Russie : illusions perdues

par Magda Branet, stratégiste chez Axa IM

Au cours du second semestre 2008, la Russie a subi deux sévères chocs extérieurs. Le premier fut la chute du prix du pétrole de près de 80%. De façon concomitante, les capitaux internationaux sont devenus denrée rare, rendant difficile le refinancement de la dette extérieure des entreprises et des banques russes.

A mesure que la confiance en la devise s’évaporait, les résidents ont commencé à transférer leurs fonds à l’étranger, mettant une forte pression sur les réserves de change de la banque centrale (BCR).

La réponse des autorités a été de puiser dans les ressources précédemment accumulées. Alors que la balance des paiements semble s’être stabilisée, la contraction de l’activité économique a dépassé les prévisions les plus pessimistes, avec un PIB se contractant de 10% au 1S09.

Les investisseurs semblent croire à un scénario de reprise vigoureuse comme le montre le fort rebond du marché d’actions russe. Dans ce commentaire, nous évaluons les perspectives d’une reprise rapide et soutenable de l’économie russe dans les mois à venir.

Une réaction rapide face à la crise

Aux premiers jours de la crise, les autorités ont cru que les réserves suffiraient à protéger l’économie de l’environnement international hostile. Des mesures furent prises afin d’atténuer l’impact de la crise de liquidité domestique sur l’économie. La première série d’actions visait à stabiliser le système financier, principalement en injectant des liquidités en rouble (RUB).

Malheureusement, les banques se sont retrouvées confrontées à un énorme besoin de devises car leurs passifs étaient essentiellement libellés en dollars (y compris une grande partie des dépôts de la population), ce qui les obligeait à chercher des liquidités en dollars. Les pressions sur le RUB furent alors intenses, obligeant la banque centrale à brûler ses réserves très rapidement et, finalement, à dévaluer la devise à plusieurs reprises contre le panier EUR/USD. La perte de réserves (exprimées en dollars) a été aussi accentuée par l’appréciation du dollar contre l’euro dans l’intervalle. Au total, d’un sommet juste en dessous de 600 mds USD, les réserves ont chuté à 376 mds USD en mars. Entre les banques, les entreprises et les ménages, quelques 184 mds USD ont quitté le pays.

A mesure que la crise s’étendait, des garanties de dépôt et de crédits ont été offertes et une partie des réserves (50 mds USD) a été dédiée à assurer le refinancement des obligations extérieures des banques. La consolidation du secteur financier a été organisée avec le soutien de l’Etat. Des dépenses budgétaires considérables ont été promises. Les largesses sont allées jusqu’à offrir de l’aide à des voisins lourdement touchés, comme l’Islande et la Biélorussie. Néanmoins, à l’aube de 2009, la crise était encore perçue comme temporaire et contrôlable.

De la crise financière à celle de l’économie réelle

Il est devenu évident que la situation économique était plus grave que prévu. L’économie s’est contractée de 9,8%(A) au 1T09, puis de 10,1% supplémentaires au 2T.

Le taux de chômage s’est envolé (de 5,9% à 9,5%) et les salaires réels se sont effondrés (de 5,2%(A) en juin), ce qui a lourdement pesé sur la consommation (les ventes au détail, en progression de 30%(A) au 3T08, n’ont crû que de 3,5% à peine en termes nominaux en juin). Dès lors, la position budgétaire a rapidement basculé. Le budget approuvé en novembre 2008 projetait trois années d’excédents budgétaires. Les derniers chiffres publiés voient un déficit budgétaire jusqu’en 2012 (respectivement 8,9% et 7,5% du PIB pour 2009 et 2010).

Les mesures anti-crise avec un impact budgétaire, adoptées en avril de cette année, comprennent des réductions d’impôts, des dépenses sociales et des recapitalisations des banques pour un total de 5,1% du PIB sur 2009. A la différence d’autres économies émergentes, telle la Chine, infrastructures et autres projets d’investissement ne sont pas à l’ordre du jour. Ces dépenses subiront même des réductions. 

Au total, en s’appuyant sur les prévisions de croissance de l’OCDE, l’inflation et le déficit budgétaire consolidé, nous pensons que les 140mdsUSD du fonds de réserve auront fondu d’ici 2010 (déjà près de 50mdsUSD ont été dépensés).

Reprise au 2S09…

Au 1T09, alors que le scénario de déficits jumeaux (balance des paiements courants et budget) en 2009 se précisait, le prix de l’or noir revenait à une tendance haussière dès le mois de mars. Ceci, combiné à une nette baisse des importations (en chute de 39%(A) en juin), a aidé à maintenir les comptes courants légèrement excédentaires (17 mds USD au 1S09, contre 64 mds USD au 1S09). Parallèlement, l’aversion au risque a diminué et les conditions de financement sur les marchés internationaux se sont améliorées. Après avoir enregistré d’importantes fuites, le compte financier de la balance des paiements est redevenu positif au 2S09.

Au total, les réserves ont progressé de 21 mds USD au 1S09, pour atteindre 400 mds USD aujourd’hui. Les pressions sur le taux de change du rouble se sont inversées et la monnaie s’est appréciée de 7% par rapport à la fourchette basse du panier.

En outre, les indicateurs sur la production semblent s’être stabilisés. Depuis avril, le rythme de contraction du secteur manufacturier a commencé à ralentir (de -25%(A) à -16%(A) en juin. Après deux années de baisse, la production pétrolière s’est remise à monter modestement (de 1,8%(A) en avril). L’inflation, d’un autre côté, s’est montrée persistante.

L’indice des prix à la consommation a progressé de 11,8%(A) en juin. Cependant, l’accumulation de réserves par la BCR a nettement ralenti, entraînant un ralentissement de la progression des agrégats monétaires. Certains facteurs temporaires (hausse des prix administratifs) devraient diminuer à leur tour, ce qui devrait entraîner un reflux significatif de l’inflation au cours des prochains mois.

Cela devrait procurer un regain de pouvoir d’achat au consommateur, lourdement affecté par la crise (en juillet, les ventes au détail se sont encore contractées de 8,2%(A) en termes réels). L’impact du programme de stimulation budgétaire reste encore à voir, les mesures ayant tardé à être mises en place. En outre, après avoir relevé les taux pour protéger le RUB, la BCR a commencé à les rabaisser en avril (cinq baisses jusqu’ici, amenant le taux officiel à 6%).

En résumé, tout laisse à penser que la seconde partie de l’année sera beaucoup plus rose que la première.

… mais des défis de long terme demeurent 

Néanmoins, la crise a révélé les faiblesses structurelles majeures de l’économie russe. Ainsi, la Russie semble souffrir d’un cas classique de « maladie hollandaise ». En effet, bien que l’excédent des comptes courants ait été en partie stérilisé par les deux fonds de réserve, le rapide afflux de capitaux a généré une considérable appréciation du taux de change réel, ce qui a étouffé les secteurs non-pétroliers de l’économie. Les déficits de la balance commerciale et budgétaire hors pétrole n’ont cessé de croître au cours des années de boom. Conserver des taux d’intérêt réels négatifs (conséquence de la politique de stabilité du rouble) a nourri des bulles et encouragé le secteur financier à croître de façon insoutenable.

Des incertitudes considérables demeurent quant au devenir du secteur bancaire russe. La profonde récession intérieure devrait accroître les créances douteuses. Durant la crise de 1998, ces dernières ont atteint un pic à 15% du total des actifs, alors que les provisions passées à ce jour ne couvrent que 3,9%. L’injection de capital supplémentaire pourrait donc s’avérer nécessaire. Les plus grosses banques publiques semblent détenir assez de liquidités et ont un accès facile aux finances publiques. Néanmoins, la menace de faillite pesant sur les petites institutions financières (la Russie compte plus de 1000 banques) reste conséquente. De telles faillites pourraient aisément entraîner un cercle vicieux de perte de confiance, de paniques bancaires et d’assèchement des liquidités, comme en 2003 et 2008.

Le pays sortira de la crise avec ses réserves pratiquement épuisées par le sauvetage des banques et la couverture des coûts sociaux de la récession (2010 verra aussi l’Etat russe revenir sur les marchés avec une émission de dettes estimée autour de 58 mds USD sur trois ans). Dans l’intervalle, rien n’a été accompli pour diversifier l’économie ou s’atteler aux problèmes profonds qui pèsent sur le potentiel de croissance de la nation : modestes accumulations de capital, croissance démographique défavorable, inefficacité des institutions corruption, faible capacité d’innovation dans les secteurs non rentiers.

Conclusions

La Russie traverse sa plus profonde récession depuis dix ans. Grâce à un environnement mondial plus favorable et aux programmes de stimulation mis sur place par les autorités une reprise modeste se profile pour le 2S09. Cependant, 2010 devrait se révéler tout aussi difficile que 2009. Une nouvelle vague de créances douteuses devraient encore frapper les banques, et exiger de l’Etat des injections supplémentaires de liquidité. La stabilité budgétaire deviendra problématique (à moins d’une forte hausse du prix du pétrole) dès l’année prochaine, une fois que les fonds de réserve seront en grande partie épuisés.

Même si l’amélioration des perspectives de court terme a provoqué une nette appréciation des actifs russes, rien ne prouve que l’économie arrive à justifier sur le long terme les attentes actuelles. En effet, de nombreuses contraintes structurelles demeurent. Pour la première fois depuis plusieurs années, l’Etat pourrait se retrouver en position nette de débiteur par rapport au reste du monde, ce qui représentera un revirement majeur. En conséquence, des pressions devraient continuer à peser sur la valorisation du risque souverain.