Le commerce extérieur, de nouveau un poids pour l’économie américaine

par Marie-Pierre Ripert et Elsa Dargent, économistes chez Natixis

Nous n’avons que marginalement revu à la baisse notre prévision de croissance pour 2009 (de -1,7% à -1,9% en moyenne, inchangée à 1,3% en 2010), en raison principalement du commerce extérieur. En effet, nous avons sensiblement révisé à la baisse la croissance mondiale depuis le mois dernier (de -0,8% à -1,5%).

Toutes les zones sont concernées mais les révisions sont les plus marquées pour la zone euro (de -1,5% à -2,8%), les pays de l’Est (de -0,3% à -2,9%) et dans une moindre mesure pour l’Amérique latine (de 0,9% à-0,2%) et l’Asie hors Chine et Japon (de 2,0% à 1,1%). Nous n’avons en revanche pas revu la croissance chinoise à 5,4%. Avec une telle prévision, nous continuons de faire partie des plus optimistes sur la croissance américaine (tableau 1).

Outre le FMI (mais ses prévisions datent de janvier), le consensus prévoit désormais une croissance de -2,8% pour 2009 et l’OCDE de -4,0% ! En revanche, nous restons relativement plus pessimistes sur les perspectives de croissance à moyen terme avec une croissance toujours bien inférieure au potentiel en 2010.

Le profil de croissance reste le même avec une forte chute en T1-09 (-5,4% T/T annualisé (ra)) puis une croissance qui redevient positive dès le T2-09. Les profils des différentes composantes vont être très heurtés en 2009, avec notamment un cycle des stocks marqué (déstockage massif en T1-09 puis moindre ensuite) ce qui implique une contribution très fortement négative en T1 qui redevient positive dès T2 : rappelons en effet que c’est la variation des stocks qui est prise en compte dans le PIB ; ainsi il suffit que les entreprises déstockent moins pour que les stocks aient une contribution positive à la croissance.

Les statistiques publiées ces dernières semaines nous ont conduits à modifier la structure de croissance du T1 :

  • La consommation des ménages risque fort d’être positive : l’acquis statistique à la fin de février est de 1,2% (T/T en ra). Comme nous prévoyons une baisse modérée de la consommation en mars, nous retenons une progression de 0,8% T/T ra en T1.
  • L’investissement en revanche baissera fortement, surtout l’investissement en équipement qui pourrait afficher une baisse de 31% T/T en ra : les commandes en équipement hors défense et avions ont certes rebondi en février (+6,6% M/M) mais après une chute très marquée en janvier (-11,3%). L’investissement résidentiel restera sur un rythme de contraction proche de celui du T4 (-24% après – 22,7%). Les mises en chantier ont rebondi en février (+22% M/M) mais après avoir baissé de 15% M/M les trois mois précédents.
  • Les stocks vont vraisemblablement contribuer fortement négativement à la croissance en T1-09.
  • Enfin, le commerce extérieur va aussi fortement peser sur la croissance en début d’année. Nous n’avons pour le moment que les données de janvier mais elles montrent que les exportations de biens en volume ont chuté en début d’année (-8,6% M/M), beaucoup plus que les importations (-5,6%). Les acquis statistiques à ce stade pour le T1 sont une contraction de 43,6% T/T ra pour les exportations et de 28,2% pour les importations. Il reste encore de nombreuses incertitudes sur le rythme de dégradation en février et mars, mais la contribution du commerce extérieur pourrait être négative de 2pts (en ra) en T1.

Vers une stabilisation de la demande des ménages…

Les déterminants de la consommation et de l’investissement résidentiel vont être mitigés dans les mois qui viennent.

Nous pensons toutefois que les facteurs positifs pourraient permettre une stabilisation de la demande des ménages dès le T2-09. Les deux principaux facteurs négatifs sont l’évolution du marché de l’emploi et les effets richesse négatifs. 

  • L’évolution de l’emploi va rester très défavorable avec encore d’importantes destructions d’emplois. En effet avec une contraction de la croissance de près de 2% et avec l’hypothèse que les entreprises vont essayer de maintenir leurs gains de productivité proches de 1,5%, l’emploi baissera de 3,5% en 2009 avec un ajustement très marqué en début d’année (1,3 millions de destructions d’emplois en janvier/février). Pour autant, les destructions d’emplois devraient sensiblement ralentir dans les mois qui viennent avec la stabilisation de la croissance. Le taux de chômage qui a gagné près de 2pts depuis septembre dernier et 3,3pts sur un an, se situait à 8,1% en février.

Pour appréhender l’effet de la croissance sur le taux de chômage, on peut utiliser la loi d’Okun, qui relie l’évolution du taux de chômage à celle de la croissance (graphique 5). Var(u) = -0,5*(var(y) –y*) Avec var(u) la variation du taux de chômage, Var(y) la croissance du PIB et y* la croissance potentielle.

Par définition, le taux de chômage est stable lorsque le PIB progresse au même rythme que son potentiel. L’estimation sur les données de 1981-2008 en moyenne annuelle et avec une croissance potentielle de 2,75% donne un coefficient de 0,4 soit légèrement inférieur à celui qui avait été trouvé par Okun (0,5). En appliquant cette formule avec notre prévision de croissance de -1,9%, nous obtenons une hausse du taux de chômage de 2,3pt en moyenne sur 2009. Pour autant, étant donné le rythme de dégradation sur les premiers mois, nous retenons une prévision un peu plus négative à 8,8% en moyenne annuelle, en hausse de 3pts comparé à 2008. Pour 2010, la hausse du taux de chômage ne serait plus que de 0,7pt à 9,4%.

  • Les effets richesse vont également continuer de peser. Les ménages américains ont perdu 11 200Md$ de richesse nette en 2008 (11,2 trillions de dollars), dont 9 trillions de richesse financière et 2,3 trillions de richesse immobilière. Ils se sont parallèlement désendetter de 87Md$. Il ne faut pas s’attendre à une revalorisation des actifs immobiliers d’ici fin 2010 mais un certain nombre d’actifs financiers pourraient remonter quelque peu (en particulier le marché action pourrait être un peu mieux orienté qu’en début d’année 2009).

Ces effets vont être contrebalancés par plusieurs facteurs positifs.

  • La forte désinflation : pas de grand changement de scénario sur l’inflation. Nous prévoyons toujours une très forte baisse de l’inflation totale sous l’effet d’un important effet de base sur le pétrole (140$ en juillet 2008). L’inflation atteindrait -2,3% en juillet pour redevenir positive en fin d’année. Le profil de l’inflation sous-jacente sera très différent avec une tendance baissière sur l’horizon de la prévision. En effet, tant que l’output gap s’ouvre, les tensions désinflationnistes s’accentuent. Le core PCE déflateur sera inférieur à 1% en 2010, laissant penser que le risque de déflation sera encore présent l’année prochaine. En moyenne l’inflation baissera de 0,7% et le déflateur de la consommation sera stable.
  • Les baisses d’impôts et incitations fiscales : les ménages vont bénéficier dès le mois d’avril d’une baisse de leur taux d’imposition, 60Md$ devraient être versés sur l’année 2009 (voir note mensuelle de mars pour détails sur effet du stimulus). Par ailleurs, il pourrait être décidé d’une nouvelle prime à la casse sur l’automobile, proposition avancée par Obama et dont plusieurs textes sont actuellement en attente au Congrès (mesure financée par une substitution dans le stimulus). Les modalités varient substantiellement entre les différents textes: prime pour l’achat d’une voiture neuve contre l’ancienne ou prime sur l’achat d’une voiture neuve, montants de la prime (de 350$ actuellement dans le stimulus à 10 000$ proposés par certains sénateurs), limite de revenu pour bénéficier de la mesure (de 75K à 250K). L’impact sur la consommation d’une telle mesure dépendra évidemment de l’ampleur de l’incitation et de sa durée (fin 2009 ?, fin 2010 ?).
  • La baisse des taux d’intérêt permet non seulement de rendre les conditions de crédit plus attractives mais également de rendre solvables un certain nombre d’emprunteurs en leur permettant de se refinancer. D’ailleurs, l’affordability index, qui mesure la capacité d’un ménage à revenu médian à acheter une maison à un prix médian, s’est nettement amélioré avec la forte baisse des prix immobiliers et celle des taux hypothécaires (le taux fixe à 30 ans est désormais sous 5% (4,85% fin mars) vs 6,2% avant les annonces de la Fed concernant les achats de MBS d’agences.
  • Le programme de soutien aux emprunteurs immobiliers annoncé par le Trésor (75Md$) comporte deux mesures phares : la première est de permettre aux ménages qui ne sont pas en défaut mais qui n’ont pas assez d’equity (différence entre la valeur du prêt et la valeur de la maison) de refinancer leur prêt pour bénéficier de la baisse des taux hypothécaires (cela concernerait d’après le Trésor 4 à 5 millions de propriétaires) ; la deuxième consiste en la modification des prêts à risque (défaut de paiement) pour rendre les prêts abordables (paiement d’intérêt rapportés à 30% du revenu), la moitié étant financé par le créancier (banques, etc…), l’autre par l’Etat (2 à 3 millions de propriétaires). En revanche la demande des entreprises continuera de s’ajuster à la baisse sur l’ensemble de l’année 2009.

…mais une dégradation du commerce extérieur

Le commerce extérieur était devenu depuis 2007 un facteur de croissance pour l’économie américaine (contribution positive de 0,6% en 2007 et 1,4% en 2008). Même si une partie de l’amélioration du commerce extérieur est imputable à l’affaiblissement des importations lié au ralentissement de la croissance domestique, les exportations sont également responsables. Elles ont en effet progressé rapidement depuis 2004 (8,8% en moyenne) sou l’effet de la dépréciation du dollar, mais surtout leur rythme de croissance a été plus rapide que celui des exportations mondiales impliquant un gain de parts de marché des entreprises américaines.

Les exportations ont chuté de près de 24% T/T ra en T4-08. Les premiers chiffres disponibles pour janvier montrent une nouvelle baisse de 8,6% M/M des exportations de biens en volume suggérant que la chute s’est accélérée (nous prévoyons une baisse de 42% T/T en ra). La demande adressée aux Etats-Unis devrait rester très déprimée en 2009 (nous prévoyons un recul de la croissance mondiale de 1,5%) et le taux de change effectif du dollar ne devrait que peu se déprécier (2% d’après nos prévisions). Au total, les exportations baisseront de 18% en 2009 alors que les importations n’enregistreront un recul que de 11%. La contribution du commerce extérieur sera négative de 0,6% en 2009.

Politique monétaire : la Fed franchit un pas supplémentaire pour rendre les conditions monétaires plus accommodantes. A l’issue du FOMC du 18 mars, la Fed a annoncé qu’elle allait acheter pour 300Md$ du titres du Trésor (de maturité 2 à 10 ans y compris TIPS) et qu’elle allait très fortement augmenter ses achats de MBS d’agences (de 750Md$ pour atteindre 1,25 trillions de $ (1250Md$)) et de titres d’agences (de 100Md$ à 200Md$). La Fed annonce donc officiellement la monétisation de la dette publique (financement du déficit par création monétaire). 

Le bilan de la Fed va donc fortement augmenter dans les mois qui viennent et pourrait dépasser 4 trillions (cf Flash 2009-146 : « La politique de « money rain » de la Fed : objectifs, conséquences, efficacité »).

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