Etats-Unis : le sens de la prudence

par Alexandra Estiot, Economiste chez BNP Paribas

Après trois trimestres décevants, la croissance devrait rebondir au troisième trimestre. Au-delà, les incertitudes sont importantes, même si la vigueur de l’emploi continuera de donner le « la ».

L’inflation, qui avait connu une accélération bienvenue, marque le pas, comme la progression des salaires avant elle. Des freins – appréciation du dollar, recul des prix du pétrole – se lèvent, sans que n’apparaissent de pressions à la hausse.

Les membres du FOMC s’accordent plus ou moins sur le diagnostic et sur la nécessité d’être prudents. C’est la forme à donner à cette prudence qui les divise : hausse graduelle des taux ou statu quo prolongé…

Le Comité de politique monétaire de la Fed (FOMC) se réunit la semaine prochaine, réunion qui sera accompagnée de la mise à jour des projections économiques et sera suivie d’une conférence de presse de sa présidente, Janet Yellen. Ces réunions « riches » (quatre par an, à la fin de chaque trimestre) sont généralement vues comme les plus propices aux inflexions de politique, les opportunités de clarification des décisions étant nombreuses, contrairement aux autres réunions qui ne donnent lieu qu’à la publication d’un communiqué relativement succinct. En amont de la fenêtre de tir que constitue la réunion des 20 et 21 septembre, il est donc utile de faire un tour d’horizon de la conjoncture américaine.

Activité : un rebond, mais de quelle ampleur ?

La révision des comptes nationaux pour le deuxième trimestre a déçu. En première estimation, la croissance du PIB ressortait à 1,2% au T2 (taux trimestriel annualisé). La variation des stocks étant l’un des points noirs de la croissance, alors même que c’était déjà le cas pour les quatre trimestres précédents, une révision en hausse était attendue. Elle fût en baisse (à 1,1%), le frein constitué par les stocks étant plus important encore (contribution de -1,3 point, contre -1,2 pt en première estimation). De manière générale, les dépenses des entreprises ont été la principale source de faiblesse de la demande ces derniers trimestres, avec un nouveau recul de 0,9% des investissements fixes au T2, baisse qui dépasse désormais le seul secteur énergétique.

Il s’agit tout de même de noter quelques points positifs. Les dépenses des ménages demeurent très dynamiques, avec une progression de 4,4% de la consommation. Par ailleurs, bien que les résultats des entreprises continuent de reculer, un point d’inflexion pourrait intervenir prochainement. C’est en tout cas le message du rebond des cash-flows, qui, dans un contexte de conditions monétaires et financières toujours très souples, pourrait nourrir une reprise de l’investissement. Ce dernier reculait d’ailleurs moins au T2 qu’au cours des deux précédents trimestres (-0,9% contre -3,4% en moyenne).

Pour le troisième trimestre, une accélération de la croissance semble assurée. Les différents modèles de nowcasting (prévision instantanée des performances trimestrielles sur la base de données mensuelles, voire à fréquence plus haute) indiquent une croissance comprise entre 2,8% (Fed de New-York) et 3,6% (Fed de Saint Louis). Le modèle de la Fed d’Atlanta, généralement très précis, annonce 3,3%. La consommation des ménages devrait rester un moteur. En juillet, elle progressait de 0,3% en termes réels et, si elle avait conservé en août et septembre le rythme des douze derniers mois (0,2%), sa progression ressortirait à 3,8% au T3, « assurant » 2,6 points de croissance au PIB. On peut par ailleurs parier sur un rebond de l’investissement résidentiel, après une baisse surprise au T2, ainsi que des dépenses publiques. Finalement, il est difficile d’envisager une nouvelle contribution négative des stocks, notamment avec le ralentissement de leur contraction dans le secteur manufacturier. Au final, le suspense se résume aux performances de l’investissement des entreprises et du commerce extérieur. Pour le premier, la progression récente des nouvelles commandes de biens durables (hors aéronautique et équipements militaires) est rassurante sans être enthousiasmante. Pour le second, les données mensuelles indiquent une nouvelle contribution négative, mais la stabilisation des exportations en volume (hors produits pétroliers), après plus d’un an de recul, pourrait indiquer que l’industrie américaine bénéficie de la fin de l’appréciation du dollar.

Les perspectives d’activité pour la suite sont plus floues. Les facteurs de soutien sont peu nombreux, et pour certains, il s’agit davantage de moindres freins, comme l’évolution du dollar et des prix du pétrole ou la politique budgétaire. Au final, c’est bien du marché du travail que dépend la croissance. Ce dernier a connu des évolutions assez erratiques au début de l’été pour ensuite se stabiliser. Soixante-et-onze mois consécutifs de progression des effectifs salariés pour un total de plus de 14 millions de postes créés, un taux de chômage inférieur à 5% sont autant de signes d’un marché dynamique. Pourtant, les marges pour une nouvelle amélioration existent, comme l’indiquent des mesures plus larges du sous-emploi dont le message est confirmé par des salaires toujours sages, trop sages…

L’inflation reste limitée

La faiblesse (certes relative comparée à celle de ces dernières années) des salaires s’ajoute à d’autres facteurs pour contraindre la formation des prix : l’appréciation passée du dollar, la faiblesse des prix du pétrole, la persistance d’un output gap négatif et des anticipations d’inflation qui, quelle que soit leur mesure, demeure déprimée. L’inflation reste ainsi limitée. Mesurée par le glissement annuel du déflateur de la consommation privée (indice PCE), elle reste proche de 1% depuis le début de l’année, évoluant sous l’objectif de 2% de la Fed pour le cinquante-et-unième mois consécutif. Hors énergie et produits alimentaires, les prix sont un peu plus dynamiques, avec une inflation sous-jacente de 1,6%. La quasi- totalité des mesures qui tentent de capter la tendance sous-jacente conduisent au même diagnostic, qui est par ailleurs très proche de celui qu’on peut poser sur l’évolution récente de salaires : après une certaine accélération au deuxième semestre de 2015, l’inflation se stabilise à un niveau peu élevé voire perd de nouveau du terrain.

Quelle politique monétaire ?

Le diagnostic d’une croissance relativement atone, n’ayant pas permis d’absorber l’ensemble des capacités excédentaires et nécessitant une politique monétaire accommodante est largement partagé au sein du FOMC. La prudence est aussi une résolution commune, à une exception notoire1 près. En revanche, au sein même du Conseil des gouverneurs, les actions qui permettraient de satisfaire à ces critères ne sont pas unanimes. Présidente et vice- président semblent penser qu’une nouvelle hausse de taux dans les prochains mois conserverait à la politique monétaire américaine son caractère extra-accommodant, tout en permettant une normalisation assez graduelle pour être qualifiée de prudente. Lael Brainard, en revanche, plaide pour le statu quo. Si, comme Janet Yellen et Stanley Fisher, elle reconnaît que la politique monétaire doit répondre aux évolutions conjoncturelles anticipées – et non à celles observées – elle doute de la fiabilité des modèles qui annoncent une accélération de l’inflation suite à la chute du taux de chômage. Ils ont, de fait, prouvé leurs limites ces dernières années. Aux incertitudes pesant sur l’économie américaine, notamment du fait d’une sensibilité accrue à l’évolution du reste du monde, Lael Brainard ajoute l’incertitude entourant le niveau d’équilibre du taux d’intérêt neutre, ainsi que celle pesant sur la pente de la courbe de Phillips. Alors que, selon elle, la politique monétaire a des capacités bien plus importantes à freiner une croissance devenue trop dynamique qu’à relancer une conjoncture qui se ferait morose, la prudence dicterait au FOMC de ne rien faire. Et ce d’autant plus qu’un resserrement monétaire, en conduisant le dollar à la hausse, pourrait avoir des effets restrictifs démultipliés.

NOTES

  1. La Présidente de la Fed de Kansas City, Esther L. George, continue de redouter les risques qu’une politique trop accommodante fait planer sur la stabilité financière.

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