L’Allemagne peut accepter le QE mais…

Les investisseurs sont de plus en plus convaincus que la Banque centrale européenne (BCE) mettra en œuvre un assouplissement quantitatif (Quantitative Easing, QE) comprenant des rachats d’obligations d’Etat. Ils pensent que l’Allemagne, jusqu’ici très hostile à une telle possibilité, se laissera convaincre mais elle exigera de la France qu’elle tienne enfin ses promesses de réformes.
 
La situation dans la zone euro ne s’améliore pas : selon les derniers chiffres d’Eurostat, le PIB a progressé de 0,2% au troisième trimestre. En rythme annuel, la hausse est de 0,8%. L’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) a publié peu après des indicateurs composites avancés indiquant que la croissance devrait continuer à s’infléchir dans la zone euro, particulièrement en Allemagne et en Italie.
 
Par ailleurs, l’inflation continue de baisser : 0,3 % en novembre contre 0,4 % en octobre. Bien loin de l’objectif d’un taux inférieur mais proche de 2% de la BCE.
 
La zone euro est clairement le maillon faible de l’économie mondiale alors que l’activité aux Etats-Unis repart franchement, que la Chine consolide ses acquis, que le Japon est déterminé à poursuivre les « Abenomics » d’autant que le Premier ministre vient d’obtenir un mandat clair lors des élections législatives du 14 décembre. 
 
Philippe Ithurbide, Directeur Recherche, Analyse et Stratégie chez Amundi, estime que « la croissance en zone euro va rester faible pour plusieurs années » et liste plusieurs risques : les craintes sur la solvabilité des Etats, la dégradation des situations politiques et sociales ainsi que le ralentissement de la croissance mondiale.
 
Christophe Donay, Chef Stratégiste chez Pictet, souligne pour sa part que le risque systémique revient en 2015 car la zone euro reste engluée dans la « Grande Divergence » des trajectoires de la dette publique et de la croissance économique.
 
Les critères de Maastricht – dette publique limitée à 60% du PIB, déficit public inférieur à 3% et croissance à 3% – ne sont plus qu’un lointain souvenir. Les politiques menées ces dernières années ont montré que la réduction des déficits passait par une austérité qui pesait sur la croissance. La zone euro est aujourd’hui dans un « piège. »
 
Depuis son arrivée à la tête de la BCE, en novembre 2011, Mario Draghi a rompu avec la politique de son prédécesseur français Jean-Claude Trichet – qui, pour se faire accepter par les Allemands, a adopté un discours ayatollesque sur l’inflation – et a pris des mesures pragmatiques pour sauver la monnaie unique européenne.
 
Mais le discours volontariste et les programmes d’assouplissement (rachats de titres, liquidités abondantes, etc) ne suffisent plus.
 
Comme le déclarait récemment à Paris Andreas Utermann, Global Chief Investment Officer chez Allianz Global Investors, « La BCE n’a pas d’alternative. Son mandat porte uniquement sur l’inflation. Mais on ne peut plus exclure la probabilité d’un ‘Full QE’ comportant des achats de dette corporate ainsi que de dette souveraine pour atteindre son objectif d’accroître d’augmenter son bilan de 1.000 milliards d’euros. »
 
Philippe Weber, Responsable des études et de la stratégie chez CPR AM, estime que les achats de dette d’entreprise ne suffiront pas à atteindre l’objectif des 1.000 milliards. « La BCE devrait donc procéder à des achats de titres d’Etat. Cela se fera en fonction des notations et en excluant sans doute la Grèce et Chypre, qui ne sont pas éligibles. »
 
Philippe Ithurbide évoque lui aussi « un large QE qui pourrait être élargi aux titres souverains si besoin ». Il estime que la désinflation actuelle justifie un QE intégrant la dette souveraine car « l’inflation fait partie du mandat de la BCE. »
 
Reste à savoir pourquoi l’Allemagne accepterait une telle stratégie alors qu’elle s’y refuse depuis plusieurs années. Pour Christophe Donay, elle « perd de la vapeur en termes de croissance économique ; le consensus intérieur s’effrite avec les problèmes de compétitivité ; il y a un effet bloc des pays membres de la zone euro ; et Draghi fait un travail diplomatique remarquable et a su créer de l’espace pour l’action de la BCE. »
 
Serait-ce suffisant ? Pour la plupart des économistes, la BCE ne peut pas tout. Parallèlement à la politique monétaire accommodante, il est nécessaire d’avoir une politique budgétaire et fiscale. Les réformes structurelles sont indispensables pour assainir durablement les finances publiques et créer les conditions de la croissance.
 
Or, deux pays importants de la zone euro suscitent des inquiétudes : les réformes ne sont pas jugées suffisantes en Italie et en France. A Rome, le président du conseil, Matteo Renzi, a du mal, du fait de la gouvernance politique, à imposer ses mesures. A Paris, le gouvernement s’abrite derrière les taux d’intérêt historiquement bas pour éviter engager des réformes radicales. 
 
L’Allemagne sera sans doute contrainte d’avaliser les achats de dette souveraine par la BCE mais elle exigera sans doute, à raison, que la France et l’Italie se montrent enfin sérieuses dans la mise en œuvre de mesures indispensables pour ramener la confiance et, partant, la croissance.