secteurs économiques, la contribution du secteur du tourisme en termes d’emplois est encore plus élevée avec 27,2 millions de travailleurs (11,7 % de l’emploi total) et 10,3 % du PIB.
  2. Un article publié récemment dans le Financial Times fait état d’une étude réalisée par Marcus Keogh-Brown et Richard Smith, selon laquelle « l’absentéisme prophylactique » ou le fait de rester chez soi pour éviter l’infection, serait à l’origine de la majeure partie de l’impact économique. Source : Overreaction to the epidemic risks economic sickness, Robert Harding, Financial Times, 26 février 2020.

Retrouvez les études économiques de BNP Paribas