Le coût permanent de la crise sanitaire en France

par Philippe Waechter, Chef économiste chez Ostrum AM

En France, le choc récessionniste de -8% en 2020 sera suivi d’un rebond qui pourrait être fort (FMI) ou médiocre (tel que constaté dans les 2 dernières récessions en France). Le risque est que le coût de la crise sanitaire soit fort et permanent. Si l’économie française suit l’allure observée lors des deux dernières récessions, le PIB se calera sur sa croissance antérieure (1.4%) dès 2021 et restera de façon permanente à 9.3% du niveau qui aurait été observé sans crise sanitaire (cas 1 discuté plus bas). Avec une politique économique active (cas 2), le coût serait de l’ordre de 3% de façon permanente.

La politique économique vise à maintenir l’économie dans une forme de coma artificiel le temps que dure l’épidémie. C’est une politique à laquelle j’adhère mais qui a un coût économique important. Le gouvernement français a ainsi indiqué qu’il s’attendait à une contraction de 8% du PIB français en 2020, le FMI anticipant une contraction de -7.2%. Dans l’un ou l’autre cas il s’agit du choc le plus terrible depuis 1870 à l’exception des périodes de guerre (voir La pandémie et la guerre: les années 2020 ne ressembleront pas aux années folles).

Combien de temps sera-t-il nécessaire pour retrouver le PIB que la France aurait eu sans cet épisode épidémique? C’est une question majeure car sont associés à la réponse, l’emploi et le niveau de vie en France. Je fais l’hypothèse que l’Etat ne pourra pas prendre en charge le coût du choc (coma artificiel) au delà de 2020. Il pourra néanmoins adopter des mesures permettant de passer temporairement au-dessus de la tendance de l’économie française.

Je fais l’hypothèse, probablement forte, que l’économie française convergera toujours vers le taux de croissance moyen observé sur la période 2013-2019 soit 1.4%.

Il y a deux étapes pour fixer les idées.

La première est celle qui permet de mesurer le temps nécessaire pour revenir au PIB d’avant crise de 2019. La deuxième étape est de calculer le taux de croissance qui serait nécessaire pour que dans un temps fini, le PIB français revienne sur le niveau qui aurait été le sien s’il n’y avait pas eu la crise. En d’autres termes, si le PIB avait continué sur sa tendance de 1.4% au cours des prochaines années.

Le PIB après les récessions de 1993 et de 2009 ne connait pas de rebond franc l’année suivante. L’économie n’efface pas le choc rapidement.

Je pars de l’hypothèse du gouvernement d’un repli du PIB de -8% pour l’ensemble de l’année 2020. La première question est de déterminer l’allure du PIB en 2021. Quand on regarde les deux dernières récessions de l’économie française, on ne peut pas être convaincu par la possibilité d’un rebond qui recalerait immédiatement l’économie française sur sa tendance antérieure. En 1993, la récession avait été de -0.6% et le rebond de 1994 de 2.3% soit le chiffre moyen constaté sur la période 1980-2007 en enlevant l’année 1993. L’activité se recale sur sa tendance de croissance antérieure sans compenser la perte de PIB. Il n’y a pas de rattrapage en niveau.

En 2009, la récession est de -2.8% et le rebond de 2010 n’est que de 1.8%. Le chiffre est alors inférieur à la tendance 2000-2007 qui était de 2.2%. Le choc est persistant et pénalise aussi l’année d’après. L’économie dans les deux précédentes récessions ne rattrape pas ce qui a été perdu.

Cela veut dire que l’on ne peut probablement pas s’attendre à un chiffre en 2021 qui recalerait spontanément l’économie française sur son niveau d’avant crise.

Au regard des deux dernières récessions, il faudrait faire, de façon raisonnable, l’hypothèse que l’économie évoluerait à 1.4% en 2021 et après. Dans ce cas, le PIB français ne retrouverait son niveau de 2019 qu’en 2026. Le coût de la crise serait permanent et très élevé. Le PIB reste de façon permanente à -9.3% de ce qu’il aurait été sans la crise sanitaire (cas 1 sur le graphe).

On peut faire une hypothèse un peu plus audacieuse avec une reprise de 5% (pour prendre un rebond de l’ampleur de celui calculé par le FMI) en 2021 et le maintien pour 2022 et 2023 d’une économie au-dessus de son potentiel avec une croissance de 3% en raison d’une politique économique très active (ce chiffre est celui qui était observé à la fin de 2017 sur un an et sur le trimestre. A l’époque, les indicateurs de tensions (Taux d’utilisation, difficultés de recrutement) montraient que l’économie française ne pouvait pas aller plus vite).

C’est une hypothèse audacieuse. Ensuite, le PIB converge vers 1.4%. Dans ce cas, le PIB revient sur son niveau de 2019 entre 2022 et 2023 mais reste sous le PIB qui aurait prévalu dans crise sanitaire. Ce coût permanent est d’environ 3% du PIB. C’est le cas 2 dans le graphe.

On peut aussi faire l’hypothèse d’un retour vers le niveau qui aurait prévalu sans le choc sanitaire en 2025. (Cette date est arbitraire). Il faut dans ce cas, un taux de croissance de 3.4% à partir de 2021 et jusqu’en 2025 avant de se recaler sur 1.4% à partir de 2026. Dans ce cas, il n’y a pas de coût permanent pour l’économie française mais un coût temporaire jusqu’en 2025. Le PIB a été suffisamment longtemps au-dessus de sa tendance pour se recaler sur celle-ci. L’hypothèse forte et non soutenable est que la croissance puisse s’installer pendant 5 ans à 3.4%.

La convergence vers le niveau du PIB sans crise sanitaire en 2030 supposerait après le choc de -8% en 2020 un taux de croissance annuel moyen de 2.4%. C’est la moyenne constatée entre 1976 et 2007. Au regard des performances de l’économie française des 10 dernières années (1.4% de 2010 à 2019), cela parait excessif. C’est le cas 4 sur le graphe.