Le basculement s’accélère

La crise économique et financière qui a débuté en 2007 a favorisé le rééquilibrage de l’économie mondiale en faveur des pays émergents et la crise de la dette en Europe est en train d’accélérer le bas

La crise économique et financière qui a débuté en 2007 a favorisé le rééquilibrage de l’économie mondiale en faveur des pays émergents et la crise de la dette en Europe est en train d’accélérer le basculement.

En un peu plus d’une décennie, la répartition du Produit intérieur brut (PIB) mondial entre pays développés et pays émergents est passée de deux tiers à la parité mais la situation financière est beaucoup plus favorable aux seconds.

Ainsi, les Etats-Unis représentaient environ 23% du PIB mondial en 1995 contre 20% aujourd’hui tandis que la zone euro est passée d’un peu moins de 20% à un peu moins de 15% et que le Japon de 8% à 6%. La Chine est désormais à environ 13% contre 6% et l’Inde dépasse 5% contre 3% et le Brésil reste autour de 3%.

La société de gestion Natixis Asset Management a montré récemment une série de tableaux montrant la progression très nette de la contribution des pays émergents à la croissance mondiale. La production industrielle y est orientée à la hausse alors qu’elle affiche une évolution modérée dans les pays avancés.

Cette tendance va se poursuivre et s’accentuer car la situation des finances publiques diffèrent radicalement. Dans les pays émergents, la dette publique représente aujourd’hui moins de 40% du PIB en dépit de la crise contre plus de 50% au début de la décennie 2000. Dans les pays développés, elle est à près de 100% du PIB contre environ 75% en 2007 et moins de 70% en 2000.

Les pays avancés ont investi massivement de l’argent public pour éviter une récession trop forte et ils n’ont aujourd’hui plus de marge de manœuvre. Les Etats-Unis se retrouvent dans une situation terrible, d’autant que les finances locales sont également dégradées, mais, disposant avec le dollar de la principale monnaie internationale, ils peuvent faire tourner la planche à billets. Ce dont ils ne se privent pas et ce qui a pour effet de faire baisser le dollar et donc de doper les exportations.

L’Europe ne dispose pas d’une telle puissance et nul ne sait dans quel état elle sortira de ses difficultés actuelles. Elle essaie depuis un an de régler la question de la dette souveraine de l’Irlande, du Portugal et de la Grèce. Elle n’y est toujours pas parvenue : au départ l’Union européenne n’avait pas les outils permettant d’aider un Etat membre ; aujourd’hui, elle souffre de divergences politiques majeures entre les pays les plus puissants, qui s’écharpent sur les moyens voire la nécessité d’aider les plus faibles.

Pendant que les dirigeants européens en sont presque à tuer l’idée européenne, les pays émergents affichent des taux de croissance exceptionnels, entre 7% et 10%. Ils investissent massivement dans les infrastructures et profitent toujours de leurs coûts bas pour exporter vers les régions riches. Ils accumulent des réserves de change colossales (plus de 6.000 milliards de dollars, dont 3.000 milliards pour la Chine).

Ils ont quelques difficultés : du fait de leur demande, les cours des matières premières flambent et les taux d’inflation sont relativement élevés par rapport aux pays riches (plus de 6% en moyenne contre 1,5%). Mais cela n’a rien à voir avec les taux observés dans les années 1990 quand ils étaient confrontés à l’hyper-inflation.

Leur vrai défi est de résorber les inégalités internes. Si la Chine est devenue la deuxième puissance économique mondiale, il ne faut pas oublier que deux tiers de sa population vit toujours dans la pauvreté. La situation est la même au Brésil et en Inde. Ces deux pays ont un avantage face à la Chine : ce sont des démocraties et le fait que les électeurs puissent voter peut permettre de réduire les tensions alors que des experts redoutent des explosions sociales dans l’Empire du Milieu.

Dans l’immédiat, les pays émergents dans une situation nouvelle : ils peuvent devenir les financiers des pays développés. La Chine a déjà récupéré la gestion d’une partie du port du Pirée en Grèce et achète des obligations de ce pays et celles du Portugal. Des entreprises chinoises, brésiliennes et indiennes sont prêtes à acquérir des entreprises que certains Etats devraient vendre pout assainir leurs finances publiques.

Le basculement se produit donc de plus en plus vite. Les Etats-Unis et l’Europe peuvent-ils rééquilibrer la situation en leur faveur dans les prochaines années ? L’Etat de leurs finances publiques et leur absence de vision stratégique ne plaident pas en leur faveur.