Marchés : casser le thermomètre

En s’attaquant aux « marchés financiers » et aux agences de notation, les dirigeants politiques européens font le choix de casser le thermomètre plutôt que de réfléchir aux vraies origines de la crise

En s’attaquant aux « marchés financiers » et aux agences de notation, les dirigeants politiques européens font le choix de casser le thermomètre plutôt que de réfléchir aux vraies origines de la crise actuelle et donc de réfléchir à des solutions pérennes.

Pour faire bonne mesure, le ministre français de l’Economie, François Baroin a déclaré aux Echos (16/11) : « Nous sommes en guerre contre les spéculateurs ».

Manifestement, certains responsables politiques pensent qu’en s’en prenant aux « marchés financiers », aux « spéculateurs » et aux « agences de notation », ils vont régler les problèmes économiques et financiers auxquels ils sont confrontés.

On ne comprend donc pas la décision de la Commission européenne de placer sous surveillance les agences de notation au motif qu’elles favoriseraient les attaques spéculatives contre les Etats. Le commissaire chargé du marché intérieur, le Français Michel Barnier, a même proposé de suspendre la notation des pays en difficulté avant de reculer.

Les attaques, venant aussi bien de certains politiques que de Bruxelles, traduisent une méconnaissance du fonctionnement de Standard & Poor`s, Moody’s et Fitch. Ces entreprises doivent évaluer le risque de chaque emprunteur pour le compte des prêteurs.

Les agences ont commis des erreurs – et même des fautes – dans le passé en attribuant par exemple leur fameux « AAA » à des produits financiers comme ceux qui étaient adossés aux « subprime loans » aux Etats-Unis. S’agissant des Etats, il est évident qu’une dégradation d’une note aggrave les difficultés par l’Etat concerné voit immédiatement ses taux d’intérêt monter, les prêteurs réclamant des garanties.

Mais les agences de notation travaillent pour les investisseurs qui ont suffisamment d’argent pour le prêter à des Etats ou à des entreprises.

Qui serait assez téméraire pour prêter de l’argent sans savoir si l’emprunteur peut rembourser ? On peut dans un cadre familial ou amical accorder un « prêt » en sachant pertinemment qu’on ne reverra pas cet argent. Mais les investisseurs internationaux n’ont pas d’amis : ils ont des mandants qui réclament une protection de leur capital et une rentabilité.

Et ces investisseurs peuvent être aussi bien des fonds de pension collectant les cotisations retraite de millions de salariés que des compagnies d’assurance gérant les contrats d’assurance vie de millions d’épargnants. Si une situation devient risquée – et c’est le rôle des agences de notation et autres analystes de le dire – il est normal qu’ils se retirent. Sont-ce des spéculateurs ? Peut-être mais dans ce cas nous sommes tous des spéculateurs.

Bien sûr, il y a aussi des spéculateurs « professionnels » dont l’objectif est de trouver des failles et qui investissent dans l’espoir de réaliser des gains conséquents. Ils peuvent amplifier les difficultés d’un pays mais, jusqu’à preuve du contraire, ce ne sont pas les spéculateurs qui ont créé le problème de la dette en Grèce, en Espagne, en Italie et même en France.

Casser le thermomètre évite toute remise en question. Or, bien avant la crise de l’automne 2008, il était évident que de nombreux pays européens, dont la France, n’accordaient pas l’importance nécessaire à la gestion des finances publiques. Au lieu d’ajuster le train de vie de l’Etat à la nouvelle donne internationale – une mondialisation qui aiguille les investissements productifs vers des pays à faible coût de main d’œuvre -, de nombreux gouvernements ont préféré recourir à l’endettement. Un piège terrible quand on ne contrôle pas sa planche à billets comme c’est le cas des pays membres de la zone euro.

Faire la guerre aux spéculateurs et « aux marchés dérégulés » nécessite seulement de mettre ses finances publiques en ordre. La France vient en quelques semaines de présenter un deuxième plan de rigueur mais les mesures prévues sont déjà dépassées. Les marchés attendent donc un troisième plan d’autant que la Commission européenne elle-même juge que Paris devra faire davantage d’efforts. Conséquence : les taux d’intérêt demandés à la France sont de plus en plus élevés et s’écartent dangereusement de deux de l’Allemagne.

Si la France conserve son « AAA » c’est parce pour deux raisons : les agences de notation ne veulent pas être accusées d’influer sur l’élection présidentielle du printemps prochain et elles ne veulent pas non plus être accusées de vouloir faire exploser la zone euro.

Car si la France est dégradée, l’Allemagne sera le seul garant du Fonds européen de stabilité financière (FESF) et compte tenu des montants en jeu – des garanties à hauteur de 1.000 milliards d’euros – elle risquerait à son tour d’être dégradée. Cela projetterait la zone euro dans une spirale infernale et aboutirait sans doute à sa dislocation.

Au lieu de s’en prendre aux agences de notation et aux marchés financiers, les dirigeants français et la Commission européenne feraient mieux d’élaborer des plans de rigueur dignes de ce nom pour ramener la confiance, favoriser la croissance et créer des emplois.