Les craintes inflationnistes ne sont pas fondées

par René Defossez, économiste chez Natixis

Deux facteurs ont conduit à une amélioration de la situation dans les marchés d’obligations indexées sur l’inflation : le retour de la liquidité dans ces marchés ; les craintes inflationnistes liées à la monétisation des dettes publiques et/ou à la hausse du prix du brut.

Mais les points morts d’inflation observés ne disent pas que les investisseurs s’attendent à une envolée de l’inflation. Et le comportement des courbes de Phillips rappelle que le risque inverse est loin d’avoir disparu.

Le débat sur un éventuel retour de l’inflation s’intensifie à mesure qu’apparaissent des signes de stabilisation de la situation économique, d’amélioration dans le secteur bancaire (les profits des banques sont en général meilleurs que prévu, ce qui dope les marchés actions). A court terme, c’est la monétisation des dettes par plusieurs banques centrales et le comportement du prix du brut, au plus haut depuis octobre dernier, qui alimentent ces anticipations.

Nous avons déjà expliqué pourquoi la monétisation des dettes ne devrait pas, dans l’environnement actuel, être inflationniste (cf flash n°135 : monétisation inflationniste et monétisation non-inflationniste, quelles différences ?).

Quant à la hausse du prix du brut, elle peut, si elle se poursuit, conduire à une hausse de l’inflation totale. Mais elle pourrait aussi conduire, paradoxalement, à une baisse de l’inflation sous-jacente, car en période de récession les entreprises chercheront d’abord à compenser cette hausse du prix du pétrole par la baisse d’autres coûts. Au Japon, sur la période 1990 à nos jours, la corrélation entre le brent et l’inflation « core core » est fortement négative ; la corrélation entre le brent et l’inflation totale est nulle. La hausse du prix du brut ne semble donc pas de nature à produire de la « vraie » inflation.

D’ailleurs, les marchés ne semblent pas s’en émouvoir outre-mesure : les contrats inflation zone euro traités au CME suggèrent que, sur un horizon d’un an, l’inflation européenne restera toujours nettement inférieure à 2 %. 2 % est le niveau au dessus duquel l’inflation européenne ne doit pas passer, en vertu des objectifs que la BCE s’est fixée. Si ce que price le marché est juste, jamais l’inflation de la zone euro n’aura été aussi faible pendant une période de temps aussi longue.

Quant aux points morts d’inflation des obligations indexées à 10 ans et aux swaps inflation de même maturité, ils sont simplement de retour sur leurs moyennes de long terme. Rien donc n’indique une quelconque inquiétude, vis-à-vis de l’inflation, de la part des investisseurs.

Il y a enfin la situation dans les marchés du travail. La dégradation de la situation dans ces marchés est extrêmement brutale et rapide. Dans beaucoup de pays, les courbes de Phillips observées depuis 2004 s’échappent violemment vers le sud-est. Cela n’empêche pas évidemment chaque courbe de Philips de raconter, initialement, une histoire différente, en terme notamment d’élasticité relative du taux de chômage et de l’inflation (la courbe tourne dans le sens des aiguilles d’une montre ou dans le sens inverse). La courbe allemande est un peu particulière : dans la crise, l’ajustement s’est fait, pour l’instant, uniquement (ou presque) par les prix.

Les données utilisées pour ces graphiques sont trimestrielles : la situation actuelle pour ces quatre pays est en fait plus dégradée que ce qu’ils indiquent.

Les inflations de ces quatre pays sont toutes au plus bas depuis très longtemps (depuis 1950 aux Etats-Unis). Idem pour les taux de chômage (depuis 1983 aux Etats-Unis).

Certaines de ces courbes ressemblent beaucoup à celle du Japon entre le premier trimestre 1990 et le quatrième trimestre 1995.

Depuis cette époque, le Japon n’est jamais vraiment parvenu à sortir de la déflation…

Dans le même esprit, certains indicateurs de prix, autrefois surveillés de très près par les marchés, ont atteint récemment des niveaux extraordinairement faibles : ainsi, pour la première fois, le déflateur des dépenses de consommation baisse aux Etats-Unis en glissement annuel. Et les chiffres de l’emploi ADP publiés cette semaine montrent que l’économie américaine détruisait encore 371000 emplois en juillet (davantage qu’attendu).

Conclusion

En dépit des commentaires récurrents sur le risque inflationniste dans la presse spécialisée, le risque opposé nous semble être plus sérieux (notre scénario central reste toutefois celui d’une inflation durablement faible un peu partout : en moyenne, elle devrait être de 1.1 % l’année prochaine aux Etats-Unis, de 0.9 % en Allemagne, de 0.5 % en France et en Espagne). Cela amène deux remarques, l’une relative aux politiques économiques, l’autre aux marchés :

  1.  il n’est pas forcément pertinent de mettre rapidement en place des « exit strategies », surtout quand on évoque la politique budgétaire. Cette dernière est la seule qui puisse rapidement stimuler l’emploi ; 
  2.  les obligations indexées sur l’inflation sont, aujourd’hui, davantage un instrument de diversification que de couverture du risque inflationniste, qui devrait rester durablement très faible.

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