Grèce : dos au mur !

par Olivier Bizimana et Bénédicte Kukla, économistes au Crédit Agricole

Depuis plusieurs semaines, une grande incertitude entoure la nature du soutien ou de l’intervention des institutions européennes en faveur de la Grèce. Pour l’instant, ce soutien est politique. Les vingt-sept chefs d’Etat et de gouvernement de l’Union Européenne (UE), réunis le jeudi 11 février à Bruxelles, se sont en effet engagés à soutenir la Grèce en cas de besoin, en contrepartie d’efforts supplémentaires et d’engagements fermes pour assainir ses finances publiques.

Les ministres des finances de la zone euro (Eurogroup) et de l’UE (conseil Ecofin) ont entériné le plan de stabilité grec et les recommandations de la Commission Européenne, mais ils ont également exigé davantage de précisions quant aux mesures déjà annoncées et au calendrier de mise en oeuvre.

Le soutien politique de l’UE a, dans l’ensemble, réussi à calmer les inquiétudes des marchés sur un éventuel défaut de la Grèce. Le spread entre les taux d’intérêt des obligations publiques grecques à 10 ans et le taux du Bund allemand s’est légèrement réduit, mais reste encore très élevé (320 points de base au 16 février). De plus, la volatilité reste relativement élevée sur le marché obligataire européen. Le spread des CDS (Credit Default Swap) souverains à 5 ans (le prix de l’assurance contre le risque de défaut souverain) de la Grèce s’est également replié, mais se maintient à un niveau élevé (355 pdb le 16 février).

Quelles que soient les décisions qui seront prises au niveau européen au cours des prochaines semaines, le gouvernement grec est aujourd’hui contraint de mettre en ordre ses finances publiques, à la fois pour restaurer sa crédibilité mais également celle de l’ensemble de la zone euro. La question est de savoir si le programme d’austérité grec est crédible et si le gouvernement va pouvoir venir à bout d’une double problématique celle d’un déficit budgétaire de nature structurelle couplée à un déficit de crédibilité.

Un problème de « double déficit »

Depuis son entrée dans la zone euro la Grèce souffre de deux formes de déficit.

Le premier problème est un déficit public structurel récurrent. La Grèce n’a pas profité des années de forte croissance pour assainir ses finances publiques.

xxx La problématique reste toujours la même avec un secteur public trop important, un système de retraite insoutenable et des dépenses de défense très élevées par rapport au reste de la zone euro. Par conséquent la Grèce enregistre depuis ces dix dernières années un déficit primaire structurel nettement plus élevé que la moyenne de la zone euro (-5,3 % du PIB en moyenne sur la période 2000-2007, contre -2,2 % pour l’ensemble de la zone euro) ce qui est venu alourdir le poids de sa dette publique aujourd’hui supérieure à 100 % du PIB.

Le second problème vient d’un déficit de crédibilité, qui a éclaté au grand jour au moment où le gouvernement grec a révisé ses estimations des finances publiques en 2009.

Certes une partie importante de ces révisions provient de dépenses exceptionnelles élevées (« one off ») et de l’ampleur de la récession économique qui, par le truchement des stabilisateurs automatiques et des mesures de relance, a pesé sur le déficit. Mais une révision des chiffres des comptes publics aussi flagrantes et importantes (plus de 10 points de pourcentage du PIB) et les tentatives répétées de consolidation fiscale qui ont échoué par le passé ont mis en exergue les faiblesses de la Grèce en matière de statistiques publiques, d’institutions et de gouvernance.

Un plan d’assainissement budgétaire certes ambitieux….

Le programme de stabilité proposé par le gouvernement grec mi-janvier est très ambitieux. Il prévoit de réduire le déficit public de 4 points de pourcentage en 2010, à 8,7 % du PIB, à 5,6 % en 2011, 2,8 % en 2012 et 2 % en 2013.

Côté recettes, le gouvernement prévoit de supprimer les exonérations fiscales, d’augmenter des taxes sur divers produits (tabac, alcool, etc.) et d’introduire des mesures de lutte contre la fraude fiscale.

Coté dépenses, le programme de stabilité pour 2010 dépend en grande partie de la fin des mesures exceptionnelles de 2009. Le programme prévoit également une réduction de la rémunération des fonctionnaires, un gel des recrutements dans le secteur public en 2010 et le remplacement d’un départ sur cinq à la retraite. Le gouvernement a également introduit une mesure pour réduire les allocations budgétaires des ministères de 10 %. De plus, le programme a introduit un certains nombres de réformes structurelles ayant pour but de renforcer l’efficacité des finances publiques.

Peu de détails ont été annoncés en ce qui concerne le plan de réduction des déficits publics de 2011 à 2013. Néanmoins, plusieurs réformes structurelles ont été proposées pour accroître la compétitivité de l'économie grecque : i) amélioration du fonctionnement du marché des biens, du marché du travail et de l'administration publique ; ii) utilisation des fonds structurels pour mener une politique d’offre ; iii) supervision du secteur financier ; vi) rehaussement de la fiabilité des statistiques ; et iv) réforme des retraites et de la santé.

Outre ces mesures du programme de stabilité, le gouvernement grec a annoncé les 2 et 9 février des mesures supplémentaires pour rétablir les comptes publics.

…mais est-ce crédible ?

Tout d’abord, les efforts d’assainissement des finances publiques prévus par la Grèce sont techniquement réalisables. Par le passé, la Grèce a en effet pu faire des efforts budgétaires relativement importants et dans un laps de temps assez court. En particulier, entre 1989 et 1994, la Grèce a réussi à améliorer sensiblement son solde primaire structurel de 7,3 points. Les efforts les plus importants ont été réalisés en 1991 (3,4 points) et 1994 (4,9 points). De même, entre 2004 et 2005, elle a réalisé un effort structurel de 2,4 points. En d’autres termes, les efforts envisagés par la Grèce dans son programme de stabilité paraissent réalistes.

Le 3 février, la Commission européenne a émis un avis plutôt favorable sur l’ensemble des objectifs ambitieux du programme d’assainissement budgétaire et sur les réformes structurelles annoncées par le gouvernement grec. La Commission a toutefois adopté deux recommandations pour satisfaire l’objectif de réduction rapide du déficit budgétaire (sous le seuil des 3 % du PIB à l’horizon 2012) et afin d’améliorer la compétitivité de l’économie grecque :
• La première concerne la procédure de déficit excessif (article 126(9)), invitant la Grèce à mettre en œuvre sous peine de sanctions les mesures détaillées dans le programme de stabilité de 2010 (réductions des déficits nominal et structurel et de la dette publique) ;
• La seconde porte sur les réformes structurelles (article 121 (4)). Elle appelle le gouvernement grec à réaliser des réformes structurelles : administration, retraites, santé, marché du travail et celui des biens.

La Commission a invité le gouvernement grec à quantifier d’ici le mois de mars les nouvelles mesures annoncées et à fournir un calendrier détaillé de mise en œuvre pour 2010. La Grèce devra également donner des précisions sur son programme d’austérité jusqu’en 2012. Elle a par ailleurs engagé une procédure d’infraction, invitant le gouvernement grec à prendre toutes les mesures nécessaires pour améliorer la fiabilité de ses statistiques des finances publiques.

Le conseil Ecofin, réuni le 16 février, a adopté ces recommandations et fixé un calendrier précis pour s’assurer de l’efficacité et de la durabilité du processus d’assainissement des finances publiques de la Grèce.

La Grèce ne peut plus reporter le rétablissement de ses finances publiques

Les mesures d’assainissement budgétaire sont assez détaillées pour 2010 même si le calendrier reste encore flou. En revanche, au-delà de 2010, l’incertitude est grande. Les mesures d’assainissement budgétaire doivent tout d’abord être précisées. Et le gouvernement doit fournir le cadre économique et financier qui va sous-tendre ce plan d’austérité. Si le programme budgétaire envisagé est effectivement poursuivi, vu le contexte économique initialement dégradé, cela devrait certainement avoir un impact négatif plus important sur la croissance que ce que le gouvernement grec anticipe aujourd’hui, et peut affecter en retour les finances publiques.

Cela dit, le gouvernement grec n’a plus vraiment d’alternatives. Trois hypothèses sont envisageables aujourd’hui1 :
1) soit le gouvernement met uniquement en œuvre les mesures d’assainissement prévues pour 2010 et ensuite suspend l’effort budgétaire. En supposant le maintien à moyen terme du déficit primaire prévu pour 2010 (3,5 % du PIB), le ratio de dette continuerait à dériver, pour atteindre 184 % du PIB à l’horizon 2020.
2) soit le gouvernement poursuit son plan jusqu’en 2013 comme prévu. Dans ce cas, le ratio de dette publique se stabiliserait dès 2012, à 120 % du PIB. En supposant que les années suivantes le gouvernement s’efforce de maintenir au même niveau le solde primaire atteint à la fin 2013 (excédent primaire de 3,2 % du PIB et déficit budgétaire de 2 % du PIB), ce qui traduit malgré tout une gestion assez rigoureuse des dépenses et des mesures fiscales, le ratio de dette publique baisserait ensuite pour s’établir à 112 % du PIB en 2020.
3) soit le gouvernement met en œuvre les mesures d’assainissement prévues jusqu’en 2013, et devient ensuite vertueux en améliorant régulièrement son solde primaire avec pour objectif de ramener le ratio de dette sous la barre des 100 % du PIB à moyen terme. Selon nos calculs, une amélioration du solde primaire de 0,5 point de PIB par an réduirait le ratio de dette à 98 % en 2020.

En définitive, ces simulations montrent que le gouvernement grec est contraint de mettre en œuvre l’ensemble des mesures de son plan de stabilité afin d’éviter une spirale haussière de sa dette. Vu les niveaux déjà très élevés du déficit et de la dette publique, il faudra faire un effort budgétaire très important surtout à court terme. Le gouvernement grec ne peut donc plus reporter l’assainissement de ses finances publiques, d’autant plus que la pression des marchés devrait se maintenir et alourdir la charge d’intérêts de la dette.

Conclusion : l’assainissement des finances publiques est impératif mais sera douloureux

Le programme d’assainissement budgétaire annoncé par la Grèce pour 2010 nous paraît crédible et réaliste. A court terme, si le gouvernement grec réalise les efforts annoncés, ceci devrait contribuer à restaurer son blason en comblant son déficit de crédibilité. Néanmoins, l’Europe pourrait aider à calmer durablement la spéculation quant à un éventuel défaut de la Grèce en donnant des détails techniques sur les modalités et le montant d’une éventuelle aide financière. En revanche, la soutenabilité des finances publiques à moyen terme est loin d’être assurée : elle dépendra surtout des mesures qui seront mises en œuvre au-delà de 2010. Le détail et l’impact financier de ces mesures supplémentaires devront donc être précisés très rapidement. En effet, vu l’importance du déficit primaire initial (7,7 % du PIB en 2009), l’effort budgétaire à fournir afin de stabiliser le ratio de dette publique devra être important sur la période 2011-2013.

Vu le contexte économique difficile, la mise en oeuvre de l’ensemble du programme s’annonce douloureux. Selon les prévisions du gouvernement, l’économie grecque resterait en récession en 2010 (- 0,3 %) et le taux chômage devrait atteindre 9,9 % en moyenne. Le plan d’austérité budgétaire paraît donc socialement et politiquement coûteux, comme en témoignent les récentes grèves dans la fonction publique. La Grèce est néanmoins en situation de non-choix : le pays qui n’a pas fait les efforts nécessaires pour assainir ses finances en période de forte croissance est contraint de s’ajuster dans un environnement beaucoup moins porteur, austérité budgétaire et croissance au ralenti rétroagissant mutuellement.

NOTES

  1. Ces simulations reposent sur les hypothèses de croissance et d’inflation officielles du gouvernement grec jusqu’en 2013. Ensuite, la croissance du PIB réel et l’inflation ont été fixées à respectivement 2 %. Nous avons fait l’hypothèse de taux d’intérêt à 6 % sur l’ensemble de la période.

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