Fonds souverains : menace chinoise ?

 
L’entrée de la State Administration of Foreign Exchange (SAFE) à hauteur de 1,6% dans le capital de Total a été banalisée par le groupe pétrolier français mais c’est un événement majeur. Le montant en jeu (1,8 milliard d’euros, selon le Financial Times) est modeste. Mais l’identité de l’acteur ne peut laisser indifférent alors que la politique des fonds souverains des pays émergents soulèvent des interrogations.
Car la SAFE n’est pas un fond souverain comme un autre : c’est une agence qui dépend directement de la Banque centrale chinoise dont elle est chargée de faire fructifier une partie des énormes réserves de changes (1.650 milliards de dollars, soit 1.050 milliards d’euros à la fin du mois de février). Son pouvoir financier est donc pratiquement gigantesque alors que les autorités chinoises semblent vouloir gérer de façon plus active des réserves surtout investies en obligations américaines.
Ces derniers mois, les Occidentaux regardaient surtout la China Investment Corp (CIC), qui a pris des participations dans le fonds d’investissement Blackstone et dans la banque Morgan Stanley aux Etats-Unis. Elle serait aussi intéressée par la banque allemande Dresdner, contrôlée par le géant de l’assurance Allianz. CIC dispose de 70 à 80 milliards de dollars. Une somme appréciable pour prendre des “tickets” dans de grandes entreprises occidentales. Mais clairement insuffisante pour prendre le contrôle de grands groupes pesant de 30 à 150 milliards de dollars.
Avec la SAFE, on change de dimension. Sa force de frappe est considérable. Surtout, l’apparition dans le monde de la finance d’un acteur dépendant directement du pouvoir politique inquiète. “C’est un élément nouveau : jusqu’ici les fonds souverains expliquaient qu’ils étaient des investisseurs de long terme uniquement préoccupées par le rendement. Avec SAFE, cette plaisanterie ne tient plus. C’est un fond qui obéit clairement à une stratégie politique. Reste à savoir ce que SAFE veut faire chez Total”, explique un économiste connaissant bien le monde financier chinois.
Total, dont la capitalisation boursière est d’environ 120 milliards d’euros, a de nombreux atouts, en particulier une rentabilité enviable (résultat net ajusté de 12,2 milliards d’euros en 2007). Au 31 décembre 2007, ses réserves de pétrole étaient de 10.449 millions de barils alors que sa production était de 2,391 millions de barils par jour. La durée de vie de ses réserves ressort à 12 ans.
On mesure l’intérêt d’un tel actif pour une Chine à la recherche de pétrole pour pouvoir maintenir sa croissance économique exceptionnelle (11,4% en 2007 et 10% en moyenne par an depuis 2003) et indispensable pour sortir des millions de personne de la pauvreté et éviter ainsi une explosion sociale. Les entreprises chinoises parcourent le monde, en particulier l’Afrique, pour trouver des matières premières.
Cette quête peut-elle aller jusqu’à l’acquisition d’une grande société pétrolière occidentale ? En 2005, la China National Offshore Oil Company (Cnooc) a essayé de prendre le contrôle du septième groupe pétrolier américain Unocal pour 18,4 milliards de dollars (15 milliards d’euros à l’époque). Cette opération avait échoué face à l’opposition du pouvoir politique. Tout le monde, de la CIA au Congrès, avait été mobilisé pour insister sur les dangers d’une telle transaction.
La SAFE pourrait-elle se lancer à l’assaut de Total ? Cela fait plusieurs années que les autorités chinoises courtisent le groupe français. En 2004, Total avait signé un accord avec le géant chinois Sinopec pour exploiter ensemble 200 stations services entre Beijing et Dongbei. Plus récemment, en décembre, Sinopec a fait entrer le groupe pétrolier français à hauteur de 40% dans deux blocs d’exploration au Yémen. Cette stratégie donne l’impression que les Chinois veulent apprendre auprès d’une compagnie pétrolière occidentale dont la gestion est unanimement saluée.
Que peut faire l’Etat français face à une telle tentative de prise de contrôle ? Rien, selon des analystes et des économistes. Le capital n’est pas contrôlé et le premier actionnaire, Albert Frère, détient environ 5,3%. Une offre généreuse pourrait donc faire basculer les investisseurs institutionnels.