Etats-Unis : Reflation ?

par Alexandra Estiot, Economiste chez BNP Paribas

Les indicateurs conjoncturels sont très bien orientés. En parallèle, l’inflation rebondit.

Toutefois, ces résultats pourraient n’être dus qu’à des facteurs temporaires…

… et s’interprètent surtout comme un rattrapage, après un trou d’air prolongé.

Les données publiées cette semaine illustrent un rebond de l’activité et de l’inflation. Il est pourtant trop tôt pour y voir les premiers signes de la reflation attendue par certains… Le rebond de l’inflation est très certainement impressionnant, la vigueur des ventes de détail rassurante et le redressement des enquêtes, notamment dans le secteur manufacturier, encourageant. Il s’agit cependant de ne pas sur-interpréter ces indicateurs et de ne pas oublier les risques. Alors qu’au cours de l’été dernier, le glissement annuel des prix à la consommation se limitait à environ 1%, il était de 2,5% en janvier, un rythme qui correspond plus ou moins à l’objectif de la Fed. Ce dernier est défini non sur l’indice des prix à la consommation (IPC) mais sur celui des dépenses de consommation privée (indice PCE), moins volatil ; historiquement, une inflation PCE de 2%, soit le rythme visé par la Fed, correspond à une inflation IPC d’environ 2,5%. Comme dans la zone euro1, il faut avant tout voir dans l’accélération de l’inflation l’effet du rebond des prix du pétrole. La composante énergie de l’IPC reculait, en glissement annuel, d’environ 10% au cours de l’été 2016 ; en janvier 2017, sa progression était de plus de 11%. L’énergie, qui pesait alors sur l’inflation à hauteur d’environ 0,7point de pourcentage, la tire aujourd’hui à hauteur de 0,8 pp. On retrouve ainsi la totalité de l’accélération des prix. Et en effet, l’inflation sous-jacente, soit hors produits alimentaires et énergie, est restée globalement la même depuis cet été, à 2,3%.

En février, les effets de base des prix de l’énergie resteront aussi forts qu’en janvier, et ce n’est qu’à partir du mois de mars que, progressivement, ils s’estomperont. Si les prix du pétrole venaient à se stabiliser à leurs niveaux actuels, la contribution de la composante énergie se normaliserait à compter du mois de mai, oscillant entre 0,2 et 0,4 pp jusqu’en fin d’année. L’inflation restera donc tirée vers le haut, mais dans une moindre mesure, par l’énergie. Quant aux prix sous-jacents, ils dépendent avant tout du dynamisme des salaires. Le marché du travail, malgré un dynamisme non démenti, tarde toujours à générer une croissance soutenue des salaires. L’économie américaine crée des emplois depuis octobre 2010, soit plus de quinze millions de postes en un peu plus de six ans. Pourtant, les salaires conservent une évolution des plus sages. Notre mesure préférée – le salaire horaire moyen des personnels non-cadres affectés à la production – ne progresse que de 2,4%. En 2006-2007, lorsque le taux de chômage était aussi peu élevé qu’aujourd’hui (4,8%), les rémunérations progressaient à un rythme proche de 4%. Il faut y voir le jeu d’un sous-emploi résiduel. Le déficit d’emplois, malgré les performances impressionnantes ces dernières années, reste important. Si, à compter de la fin 2007, les créations d’emplois avaient été suffisantes à absorber les nouveaux entrants sur le marché du travail (nets des sortants), les effectifs salariés du secteur non agricole seraient aujourd’hui d’environ 6,5 millions supérieurs à ce qu’ils sont effectivement. Si ce constat permet de nuancer les craintes d’une poussée inflationniste, il conditionne aussi la normalisation du marché du travail à la vigueur de la demande.

Ici, l’évolution récente des ventes de détail est très encourageante. Ces données, publiées en valeur, sont volatiles, et pour isoler les effets volume des effets prix, il s’agit de les réduire à leur « cœur ». Le « groupe de contrôle », qui exclut du total les ventes de véhicules, de carburants, ainsi que les services alimentaires et les matériaux de construction, et suit ainsi de plus près la consommation de biens au sens de la comptabilité nationale, enregistre une accélération ces derniers mois. Annualisée sur trois mois, leur progression était de 3,5% en janvier, contre 1,2% en septembre 2016.

Pour l’heure, la production manufacturière, tout en se redressant, ne suit pas une évolution aussi dynamique. En janvier, l’activité progressait de 2,2% (rythme annualisé sur trois mois), après une année de quasi-stagnation. Mais les perspectives sont définitivement encourageantes. En premier lieu, la chute des stocks appelle un rebond de la production. Le ratio des stocks aux ventes est ainsi passé de 1,40 en mai à 1,35 en décembre. En second lieu, les enquêtes enregistrent en ce début d’année un redressement très marqué. En janvier, l’indice ISM pour le secteur manufacturier a atteint 56, enregistrant une hausse cumulée de 6,6 points en cinq mois, tirée par des composantes solides : production (+12,1) et nouvelles commandes (+11,5). Les enquêtes des Fed de New-York et de Philadelphie annoncent une nouvelle poussée en février.

Notre indice composite, le NEM – les données sont pondérées et reconstruites en suivant la méthode de calcul utilisée par l’ISM – a gagné 1,6point entre janvier et février. Le redressement est spectaculaire depuis le creux de l’été, et, à 55,3 en février, l’indice NEM atteint son plus haut depuis la fin de 2014 … soit lorsque la chute des prix du pétrole et l’appréciation du dollar commençaient à peser sur l’activité industrielle américaine. On peut alors lire le rebond anticipé comme un rattrapage de la faiblesse de croissance subie par l’économie américaine entre la fin de 2015 et la mi-2016. Bienvenue, mais pas miraculeuse. Pourtant, depuis l’élection de Donald Trump, les taux hypothécaires ont gagné environ 65 points de base, assez pour craindre un ralentissement dans le secteur de la construction. Alors, oui, nous assistons à une embellie conjoncturelle. Les facteurs explicatifs pourraient n’être que temporaires, alors que la force du dollar limite les marges de rebond du secteur manufacturier, dont la compétitivité externe souffre par ailleurs d’une ré-accélération des coûts unitaires du travail. Trop tôt pour sabler le champagne.

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