Il est temps de contenir la Grande Récession

par Frédéric Buzaré, responsable de la Gestion Actions chez Dexia AM

Les marchés des actions ont enregistré un nouveau rebond technique à l’issue d’une période de forte baisse. Pour les optimistes, l’argument peut se résumer ainsi : « ça ne peut pas être pire ». Cela concerne notamment le secteur bancaire, décisif pour la tendance du marché. Ce sont les commentaires favorables d’entreprises comme Citigroup concernant la rentabilité qui ont amorcé le processus. Les rumeurs selon lesquelles la valorisation à la valeur de marché pourrait être suspendue ont également eu un impact positif. La volonté de Washington de s’opposer à toute faillite de grandes banques et à des nationalisations constitue, somme toute, un fondement plus solide.

L’espoir est que tout cela va contribuer à stabiliser la situation suffisamment longtemps pour inciter les investisseurs privés à s’intéresser de nouveau au secteur financier. Prendre des mesures contre les comportements imprudents fait partie du processus de restauration de la confiance, mais crier haro sur Wall Street ne nous conduirait nulle part. L’administration américaine a besoin que le secteur privé joue un rôle clé dans le redémarrage de l’économie et du système financier. Plus que jamais, il convient de trouver le juste équilibre entre ce qui relève de la rhétorique politique et de l’action proprement dite.

Jusqu’à présent, nous ne pouvons parler que d’«espoir» car le marché boursier s’inquiète du manque d’orientation claire des politiques économiques de l’administration. Face à la dérive de l’économie et à l’effondrement ininterrompu des marchés financiers, la réponse de la Réserve fédérale a été jusqu’ici, au mieux, peu convaincante. Il est essentiel que les autorités américaines réussissent à endiguer la déflation des cours des valeurs mobilières car la baisse des prix des actifs, si elle se poursuivait, risquerait d’acculer à la faillite certaines entreprises aujourd’hui solvables. C’est notamment le cas dans un environnement de déflation par la dette ; dans un tel contexte, le poids de la dette s’alourdit jour après jour en raison de la baisse des prix des actifs et des résultats.

Les responsables politiques doivent savoir qu’il y a urgence à stopper la déflation des prix des actifs et que la seule façon d’y parvenir consiste à augmenter de façon substantielle la taille du bilan de la banque centrale. En cas d’échec la « Grande Récession » risquerait de se transformer en dépression. La dernière intervention de la Réserve fédérale -pour accroître la taille de son bilan – va dans le bon sens ; elle souligne son engagement à maintenir les taux d’intérêt à un bas niveau pendant une période prolongée, à utiliser tous les outils disponibles pour prévenir une récession profonde et à limiter le risque de déflation. Bien que les mesures agressives d’assouplissement monétaire et d’assouplissement du crédit n’aient pas encore contribué à faire redémarrer l’économie et que le TALF vient à peine d’être lancé, aucune de ces actions ni l’ambitieux programme de relance budgétaire n’ont pour le moment permis de briser le cercle vicieux dans lequel le resserrement du crédit pèse sur l’économie et vice versa.

Quant à la menace de déflation, bien que faible, elle augmente compte tenu du ralentissement économique qui se poursuit. Selon nos estimations, plus de 8 milliards de dollars de remboursement de crédit sont encore nécessaires pour que le ratio dette privée/PIB retrouve sa moyenne de long terme. C’est la raison pour laquelle un effort équivalent de la part des autorités publiques est nécessaire pour compenser totalement le processus de désendettement.

Ben Bernanke a insisté à plusieurs reprises sur le fait que la stabilité financière et la création de crédit sont les deux éléments clés de la reprise de l’économie. Ranimer le système financier est un long processus qui nécessite la combinaison de plusieurs éléments – soutien financier, capacité de négociation et discipline – de façon à éviter que des erreurs ne soient commises.

L’opinion publique doit être convaincue que l’aboutissement sera un système meilleur et plus solide en contrepartie de la mobilisation de l’argent du contribuable, tout en assurant que les spéculateurs ne seront pas affranchis de leurs erreurs. L’une des conséquences de la colère de l’opinion publique est que les dirigeants des banques vont chercher à rembourser le plus rapidement possible les fonds perçus par leurs établissements dans le cadre du TARP. La condamnation politique pour avoir accepté l’argent public commence à l’emporter sur les avantages de la recapitalisation des banques.

La dernière chose dont nous avons besoin est que cette panique politique créée les conditions d’une nouvelle panique financière comme celle que nous avons connue à l’automne dernier. La pire des erreurs serait de détourner l’attention des erreurs du gouvernement en attaquant les banquiers dont le rôle est nécessaire pour amorcer la reprise. C’est de cette façon qu’une récession sévère se transforme en dépression.

Ben Bernanke a également fait observer que le déséquilibre permanent de la balance courante ou la pénurie d’épargne au regard de l’investissement sur le plan intérieur constituent la cause sous-jacente de la bulle immobilière, du resserrement du crédit et de la crise financière qui en sont les conséquences. Cette analyse va dans le sens de notre scénario selon lequel la reprise, compte tenu de la nature structurelle de l’ajustement, sera longue et lente. Le consommateur américain doit devenir plus frugal, épargner davantage et consommer moins.

Pour l’heure malheureusement, nous ne pouvons parler que d’un nouveau « bear market rally ». Pour qu’un redressement durable s’amorce sur les marchés des actions, une amélioration des prévisions de croissance est indispensable. Bien qu’il soit prématuré pour déceler le moindre signe de reprise, il y a des raisons de croire que la « Grande Récession » diminue progressivement, comme en témoigne le ralentissement moins rapide de l’économie. Si l’on se fie à l’histoire, la stabilisation du marché interviendra avant celle de l’économie. Les indicateurs avancés se sont récemment redressés, confortant la théorie de l’amélioration de la dérivée seconde. Une fois encore, l’avalanche de faux espoirs auxquels il faudra faire face reste la principale embûche. Le mois de mars sera-t-il décisif dans la transition entre une récession mondiale déflationniste et une reprise inflationniste ?

Restaurer le système financier reste une tâche herculéenne

Nous avons signalé le mois dernier l’importance du TALF en tant que nouveau système bancaire parallèle potentiel financé par le gouvernement. Le TALF va permettre aux fonds spéculatifs et aux investisseurs privés d’emprunter de l’argent auprès des banques centrales à des conditions avantageuses. Les investisseurs utiliseront ces liquidités pour acheter de nouveaux titres adossés à des prêts automobiles, des prêts sur cartes de crédit et d’autres instruments de financement des consommateurs. Les débuts du TALF sont toutefois timides. Cette facilité de crédit, qui pourrait potentiellement générer jusqu’à 1000 milliards de dollars n’a pas vraiment fait recette (moins de 10 milliards de dollars de prêts sollicités) ; un élément qui devra donc être surveillé de près.

Les autorités monétaires américaines tentent enfin de prendre les devants ; la Réserve fédérale a ainsi suivi l’exemple de la Banque d’Angleterre et décidé de monétiser des bonds du Trésor. La Réserve fédérale a même annoncé une nouvelle augmentation substantielle de la taille de son bilan, comprenant le rachat à hauteur de 300 milliards de dollars d’obligations du Trésor à long terme au cours des six prochains mois ainsi que le renforcement à 1 450 milliards de dollars (contre 600 milliards de dollars annoncés initialement) de son programme de rachat d’emprunt immobiliers. Au total, le bilan de la Réserve fédérale va augmenter de 1,15 trillion de dollars pour s’établir bien au-delà de 3 trillions de dollars. La banque centrale américaine a également évoqué la possibilité d’étendre le programme TALF de façon à inclure dans son périmètre les actifs sinistrés. Il s’agit d’une évolution significative dans la mesure où le bilan de la Réserve fédérale représente désormais près de 25 % du PIB et le rachat de TACI 14 % de la totalité des TACI en circulation (500 milliards de dollars). Dernier point mais non le moindre, le volume total de liquidité nouvellement mise à disposition des marchés représente près de 8 % du PIB, tandis que les mesures d’assouplissement quantitatif annoncées le mois dernier au Royaume-Uni sont équivalentes à près de 10 % du PIB.

Ces mesures vont contribuer à une détente des taux des emprunts hypothécaires ; elles constituent donc un facteur important de soutien pour les ménages. En 2008, les taux des emprunts hypothécaires déjà émis s’élevaient en moyenne à 6,5 %. Si la Réserve fédérale parvient à ramener à 4,5 % le taux fixe à 30 ans, nous estimons que la vague de refinancement qui en résulterait pourrait générer des économies de trésorerie supérieures à 100 milliards de dollars. Les taux d’intérêt des prêts immobiliers conventionnels à 30 ans ont d’ores et déjà diminué de 150 points de base depuis octobre.

La solution des autorités américaines pour le système bancaire se compose de trois volets : le « stress test », le partenariat public-privé et l’injection de capitaux ; chacun de ces volets possède son propre objectif. Le « stress test » est destiné à permettre aux banques d’identifier les actifs dont elles souhaitent se défaire, le partenariat public-privé permettra de déterminer le prix des actifs, tandis que le programme d’apport en capitaux servira à compenser le manque à gagner consécutif en termes de fonds propres.

Bien que le resserrement du crédit demeure un sérieux problème, certains signes laissent à penser qu’il ne va pas s’aggraver. Les mesures d’assouplissement quantitatif de la Réserve fédérale vont selon nous contribuer à atténuer les tensions sur le marché du crédit. Elément important, au cours de chacun des trois derniers mois, les banques commerciales américaines ont puisé dans leurs réserves de liquidités, signe que l’activité de crédit est peut-être en passe de repartir.

Les détails du plan Geithner ont finalement été dévoilés. Les acquéreurs (ex. : les hedge funds) vont pouvoir financer leurs acquisitions au moyen de prêts à faible taux d’intérêt (garantis par la FDIC). Le programme prévoit une assistance financière de la part de la Réserve fédérale et de la FDIC. Le Trésor apportera 50 % du capital à chacun des fonds mais la gestion de l’investissement reviendra au secteur privé. Les gestionnaires privés seront soumis à la surveillance de la FDIC. Le plan comprend deux éléments : un mécanisme pour les actifs, un autre pour les prêts. Les actifs seront vendus selon un système d’enchères par la FDIC pour le compte des banques. L’acquéreur qui aura remporté une enchère pourra recevoir un financement du gouvernement. La FDIC proposera un effet de levier (pouvant aller jusqu’à 6 pour 1) et fournira également le financement au moyen de garanties sur les prêts.

L’aspect sans doute le plus utile de ce plan pourrait être la détermination d’un prix par enchères pour ces actifs toxiques, ouvrant la voie à une évaluation plus réaliste, même si au bout du compte ils ne sont pas vendus. Une forte baisse de la valeur des actifs pourrait provoquer la faillite de certaines banques. Le Trésor devrait alors décider de procéder à la liquidation de l’établissement en question ou de le maintenir en vie moyennant des injections de capitaux publics. Le plan a été conçu de façon à encourager l’implication du secteur privé. Toutefois, tout dépend de la participation, principale incertitude et le défi le plus important consiste à surmonter le problème du prix : trouver un prix acceptable tant pour l’acquéreur que pour le vendeur sans aggraver le problème des fonds propres.

Redistribution et tollé contre Wall Street 

Un changement structurel semble engagé et devrait aboutir à une redistribution des bénéfices vers le gouvernement et les salariés au détriment des actionnaires. Les profits des entreprises, en pourcentage du PIB américain, ont culminé à 12,7 % en 2006. Au troisième trimestre 2008, ce pourcentage était tombé à 10,5 %, contre une moyenne de 9,5 % depuis l’après-guerre, et un plus bas de 6,4 % en 1982. Contrairement aux deux dernières décennies, aujourd’hui, les thèmes politiques tournent autour de la régulation et de la redistribution.

Cela est d’autant plus une réalité compte tenu du tollé de plus en plus unanime contre Wall Street et les entreprises. La colère de l’opinion publique vise le nouveau marché haussier. Certains hommes politiques, comme Charles Grassley, ne mâchent par leurs mots : « Les responsables d’AIG devraient soit démissionner soit envisager le suicide ». La Chambre des Représentants s’est déclarée à une large majorité en faveur d’une taxation à hauteur de 90 %. Une ponction de 90 % avec effet rétroactif serait ainsi appliquée aux primes versées aux salariés des entreprises ayant perçu au moins 5 milliards de dollars d’aides de l’État et dont le salaire annuel dépasse 250 000 dollars.

La colère grandissante qui s’exprime au sujet des primes complique les efforts de sauvetage du gouvernement ; elle tend en effet à faire peur aux éventuels participants et rend plus difficile pour le gouvernement Obama la mobilisation de fonds publics supplémentaires pour tenter de stabiliser le système financier.

Le Trésor a en effet besoin de l’implication des acteurs financiers privés pour mener à bien son plan de sauvetage tant attendu qui vise à apurer les bilans des banques de leurs actifs toxiques. La communauté financière pourrait se montrer quelque peu méfiante à participer à un jeu où le gouvernement semble modifier les règles pour tenir compte du populisme croissant à Washington.

Les secteurs qui bénéficient d’une aide de l’État sous une forme ou sous une autre vont être confrontés à des contraintes de plus en plus fortes. La rentabilité des entreprises pourrait en être la principale victime.

Un nouveau « bear market rally »

Lorsque les marchés sont structurellement baissiers, ils connaissent de brusques périodes de rebond.

Il semble que nous venons de connaître l’un de ces fameux « bear market rallies »; on en dénombre six depuis le sommet atteint par le marché américain en octobre 2007. Ces périodes de rebond se sont étalées sur une durée de trois à quatre semaines au cours desquelles l’indice S&P 500 s’est apprécié de 13 % en moyenne.

C’est lors du marché baissier du début des années 30 que le marché a enregistré ses 45 meilleures séances. Des mouvements violents comme une hausse de 7 % du S&P ne sont pas caractéristiques d’un marché haussier.

Les valeurs financières s’acheminent vers une reprise analogue à celle des technologiques

Les valeurs financières pourraient connaître la même destinée que les valeurs technologiques en 2002 à l’issue de la crise qui avait fait plonger le Nasdaq à son niveau le plus bas. Rappelons que les valeurs technologiques avaient rebondi de près de 80 % tout au long de l’année 2003 mais avaient sous-performé le marché en 2004, 2005 et 2006 en raison de la poursuite du mouvement de correction des valorisations.

Vers un mouvement durable de rotation sectorielle?

Si l’on observe les performances relatives, il semble qu’un mouvement de rotation sectorielle majeur soit en cours depuis que le marché à touché le fond en novembre, même si dans son ensemble le marché a baissé. Les valeurs cycliques ont surperformé de plus de 15 % les défensives. Cette évolution est, dans une certaine mesure, déroutante compte tenu de la faible visibilité sur la reprise économique. Cela pourrait-il signifier que le Marché a détecté quelque chose qui nous aurait échappé ? Ou bien serait-il tout simplement frappé de cécité et sera-t-il rattrapé par la réalité dans les prochains mois lorsque les valeurs cycliques s’effondreront de nouveau ? Deux facteurs justifient et expliquent cette surperformance. Tout d’abord, il s’agit d’un phénomène purement relatif dans la mesure où la dynamique bénéficiaire des valeurs cycliques comparée à celle des autres valeurs, semble s’être inversée. De nombreuses valeurs défensives comme les pharmaceutiques, les biens de consommation de base et les télécommunications enregistrent désormais un retournement de leur dynamique bénéficiaire.

Dynamique bénéficiaire relative et performances relatives

Ensuite, d’un point de vue technique, le positionnement des investisseurs reste extrême avec une surpondération des pharmaceutiques et des télécoms. Au stade actuel du cycle, il n’est pas totalement surprenant de constater que les investisseurs reviennent vers les secteurs en vogue lors du cycle précédent (marchés émergents – Chine notamment – et marché des matières premières) et envisagent une résurrection des gloires du passé. Quelles autres cartes les investisseurs vont-ils jouer lorsqu’ils considèreront que le temps est venu de revenir sur les actions ?

Un retournement décisif des indicateurs économiques avancés contribuerait à conforter la surperformance des valeurs cycliques. Jusqu’à présent, malgré les signes avant-coureurs de stabilisation des composantes relatives aux anticipations des indices ISM aux États-Unis et Ifo en Allemagne, les améliorations sont mineures. C’est la raison pour laquelle, pour l’heure, il n’est pas possible de se prononcer.