Pourquoi l’économie mondiale continue-t-elle de décevoir ?

par La direction des études économiques de Société Générale

La faible croissance des pays développés a relancé le débat sur la « stagnation séculaire » : la croissance resterait bridée par des freins financiers et structurels (excès de dette, moindre progression de la productivité et déclin démographique).

L’économie mondiale devrait s’adapter à une nouvelle phase de la globalisation caractérisée par une moindre croissance des pays développés et des échanges internationaux.

La nouvelle politique économique américaine qui se profile sera-t-elle adaptée à cet environnement ?

La possibilité d’une stagnation séculaire

La possibilité d’une longue période de stagnation, dite séculaire, a été évoquée en 1938 par Alvin Hansen lorsqu’il réfléchissait aux séquelles de la crise économique et financière des années 30. L’expression a été reprise en novembre 2013 par Larry Summers. Plusieurs économistes s’en sont ensuite emparés pour décrire une période prolongée de faible ou de non- croissance économique. Deux raisons principales sont avancées pour expliquer cette situation : la demande globale serait déficiente en raison d’un excès d’épargne sur l’investissement et la capacité de l’offre à croître serait limitée par la faible croissance de l’innovation. Dans les deux cas, la croissance resterait durablement faible.

Aux Etats-Unis, l’environnement de croissance plus faible que prévu a nourri un débat sur l’évolution décevante de la productivité, le pays étant considéré comme positionné à la frontière de l’efficience et de l’innovation. On peut en effet constater une baisse de la croissance de la productivité du travail depuis la crise financière de 2008 dans l’ensemble des pays développés. Aux États-Unis, elle a nettement décéléré depuis 2012 et sa progression annuelle est devenue voisine de 0,5% comme dans les autres pays. Toute la question est de savoir si cette baisse est principalement liée aux séquelles de la crise financière, destinées à disparaître à terme, ou bien si le ralentissement est durable, en rupture avec les cycles de croissance antérieurs.

Il est souvent observé que la productivité baisse à la suite d’une crise financière. L’excès d’endettement devant être apuré, les agents économiques retardent leurs investissements et privilégient le rétablissement de leur situation financière. L’ajustement de l’emploi permet de rétablir le niveau de productivité mais il progresse ensuite moins vite. Une autre raison est que la période précédant la crise a été caractérisée par des bulles sectorielles qui ont déformé non seulement les prix mais également la structure de l’économie. Des secteurs d’activité excessivement stimulés par la bulle doivent ensuite se contracter ou même disparaître. Une longue période d’assainissement est nécessaire pour restaurer une rentabilité suffisante du capital productif. Avec le recul, le niveau élevé de la productivité qui était mesuré avant la crise apparait après celle-ci comme artificiellement gonflé par le cycle financier. L’apurement des capacités amplifie la baisse subséquente de la productivité.

Cependant, outre les séquelles du passé liées à la crise, il existe des obstacles à la reprise de la demande dans les économies développées. Avec le départ à la retraite des générations du baby boom, la population active a commencé à décélérer sensiblement depuis 2010 et elle se contracte dans plusieurs pays. La stagnation ou le déclin de la population qui se profile pèse sur les perspectives de la demande. Par ailleurs, comme illustré par la trajectoire du Japon, le vieillissement inciterait plutôt à épargner davantage, contrairement aux théories du cycle de vie, en raison de l’allongement de la durée et des aléas de fin de vie. L’accroissement des inégalités est un autre frein à la reprise de la demande car il a bénéficié à des individus qui épargnent davantage. Le surcroît d’épargne qui en résulte expliquerait les taux d’intérêt très bas mais serait impuissant à stimuler une véritable reprise de l’investissement, selon la thèse de la stagnation séculaire. Cette tendance serait renforcée par la baisse du prix des biens d’investissement et le développement d’activités nécessitant moins de capital tangible. Des erreurs de politique économique comme l’excès d’austérité budgétaire ou l’excès de régulation financière sont également parfois mis en avant comme éléments possibles d’explication.

Des innovations économes en travail mais également en capital

Au-delà des obstacles pesant sur la demande et aux remèdes qu’on pourrait lui apporter, l’interrogation sur le rythme de la productivité concerne essentiellement l’évolution de l’offre.

La vitesse de diffusion de l’innovation technologique dans l’ensemble de l’économie parait lente. Cela semble paradoxal compte tenu du développement rapide des nouvelles technologies de l’information et du numérique. Un des spécialistes reconnus de cette question aux États-Unis, R. Gordon, estime cependant que les fruits en termes de productivité seraient nettement moins importants qu’escomptés. Si l’économie digitale bouleverse nos vies et nos modes de consommation et augmente sans doute le bien être, elle changerait peu les modes productifs. Par ailleurs, le progrès technique serait, pour la première fois dans l’histoire, économe non seulement en travail mais également en capital, avec la possibilité de mieux employer le stock de capital existant. Il supprimerait des dépenses davantage qu’il ne stimulerait l’investissement.

En opposition à ces thèses, d’autres économistes restent optimistes sur les effets de la révolution digitale. Nous serions proches d’un point d’inflexion conduisant à une diffusion plus rapide des progrès dans le système productif. Ce ne serait pas encore visible dans les statistiques en raison de la difficulté à correctement mesurer la productivité qui fait appel au partage entre prix et volume de la production. A qualité constante, la baisse des prix liée aux nouveaux produits serait insuffisamment prise en compte, limitant la perception des gains de productivité. Ce problème de mesure est toutefois ancien, la vraie question étant de savoir si ce biais a augmenté au cours de la période récente. En outre, il concerne davantage les secteurs proches de la frontière technologique que l’ensemble de l’économie. L’ampleur de cette sous-estimation ne doit donc pas en être exagérée.

La nouvelle politique américaine sera-t-elle adaptée ?

Les données économiques américaines depuis trois ans, avec une hausse de l’emploi plus dynamique que celle du PIB sont plutôt cohérentes avec un ralentissement de la productivité. La baisse de l’investissement en proportion du PIB, assez nette depuis 2008, ne plaide pas non plus en faveur d’une amélioration du capital productif et d’une accélération des gains de productivité. Pour ces raisons, la croissance potentielle de l’économie américaine a été révisée à la baisse, elle serait en dessous de 2%. L’économie américaine suivrait donc en ce moment une trajectoire proche de son potentiel.

La victoire du parti républicain aux élections américaines du 8 novembre dernier laisse attendre une évolution prochaine de la politique économique aux États-Unis. L’administration Trump et le Congrès devraient s’accorder pour stimuler sensiblement la croissance, d’abord par des mesures de baisses d’impôts. Dans la phase actuelle du cycle, avec une économie proche du plein emploi, ce surcroit de croissance impliquera une hausse de l’inflation. Par ailleurs, même si il est difficile d’évaluer les impacts de mesures protectionnistes sur l’économie, celles-ci renforceraient les pressions haussières sur les prix et amputeraient le potentiel de croissance.

En conséquence, la Réserve Fédérale pourrait être incitée à normaliser plus rapidement sa politique monétaire. Les autres volets de la politique économique de la nouvelle administration concernent une dérégulation dans les secteurs de l’énergie et de la finance ainsi qu’une politique d’investissement en infrastructures. Ces autres volets seraient davantage susceptibles de remédier à la stagnation séculaire s’ils permettaient d’accroître le potentiel de croissance de l’ensemble de l’économie. De telles mesures n'ont toutefois pas été réellement précisées. Or, le diable est dans les détails, notamment car un excès de dérégulation serait de nature à accroître la violence des cycles économiques tout en réduisant la capacité des autorités budgétaire et monétaire à y faire face.