M&A : des signaux d’alerte dans un climat toujours dynamique

par Franck Silvent, Managing Partner chez Degroof Petercam France

Les opérations financières continuent d’évoluer dans un contexte favorable mais le « ressac » actuel sur le climat économique général doit inciter les entreprises et les investisseurs à anticiper une période potentiellement plus instable. Les conditions de financement pourraient évoluer au cours des prochains mois.

Au premier trimestre 2018, les fusions-acquisitions ont enregistré un nouveau record, atteignant près de 1.200 milliards de dollars en volume, soit 975 milliards d’euros. Par zone géographique, le volume des opérations a doublé en Europe tandis que celles-ci augmentaient de 67% aux Etats-Unis et de 11% en Asie. La réforme fiscale engagée par l’administration Trump donne des ailes aux entreprises américaines et l’Europe a connu au cours des derniers trimestres une embellie économique marquée. En France, le climat général des affaires a connu une amélioration très sensible après la séquence politique de mai 2017.

Par ailleurs, l’afflux de liquidités continue de pousser les prix des transactions à la hausse. Les fonds d’investissement recherchent activement des cibles et de nombreux corporates ont accumulé des montant de cash ou assaini leur structure financière de manière telle que cela leur ouvre la possibilité de réaliser des acquisitions importantes. Le contexte de marché est dans ce contexte globalement plutôt favorable aux vendeurs qu’aux acheteurs, même s’il existe de réelles disparités entre secteurs. Les multiples moyens de valorisation demeurent élevés, proches de 10 fois l’Ebitda, soit un niveau record en quatorze ans.

L’exemple récent du rachat de la société Idex démontre clairement également une course vers les actifs de qualité ou à profil de cash flows en partie sécurisés. Ce spécialiste des services énergétiques (troisième opérateur de chauffage urbain) va être acheté par Antin Infrastructures Partners sur la base de multiples élevés, valorisant l’entreprise entre 1,2 et 1,4 milliard d’euros. Idex suscitait la convoitise de nombreux acquéreurs, signe que les candidats à l’achat se tiennent en embuscade pourvu qu’une cible de qualité soit mise en vente !

Des vendeurs parfois trop ambitieux, des acheteurs plus sélectifs

Dans ce contexte résolument porteur, un certain nombre de signaux doit néanmoins nous alerter et pourrait peser sur la tendance générale au cours des prochains mois. Aux Etats-Unis, le mouvement général de hausse des taux est enclenché. En Europe, le risque politique est en augmentation. En mai, la crise gouvernementale en Italie a entraîné un regain de volatilité et une évolution spectaculaire du spread de la dette italienne. En outre, la conjoncture montre des signes d’essoufflement des deux côtés de l’Atlantique d’après les derniers chiffres de l’OCDE (+0,4% au T1 2018 dans la zone euro, +0,6% aux Etats-Unis). En France, la consommation a été révisée à la baisse au premier trimestre 2018 alors que la reprise de l’investissement tend à s’émousser.

Ce « newsflow » négatif, et qui intervient après des mois de hausse des marchés et un cycle de croissance battant des records de longévité aux Etats-Unis, ne remet pas à ce stade en cause la dynamique actuelle mais ce « ressac » est un signal d’alerte à prendre en considération. Déjà, certaines opérations, initiées par des vendeurs, sont suspendues ou finissent par échouer quand les prétentions financières de ces derniers sont trop élevées. C’est le cas aussi bien en matière de M&A privé qu’en matière d’introductions en bourse. Si les conditions de marché restent encore favorables aux vendeurs, ceux-ci ne doivent pas ignorer ce nouvel environnement et considérer leurs options stratégiques en ayant en tête les risques de modification du climat général. Par ailleurs, la hausse de la volatilité peut augmenter l’incertitude et réduire les fenêtres de tirs disponibles en cas de besoin de levée de fonds. Certaines opérations sont reportées dans l’attente de conditions de marché plus favorables.

Sur les marchés de dette, il est clair que l’intérêt évident des entreprises est de profiter des conditions encore favorables pour se doter de financements diversifiés et longs, quand bien même le besoin immédiat ne se ferait pas sentir. C’est la condition pour qu’elles puissent disposer d’une structure de financement robuste qui leur permettra de ne pas être dépendantes d’un retournement de marché ou d’une période plus instable dont elles pourraient être les victimes indépendamment de leurs performances propres.