Japon : Un début d’année en trompe l’œil

par Sophie Mametz, économiste chez Natixis

Publiée le 17 août, la première estimation du PIB au T2-09 souligne un rebond de l’activité, mettant ainsi un terme à la récession la plus longue enregistrée depuis la seconde guerre mondiale (i.e. cinq trimestres consécutifs de baisse). Contrairement à nos prévisions, la croissance s’est ainsi inscrite en hausse de 0,9% T/T (contre -3,1% au trimestre précédent).

Par rapport au mois précédent, notre prévision annuelle passe ainsi de -8,6% à -6,0% en 2009, et de -0,5% à +1,1% en 2010. Cette révision intervient pour deux raisons. Premièrement, le gouvernement a procédé à une correction des séries historiques depuis T1-08.

Désormais, l’acquis de croissance au sortir de 2008 est de -4,2% contre -4,6% précédemment. Deuxièmement, la première estimation du PIB à +0,9% T/T est bien au dessus de notre prévision (-1,6% T/T). Dans ce qui suit, nous revenons sur cet écart important, tout en soulignant les points conformes / non-conformes à nos attentes et les développements inhabituels.

Au deuxième trimestre, les principaux contributeurs à la croissance sont au nombre de trois : l’investissement public, le solde extérieur net, la consommation privée. La contribution de ces composantes à la croissance en T/T est respectivement de +0,3 point de pourcentage, +1,3 et +0,4 point de pourcentage. Conformément à nos attentes, l’hypothèse de soutien à la croissance des plans de relance s’est confirmée : l’investissement public a ainsi progressé de 15,3% en GA au second trimestre, contre +1,2% en T1-09. La baisse de l’investissement en capital s’est encore aggravée (-22,6% en GA contre -20,4% au T1-09).

Les chiffres de croissance au T2-09 ont également révélé une contribution nettement positive du solde extérieur net et, dans une moindre mesure, de la consommation privée, contrairement à nos prévisions de croissance pour ce trimestre. Concernant la forte contribution du solde extérieur net, le recul des exportations a été moins marqué que celui des importations. Par rapport à l’évolution en GA enregistrée au T1-09, la demande étrangère a moins reculé (-29,4% en GA, soit une contribution à la croissance de +0,7 point de pourcentage) tandis que la chute des importations s’est intensifiée (-17,1% en GA, soit une contribution à la croissance de -0,6 point de pourcentage).

Quelle que soit la zone de destination des exportations japonaises, leur recul a été moins marqué (le point bas semble avoir été atteint en février 2009). Ce constat s’applique d’autant plus que l’on considère la zone Asie, plus précisément la Chine (-23,7% en GA en juin). Certains pays semblent avoir entamé un processus de reconstitution des stocks, suite à la baisse marquée des inventaires durant les mois précédents.

La troisième composante à avoir positivement contribué à la croissance au T2-09 est la consommation privée. Ce résultat semble être non-conforme à nos anticipations de hausse du taux d’épargne1. Dès le mois de mai, nous retenions en effet l’hypothèse de hausse de l’épargne au Japon, comme dans la plupart des pays industrialisés2. L’idée était de dire que, dans un environnement incertain, les ménages allaient par précaution épargner davantage. Or, la masse salariale continue de se dégrader. La baisse des effectifs et des salaires demeure bien réel. En juin, le chômage a atteint 5,4%, soit le plus haut non atteint depuis mai 2003. Depuis le début de l’année, le chômage a ainsi progressé de 1,3 point de pourcentage. S’agissant des salaires, leur recul était très prononcé en juin (-6% en GA en termes réels), principalement en raison des bonus.

La situation de bien-être s’est à nouveau dégradée : au T2-09 : après trois trimestres consécutifs d’amélioration, les termes de l’échange ont à nouveau baissé. La baisse du ratio résulte à présent d’une baisse bien plus marquée du déflateur des importations que du déflateur des exportations (respectivement de -25,2% et -12,1% en GA au T2-09). Outre un effet volume (i.e. demande pour les biens étrangers moins soutenue), un effet valeur s’observe en raison de l’appréciation du yen contre dollar. Globalement, selon le modèle général d’une économie ouverte, le déclin des termes de l’échange traduit une détérioration de la situation de bien-être au Japon. En tendance, les termes de l’échange baissent depuis 1995.

Dans ces conditions, la seule façon d’épargner suppose donc que les ménages consomment moins. Les résultats au T2-09 montrent, au contraire, que la consommation privée a contribué pour 0,4 point de pourcentage à la croissance en T/T. Alors que la masse salariale continue de baisser, nous pourrions penser que les ménages bénéficient en fait d’un effet prix, leur permettant de maintenir leur niveau de consommation. En effet, l’économie japonaise entre à nouveau en déflation. Exception faite du déflateur du PIB, tous les indices de prix sont désormais nettement orientés à la baisse.

Toutefois, la baisse des salaires est bien plus marquée que celle des prix à la consommation : en T2-09, l’IPC national core s’est inscrit en baisse de -1,1% tandis que les salaires réels ont reculés en moyenne de -3,8% en GA. Le rebond de la consommation au T2-04 ne semble pas lié à un effet prix ; seul le soutien des plans de relance permettrait d’expliquer la contribution positive de la consommation privée à la croissance. Les mesures directes ou indirectes de soutien aux ménages représentent environ JPY 8 trillions, soit 1,6% du PIB dans le cadre des plans de relance adoptés en 2008-2009. La part de la consommation privée représentant 58% environ du PIB, celle-ci a progressé de 0,8% T/T. Dans ces conditions, nous pensons que le taux d’épargne ralentira très sensiblement en 2009, à 6% contre 6,8% en 2008.

Enfin, la publication des chiffres au T2-09 montre que la hausse de la croissance réelle (+0,9% T/T) n’est pas liée à un effet prix : en valeur, la croissance a reculé de -6,2% en GA alors qu’en volume, le recul a été à peine plus marqué (i.e. -6,5% en GA). Le déflateur du PIB est d’ailleurs positif en ce trimestre (principalement en raison du recul du prix des importations).

Pour le reste de l’année 2009, le profil de croissance traduira un repli moins marqué de l’activité (0% et -0,2% en T/T attendus respectivement en T3 et T4-09). Le PIB sera avant tout soutenu par les plans de relance. La consommation privée devrait ralentir au T3 puis baisser au dernier trimestre de cette année. La détérioration déjà observée sur le marché de l’emploi devrait davantage peser sur la consommation. Enfin, s’agissant des exportations, tout repose bien évidemment sur la reprise de la demande étrangère. Compte tenu de nos prévisions de croissance pour les Etats-Unis et la zone euro, il ne faut pas s’attendre à un rebond des exportations globales japonaises.

Notre prévision annuelle passe donc de -8,6% à -6,0% en 2009, et de -0,5% à +1,1% en 2010. En dépit d’un changement de majorité au Parlement suite aux élections du 30 août, il n’est pas certain que notre prévision soit modifiée pour 2009 : le PDJ dispose en effet de très peu de temps d’ci la fin d’année fiscale pour faire voter un nouveau plan de relance. Les préoccupations actuelles sont plutôt d’ordre organisationnel. Le nouveau Premier Ministre doit être désigné par le PDJ d’ici la mi-septembre ; il constituera ensuite un gouvernement. Les discussions budgétaires qui, chaque année, sont censées démarrer au mois d’août ne pourront donc commencer que plus tard (i.e. pas avant le mois d’octobre). Mais il y a de fortes chances pour que le timing habituel d’adoption du budget (à savoir fin décembre par le gouvernement, puis soumis au vote du Parlement en janvier et au Sénat avant la fin d’année fiscale – le PDJ détient également la majorité au Sénat depuis juillet 2007) soit ensuite respecté. Pour la première fois au pouvoir, le PDJ aura certainement à cœur de rapidement se distinguer et de marquer une rupture avec les 54 dernières années.

Si l’on en croit le manifeste du PDJ, la politique du nouveau parti au pouvoir sera de façon certaine axée sur le consommateur japonais. Dans le même temps, certaines dépenses publiques devraient être réduites au profit d’autres dépenses. Toute la question reste de savoir si le PDJ parviendra à stabiliser les dépenses publiques tout en soutenant le consommateur. Pour l’heure, l’impact de la politique que mettra en place le DPJ sur la croissance ne peut pas être estimé de façon précise.

Publié en juillet, le manifeste du Parti Démocrate Japonais fournit toutefois quelques pistes. Un plan de relance de JPY 7,1 trillions devrait être adopté pour l’année fiscale 2010.

La question du financement reste posée. Au moins deux options semblent possibles. L’Etat japonais pourrait décider d’utiliser des réserves spéciales (qui apparaissent notamment dans les comptes du FILP), à hauteur de JPY 4,3 trillions. Le reliquat, à savoir JPY 2,8 trillions, seraient très certainement financé par émissions obligataires. Cette première option se traduirait donc par une hausse de l’endettement public. Une seconde option semble possible, telle qu’elle figure dans le manifeste du PDJ. Il s’agirait d’utiliser une fois de plus les réserves spéciales (JPY 4,3 trillions), de procéder à une réduction des dépenses en travaux publics (JPY 1,3 trillion) et de suspendre certains allègements d’impôt accordés sous les gouvernements précédents (JPY 1,4 trillion). Cette seconde option permettrait ainsi à la nouvelle majorité de décider d’un nouveau plan de relance qui ne serait pas financé par émissions obligataires, et donc ne se traduirait pas par une nouvelle dégradation des finances publiques.

Globalement, avec l’arrivée au pouvoir du PDJ, le Japon entre dans une nouvelle ère politique. Dans un contexte économique très nettement dégradé, les japonais ont osé le changement politique. Notre prévision de croissance pour 2011 (i.e. +1,3%) avoisine la croissance potentielle.

NOTES

  1. Les données relatives à l’épargne des ménages sont publiées avec un retard de plus d'un an. Ainsi, le taux d’épargne au T2-09 ne sera connu qu’au début de l’année fiscale 2011.
  2. Une évaluation très simplifiée du taux d’épargne tient compte de l’arbitrage entre revenus du travail et consommation : Epargne ≈ (Masse salariale -Consommation).

Retrouvez les études économiques de Natixis