L’économie indonésienne résiste à la crise

par Edgardo Torija-Zane, économiste chez Natixis

L’Indonésie a enregistré une croissance supérieure à 4% au début de 2009, une dynamique qui contraste avec la maigre performance des autres économies du Sud-est asiatique. Les progrès en matière de réduction de la vulnérabilité financière externe des dix dernières années et la continuité politique réduisent les risques qui pèsent encore sur la stabilité monétaire du pays. 

Début 2009 : la croissance demeure solide malgré la crise L'économie indonésienne a bien résisté au premier trimestre de 2009 avec une croissance supérieure à 4% sur un an (estimation du Ministère de Finances), ce qui marque le deuxième trimestre consécutif de ralentissement de l’activité (le PIB a augmenté de 6,42% au T3-08 et de 6,40 au T4-08).

La croissance est tout de même largement supérieure à celle des pays voisins.

L’Indonésie a commencé à ressentir l'impact de la crise mondiale au 4ème trimestre 2008, les secteurs industriels orientés à l’exportation (en particulier le textile et la chaussure) ayant été sévèrement touchés par le ralentissement de l'économie mondiale.

La crise économique a également induit une baisse des revenus d’exportation de l’ordre de 30%, conséquence surtout de la diminution des prix des principales matières premières que le pays exporte(1).

Les exportations de services sont aussi en phase de contraction. Il s’agit principalement du secteur du tourisme qui pâtit de la conjoncture mondiale défavorable.

L’Indonésie est une destination majeure du tourisme international avec 6 millions de visiteurs en 2008. Le nombre de passagers arrivés au pays par avion est déjà en diminution, même avant l’été, moment où l’on pourra réellement observer l’ampleur de la récession dans ce secteur. En termes de revenus, le tourisme est le 3ème secteur le plus important hors pétrole et gaz, après le bois et ses produits dérivés, et le textile. La chute des volumes d’exportation des biens et services contraste avec le dynamisme qu’affiche la consommation privée (qui pèse environ 70% du PIB) et publique.

A l’instar de l’Inde et de la Chine, deux économies qui maintiennent également une dynamique honorable qui prend appui sur le dynamisme de la demande domestique, l’Indonésie, le quatrième pays le plus peuplé au monde avec 227 millions d’habitants, émerge comme un pôle de stabilité en Asie en termes de croissance. Les exportations rapportées au PIB, ne représentent que 28,1%, 28,3% et 23% respectivement en Indonésie, Chine et Inde (contre 98% en moyenne pour le reste de l’Asie émergente), ce qui met ces trois pays partiellement à l’abri de la contagion de la crise par le canal commercial. Néanmoins, l’Indonésie devrait voir l'expansion de son économie ralentir tout au long de l’année 2009, sans pour autant entrer en récession. x

Le gouvernement table ainsi sur une croissance de 3-4%. Les prévisions du FMI, plus pessimistes, se situent à 2,5%.

Des défis à relever sur le plan du financement externe

Outre la baisse du cours des matières premières qui détériore les termes de l’échange du pays, l’Indonésie a fait face à des sorties de capitaux considérables au T4-08, les investisseurs étrangers ayant retiré de leurs portefeuilles près de 4 milliards de US$ (soit 8% du PIB) d’actions et obligations financières. L’indice boursier a atteint un plus bas de 4 ans à 1111 fin octobre-08 et se situe début mai à 1860, soit une baisse de 34% par rapport au pic de 2830 de janvier-08. Les marchés obligataires ont été aussi très affectés, comme l’atteste la hausse des credit-default swaps (CDS) sur la dette publique obligataire. Après avoir atteint 1257 points de base (pb) en octobre 2008, les CDS à 5 ans sont descendus à 320 pb en mai 2009.

Le taux de change de la rupiah, dont le cours est administré par les autorités, a perdu 10% depuis octobre 08, atteignant un minimum de 10 ans à 12000 rupiahs par dollar en novembre 2008 (soit une chute de 24% en un mois). La Banque centrale (Banque d’Indonésie) a vu ses réserves de change diminuer d’environ 5 milliards de US$ depuis juillet 2008 (les réserves en avril totalisent 54 mds de US$) pour gérer le rythme de dépréciation de la devise. De fortes incertitudes sur la capacité du système financier indonésien à résister à la crise sont apparues fin 2008, malgré l’absence d’exposition directe des banques indonésiennes aux « actifs toxiques » ayant servi au financement des dérivés de crédits aux Etats-Unis. Le pays a toutefois été très pénalisé par les marchés, le CDS indonésien se situant en octobre 2008 parmi les plus élevés du monde émergent, dépassé seulement par l’Ukraine, l’Argentine, et l’Equateur).

Les sorties de capitaux sont une préoccupation économique récurrente du pays. D’une part, la moitié de l’investissement serait financé par des capitaux étrangers (estimations de la Banque d’Indonésie). D’autre part, la crise de 1997-98 est encore dans la mémoire des investisseurs, l'Indonésie ayant été le pays le plus touché par la crise asiatique. Rappelons que le dollar américain est passé de 2450 rupiah (juin 1997) à 18 000 (juin 1998), l'inflation a atteint 82% en juillet 1998 et les taux d’intérêt interbancaires de court terme ont atteint 81% (août 1998). Le coût de la recapitalisation bancaire (35% du PIB) a contribué au quadruplement de la dette publique qui passe de 25% (en 1997) à 100% du PIB (en 2000) et au défaut de l’État sur sa dette externe. Sur une seule année, le PIB de l’Indonésie s’est contracté de 13 %.

Outre les réminiscences de la crise, des inquiétudes apparaissent par rapport à la solvabilité du pays aujourd’hui.

L'Indonésie a 36 milliards de US$ de dette extérieure arrivant à échéance en 2009, une somme très inférieure aux 54 milliards de US$ de réserves de change, mais qui pourrait être à l’origine d’un accroissement de la volatilité du taux de change dans l'hypothèse d'une diminution des entrées nettes de capitaux étrangers accompagnée des fuites de capitaux domestiques.

A noter tout de même que la vulnérabilité financière externe a considérablement diminué au cours des dix dernières années grâce i) aux politiques d’assainissement budgétaire qui ont ramené la dette publique à 36% du PIB en 2007(2) ; et, ii) au processus de désendettement externe. Les deux phénomènes sont liés : l’amélioration des termes de l’échange (corollaire de la hausse du prix des matières premières) a contribué à l’apparition des excédents de la balance des paiements courants et à l’augmentation des recettes publiques associées aux taxes sur le commerce extérieur (en particulier du secteur pétrole/gaz). La vulnérabilité associée à l’endettement externe, qui avait largement contribué au déclenchement de la crise de 1997 a aujourd’hui pratiquement disparu, en grande partie grâce à l’accumulation de réserves de change et à la croissance économique rapide (progression de 5,7% en moyenne entre 2004 et 2008).

Qui plus est, nous observons depuis mars 2009 une stabilisation des flux de capitaux et des variables financières, qui permettent d’envisager avec une certaine sérénité le reste de l’année 2009. En effet, les marchés récupèrent progressivement l’appétit pour le risque ce qui bénéficie les marchés émergents, d’où le rebond de la bourse indonésienne (+48%), du taux de change de la rupiah (+15% contre dollar) et la baisse notable des CDS (de presque 400 pb). A l’instar des Philippines et de la Corée, le gouvernement indonésien a réussi son émission de titres souverains de mars (des « islamic bonds » d’échéance à 5 ans pour un montant de 650 millions de US$ qui débutent avec un rendement annuel de 8,8%).

Il convient également de noter que l'Indonésie a accès à près de 100 milliards de yuans (14,6 milliards de US$) grâce aux contrats d'échange de devises établis avec la Chine au mois de mars, qui s’ajoutent aux accords de swap déjà établis avec le Japon (18 milliards de US$) et la Corée (2 mds de US$). Ces accords éloignent davantage la probabilité d’une crise de change. Dans les conditions actuelles, un appel aux liquidités du FMI semble improbable du fait de la résistance politique que suscite cette institution dans le pays. Le FMI y est fortement critiqué pour les conditions draconiennes appliquées aux prêts consentis pendant la crise de 1997, qui auraient prolongé la récession. En 2006, le pays a remboursé de façon anticipé sa dette de 3 milliards de US$ vis-à-vis du FMI.

La politique économique orientée au soutien de l’activité

Face au ralentissement de l’activité observé fin 2008 (nous avons estimé la croissance trimestrielle du PIB à 0,2% CVS contre 1,7% CVS en moyenne sur les trois premiers trimestres de 2008), les autorités ont mis en place des politiques économiques de relance.

Sur le plan de la politique monétaire, la Banque d’Indonésie, profitant de la réduction des pressions inflationnistes ces derniers mois (la hausse des prix s'étant ralentie à 6,1% en mars contre 12% en septembre 2008), a diminué progressivement le taux d’intérêt directeur de 9,5% fin 2008 à 7,25% début mai.

Par ailleurs, le gouvernement a engagé un plan de relance d'environ 6,1 milliards de US$ (1,3% du PIB 2009), notamment sous la forme de réduction de l’impôt sur le revenu des entreprises et des ménages et d’investissements en infrastructures. D’autres politiques anticrises ont été menées comme la baisse du prix subventionné des carburants, et des mesures pour favoriser les produits « made in Indonesia ». La relance budgétaire, qui devrait nécessiter un besoin de financement de 2,5% du PIB en 2009, ne semble pas en mesure de déstabiliser les finances publiques.

La continuité politique permet d’envisager le futur avec une relative sérénité.

Le Parti démocrate (centre) du président Susilo Bambang Yudhoyono est sorti vainqueur du suffrage parlementaire d’avril 2009 avec 20,8% des votes. Ce résultat permet à ce parti d’accéder à 148 sièges des 540 sièges du Conseil Représentatif du Peuple (chambre basse) soit 51 sièges de plus qu’auparavant. La réélection du président aux élections du 8 juillet 2009 est ainsi probable. Le triomphe du gouvernement en tête serait un résultat logique, au vu du redressement économique dont peut se targuer Susilo Bambang Yudhoyono, arrivé à la présidence en octobre 2004, après les premières élections du pays au suffrage universel.

Malgré les défis en matière de politique économique qui attendent le prochain gouvernement, l'Indonésie apparaît comme l'un des pays d’Asie les moins fragilisés par la crise actuelle sur le plan politique et économique. Il reste que les protections contre la crise dont bénéficie actuellement le pays (économie relativement fermée et protégée de la concurrence externe, poids réduit du secteur manufacturier) peuvent aussi être perçues comme des faiblesses à plus long terme.

En particulier, la moindre ouverture du pays pourrait empêcher l’Indonésie de bénéficier à plein de la reprise économique lorsque celle-ci se présentera. Sont également mentionnées comme fragilités structurelles la surexploitation des forêts, la faiblesse de l’investissement productif (le gouvernement consacre plus des efforts pour soutenir la consommation qu’à développer les infrastructures) et l’érosion de la compétitivité (face au Vietnam et à la Chine) dans les secteurs manufacturés intensifs en main d’œuvre. En tout état de cause, la croissance indonésienne va ralentir cette année à 3-4 % (contre 6,1 % l'an dernier), un chiffre plus qu'encourageant lorsqu'on le compare aux récessions environnantes (Thaïlande, Singapour, Malaisie, Hong Kong, Taiwan).

NOTES

(1) L'Indonésie est le premier producteur d'huile de palme dans le monde, le deuxième producteur mondial de caoutchouc et exporte du pétrole brut, du gaz naturel, du cuivre, du riz et du café. (2) Pour une révision des politiques de la période après-crise, voir François-Xavier Bellocq (2008), « L’Indonésie dix ans après la crise ». Agence Française de Développement.

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