Perspectives de la Chine et des marchés émergents : un défi de taille à l’horizon

par Gaël Combes, Analyste Risque fondamental Actions, et Julien Malet, Spécialiste en investissement Actions chez Unigestion

Depuis des années, l'économie chinoise repose sur l'investissement en actifs immobilisés, porté par un endettement croissant. Si l'économie est en phase de transition vers un modèle axé sur la consommation, l'évolution se fait pas à pas. La Chine est confrontée à d'autres risques, parmi lesquels l'endettement élevé du secteur privé, la pression sur la dévaluation de sa monnaie et les difficultés rencontrées dans la mise en œuvre de la réforme de la politique de l'offre du pays sans entraîner de hausse du chômage et mettre en péril la cohésion sociale. Dans cet article, nous dressons les scénarios envisageables pour l'économie chinoise à moyen terme et partageons notre vision de ce qu'il en ressortira le plus probablement.

Les marchés émergents sont, eux aussi, largement impactés par le ralentissement chinois. Toutefois, leurs actions s'échangent à des valorisations raisonnables et des divergences nettes apparaissent dans le lien de dépendance qu'elles entretiennent vis-à-vis de la croissance chinoise. Si les pays exportateurs de matières premières risquent fort de subir de plein fouet l'essoufflement de la demande en Chine, certaines économies davantage tournées vers leur marché domestique pourraient bien sortir gagnantes en cas de poursuite du tassement de l'économie chinoise.

Chine: un pays pris entre le marteau et l'enclume

Ces dernières années, le modèle de croissance chinois a été basé sur l'investissement en actifs immobilisés à renfort de crédit, et il le reste encore aujourd’hui en grande partie. Le ratio dette globale/PIB avoisine ainsi les 300 %. La Chine reste devancée par le Japon et le Royaume-Uni sur ce terrain mais l'endettement de ses entreprises dépasse les 150 % du PIB, soit parmi les plus élevés au monde. C'est là où le bât blesse parce que les défaillances des entreprises peuvent se transformer en une catastrophe majeure.

Sur une note plus positive, les ménages chinois sont relativement peu endettés (environ 35 % du PIB) et la dette immobilière est réduite puisque les acquéreurs paient en général leur logement en numéraire pour la plus grosse partie. Beaucoup disent que les consommateurs ont largement de quoi dépenser plus car leurs économies sont très importantes.

C'est sans doute vrai mais le plus souvent, les Chinois épargnent pour payer les études de leurs enfants et leurs dépenses de santé, et en vue d'éventuelles périodes de chômage et de la retraite compte tenu de l'inexistence ou presque des prestations sociales en Chine. Il est peu probable que cette tradition évolue à court terme.

Le gouvernement central est lui aussi relativement peu endetté, à environ 50 % du PIB ; il peut donc se permettre de s'endetter davantage et d'accroître ses dépenses. Pourtant, le budget est déjà légèrement déficitaire, à -1,8 % du PIB, et les chiffres ne vont pas dans le bon sens.

Un nouveau risque s'est fait jour depuis que la Chine a décidé de rejoindre le panier des monnaies de réserve des droits de tirage spéciaux (DTS) du Fonds monétaire international. Pour ce faire, la Chine a dû ouvrir son compte de capital et libérer les échanges sur sa monnaie. Le FMI a annoncé en décembre l'entrée du renminbi dans le panier des DTS, mais les préoccupations des investisseurs concernant la croissance économique et la dette de la Chine ont provoqué des sorties massives de capitaux. Le renminbi a reculé et la banque centrale a dû intervenir pour défendre la monnaie. La vente de grandes quantités de devises met toute la masse monétaire chinoise sous pression, avec à la clé un resserrement monétaire au moment même où la croissance chinoise est mise à mal.

L'évolution du marché d'actions domestique est une autre source d'incertitude pour la Chine. Si les flux d'actions chinoises négociées à Hong Kong sont principalement le fait des professionnels, le marché intérieur est largement dominé par les investisseurs individuels. Il est donc extrêmement sensible aux variations des niveaux de confiance, comme le montre la volatilité très forte des bourses de Shanghai et de Shenzhen au cours de l'année écoulée.

En bref, la Chine fait face à de nombreux défis de taille alors qu'elle s'efforce de rééquilibrer son économie dans un contexte marqué par l'endettement élevé de ses entreprises, l’atonie de la croissance mondiale et la surcapacité de la plupart des industries lourdes, dont les bénéfices (lorsqu'il en reste) fondent comme neige au soleil.

La dette se refinance mais demeure un problème

L'endettement de la Chine a augmenté rapidement en raison des grandes mesures de relance initiées après la crise financière de 2007/2008. Ce sont les sociétés d'État (SOE) et les véhicules de financement des collectivités locales (LGFV) qui ont contracté la majeure partie de cette dette.

Nombre des emprunts consentis aux SOE et aux collectivités locales sont actuellement refinancés. Les collectivités locales optent pour des emprunts à long terme à taux bas sur le marché des obligations municipales et remboursent la dette des LGFV plus courte et plus chère. L'objectif est de réduire le risque d'une crise financière. Cependant, le ralentissement de la croissance économique, conjugué à la surcapacité, fait peser la menace d'un scénario de déflation de la dette, ces entités n’étant pas en mesure de rembourser le nominal de leurs emprunts en raison du niveau faible, voire négatif de leurs bénéfices. Dans ce contexte, le ratio dette/PIB du pays ne cesse de grimper.

Le rééquilibrage d'un modèle d'investissement vers la consommation se fait à petits pas

Depuis 2000, les investissements (formation brute de capital), en pourcentage du PIB, progressent alors que la consommation recule. La tendance ne s'inverse aujourd'hui que doucement et depuis une base très faible puisque la part de la consommation est à son plus bas en 30 ans. De plus, les secteurs primaire et secondaire prédominent toujours et emploient une proportion significative de la main- d'œuvre chinoise. Ces secteurs souffrent du tassement de la croissance économique, lequel fait peser la menace d'une hausse du chômage (et par répercussion d'une baisse de la consommation).

Compte tenu de l'opacité des statistiques économiques chinoises, il est difficile de juger de l'avancée de cette transition. La part des services a clairement progressé et représente près de la moitié de l'activité économique, mais les secteurs traditionnels de l'économie restent importants et ne vont pas aussi bien que nombre d'indicateurs le laissent entendre. À titre d'exemple, la consommation d'électricité – baromètre de l'activité industrielle – stagne depuis la mi-2014.

Dans le même temps, les chiffres de la consommation peuvent être trompeurs eux aussi puisque certains indicateurs, dont les ventes au détail, incluent les achats publics. Qui plus est, d'autres mesures, comme les ventes de voitures, ont été dopées à court terme par les baisses d'impôt. Et si les ventes en ligne explosent, il ne fait pas de doute que les circuits traditionnels souffrent.

La réforme de la politique de l'offre est un problème pour le gouvernement

La principale explication de la maigre rentabilité des SOE à l'heure actuelle est la surcapacité (l'industrie de l'acier est un exemple souvent cité à cet égard). La réforme de l'offre est un défi considérable car rationaliser l'offre entraînerait une hausse du chômage, laquelle ferait à son tour chuter la confiance et la consommation. La réforme de l'offre est importante mais il sera difficile, d’une part, de la mettre en place et, d’autre part, de la faire passer auprès de la population active et des investisseurs.

Il ne faut pas oublier que la stabilité sociale est la priorité numéro un du gouvernement chinois parce que c'est la condition de sa survie. Les intérêts des actionnaires minoritaires ne sont pas en tête de liste des préoccupations lorsque la paix sociale est mise en péril par la hausse du chômage.

Les risques qui pèsent sur le système financier chinois

Le secteur financier nous semble exposé à des risques croissants mais le gouvernement garde le contrôle de l’offre (toutes les grandes banques sont au service du gouvernement central) et d’une bonne partie de la demande (via les SOE et les collectivités locales). Par conséquent, même si le risque d'un événement de crédit existe, le plus important est de savoir comment le gouvernement réagirait en pareil cas. Un faux pas des pouvoirs publics risquerait plus de créer une crise financière que l'événement de crédit en lui-même.

Une nouvelle dépréciation du renminbi semble probable

Depuis que la Chine a laissé le renminbi se déprécier pour la première fois début 2014, les craintes se sont renforcées autour de la monnaie et se sont récemment transformées en une crise de confiance. Face au ralentissement économique, les prix des actifs et les rendements des investissements baissent, et les différents acteurs s’inquiètent de la réaction du pouvoir politique. Ce contexte a entraîné une fuite des capitaux.

Nous considérons que le fléchissement du renminbi n'est pas la bonne solution aux problèmes du pays, ce pour plusieurs raisons :

  • les exportations ne sont plus un moteur de croissance pour l'économie chinoise et une monnaie affaiblie n’enrayera pas le ralentissement économique ;
  • la surcapacité est un problème urgent et une monnaie forte, couplée au resserrement monétaire, fait partie du remède tandis qu'une monnaie faible laisserait les industries en mauvais posture continuer à produire plus ;
  • si le renminbi baisse, d'autres économies émergentes risquent fort de dévaluer leur monnaie pour rester compétitives face à leurs concurrents chinois ;
  • enfin, un renminbi faible aurait un effet d'érosion sur le pouvoir d'achat des ménages chinois, ce qui serait de mauvais augure pour la consommation.

Mais même si une monnaie forte fait partie de la solution vers un rééquilibrage de l'économie chinoise à nos yeux, nous ne sommes pas sûrs que les autorités soient prêtes à courir le risque d'une hausse marquée du chômage qu'entraînerait une devise forte, laquelle ferait par ailleurs couler certains secteurs de moindre importance. Voilà pourquoi nous tablons sur un risque élevé de dépréciation du renminbi au cours des trimestres à venir.

Les scénarios économiques envisageables pour la Chine

Tous ces facteurs mis bout à bout, quel est le scénario le plus probable à attendre dans ce pays ? Selon nous, l'économie chinoise pourrait suivre plusieurs voies possibles.

– Scénario 1 (Probabilité forte)

L'activité économique poursuit son ralentissement et la Chine continue d'assouplir ses conditions monétaires pour maintenir les SOE à flot sans avoir à les restructurer. Les capitaux continuent de fuir en masse et le renminbi s'infléchit. Un renminbi affaibli aurait un effet déflationniste sur l'économie mondiale. Le pouvoir d'achat de la Chine reculerait (ce qui aurait des répercussions négatives sur la consommation et les prix des matières premières). Les exportations chinoises seraient meilleur marché (d'où un effet déflationniste, tout particulièrement si la demande mondiale reste atone) et les autres pays émergents seraient poussés à dévaluer leurs monnaies pour rester compétitifs.

– Scénario 2 (probabilité moyenne)

Dans ce scénario, la Chine pourrait freiner les sorties de capitaux par des contrôles plus serrés et s'efforcerait de prolonger son cycle d'investissement en actifs immobilisés au travers de l'expansion budgétaire (le gouvernement accélérerait les investissements en projets d'infrastructures pour compenser la baisse des investissements privés). La croissance économique s'essoufflerait d'avantage, les problèmes de surcapacité demeureraient et le risque d'un scénario de déflation de la dette augmenterait sensiblement.

– Scénario 3 (probabilité moyenne)

La Chine connaît un événement de crédit majeur touchant une grande SOE ou collectivité locale. La réaction des autorités serait cruciale pour éviter la panique générale, et un événement de grande ampleur ferait largement grimper la probabilité d'une crise financière en Chine.

– Scénario 4 (probabilité faible)

Dans ce scénario, la Chine resserre ses conditions monétaires et commence à mettre en œuvre les réformes de l'offre. La banque centrale continue de défendre la monnaie, qui reste stable. L'activité économique est en panne et le chômage grimpe mais, avec de la chance, une fois réglé le problème de la surcapacité, l'activité repartirait. La question centrale serait alors : le Parti communiste chinois pourra-t-il faire face à un chômage élevé et à une croissance atone sans compromettre la stabilité sociale ?

– Scénario 5 (probabilité faible)

Le dernier scénario, bien que peu probable, serait le meilleur possible. La croissance économique continue de ralentir au fil des années et les résultats des entreprises restent sous pression, mais aucune défaillance d’envergure n’est à déplorer. L'économie se rééquilibre au fil du temps.

Perspectives des autres marchés émergents

Le ralentissement chinois n'est pas un bon présage pour la plupart des autres pays émergents, tout particulièrement ceux qui dépendent des exportations de matières premières comme la Russie, l'Afrique du Sud et, dans une certaine mesure, le Brésil. Des pays comme Taïwan et la Corée du Sud, qui exportent leurs marchandises vers la Chine, souffriraient aussi d'un tassement de la demande chinoise. Cette tendance profiterait en revanche sans doute aux économies tournées vers le marché domestique et aux importateurs de matières premières : l'Inde en tête. Le Mexique, du fait de son exposition aux États-Unis, devrait également bien s'en sortir.

Un autre facteur important est celui que constitue la gouvernance. Celle-ci joue en effet beaucoup sur la confiance des investisseurs dans les marchés émergents et est donc un moteur de performance des marchés d'actions. La gouvernance s’est dégradée sur les marchés émergents ces dernières années, il suffit de penser à la crise en Ukraine, à la dégradation de la situation politique en Turquie et aux dysfonctionnements du système politique au Brésil. Même la Chine perd en transparence. C'est là une tendance majeure à surveiller de près.

Les marchés émergents nous semblent exposés à de nombreux risques potentiels dans les deux ans à venir :

  • une détérioration profonde de l'économie chinoise, qui reste le risque numéro un pour les actifs émergents ;
  • un événement de crédit majeur dans le monde émergent (en dehors de la Chine), qui ferait grimper les coûts de financement pour les entreprises émergentes ;
  • un durcissement du cycle de crédit au niveau mondial, qui compliquerait les conditions d'accès au crédit pour les entreprises émergentes ;
  • une dégradation de la scène politique intérieure (ce qui se passe actuellement au Brésil) ;
  • les facteurs géopolitiques (crise de l'Ukraine, aggravation des tensions en Mer de Chine du Sud, situation au Moyen-Orient, Corée du Nord).

Les actions émergentes s'échangent à des niveaux de valorisation peu élevés

Les actions émergentes entrent dans leur cinquième année de sous-performance, exprimée en USD, par rapport aux marchés développés. La mauvaise tenue des monnaies émergentes joue un rôle important dans cette sous-performance. De son côté, l'indice MSCI Emerging Market a cédé 30 % en valeur absolue depuis avril dernier. Ces constats soulèvent la question suivante : les actions émergentes sont-elles devenues bon marché ? S’échangeant à un PER de 11x, les actions émergentes ne sont pas chères mais pas non plus bradées.

Pourtant, la dynamique des résultats d'entreprises est moins positive que sur les marchés développés. Cependant, les devises émergentes ont vu leur valeur nettement baisser. Certaines commencent à se redresser grâce à la résorption des déséquilibres (notamment des déficits de la balance courante) dans des pays comme l'Indonésie. Il faut donc que les investisseurs tiennent compte du niveau attractif des devises émergentes dans l'analyse des valorisations des actions émergentes.

Le sentiment étant négatif, toute bonne surprise pourrait entraîner un rebond

Par ailleurs, les investisseurs nourrissent aujourd'hui un sentiment très négatif à l'égard des actions émergentes. Toute bonne surprise pourrait donc déclencher un rebond des marchés. Parmi les facteurs positifs et négatifs pour l’évolution future des marchés d'actions émergents figurent :

  • une poursuite de la dévaluation du renminbi (-)
  • un événement de crédit majeur (-)
  • une poursuite de l’amélioration du déficit de la balance courante dans des pays comme l'Afrique du Sud, l'Indonésie, le Brésil ou la Turquie (un + pour le pays concerné)
  • un fléchissement du dollar, qui réduirait la pression à la baisse sur le renminbi et doperait les actifs émergents (+)
  • une accélération de la croissance mondiale (malgré une sous-performance possible des marchés émergents) (+)
  • l'annonce par la Chine d'un plan global de restructuration de sa politique de l'offre (+)
  • une stabilisation de la croissance mondiale et chinoise (+)
  • un rebond du pétrole à 50 USD/baril sans crise au Moyen-Orient (+)
  • évolutions politiques, géopolitiques ou de la gouvernance dans certains pays (+ ou -)
  • une forte remontée des taux d'intérêt américains (-) / un redémarrage de l'assouplissement quantitatif aux États-Unis (peut-être un +)