Russie : un budget sous contrainte

par Johanna Melka, Economiste chez BNP Paribas

L’économie russe va un peu mieux. Au T2 la croissance ne s’est contractée que de 0,6% et l’activité dans l’industrie manufacturière a accéléré.

Néanmoins la reprise est fragile. La consommation des ménages reste déprimée par la baisse des salaires réels et le gouvernement n’a pas les marges de manœuvre budgétaires nécessaires au soutien de son économie.

La consolidation de ses finances est devenue sa priorité. Pour cela, il est prêt à geler ses dépenses pour les trois prochaines années.

Une reprise difficile

L’économie russe sort progressivement mais difficilement de la récession. Au deuxième trimestre, la croissance ne s’est contractée que de 0,6% alors qu’elle baissait de 4,5% un an plus tôt. L’économie reste soutenue par le dynamisme du secteur agricole qui a enregistré une croissance de 2% en g.a. au T2 2016. A l’inverse, dans le secteur de la construction, considéré comme étant le plus fragile, l’activité a continué de se contracter de 9,5% en g.a. Les signes de rebond de l’économie sont surtout visibles, depuis le mois de juin, dans l’industrie manufacturière. Au T2 2016, l’activité s’est redressée de +0,3% en g.a. après cinq trimestres de baisse consécutive. Cette reprise reste néanmoins fragile comme l’illustre la baisse de la production industrielle en juillet, suivie d’un nouveau rebond en août.

Par ailleurs, les entreprises russes ont commencé à reconstituer leurs stocks et leurs perspectives sont mieux orientées, comme en témoignent les nets rebonds dans les indices de confiance. A l’inverse, la consommation des ménages reste déprimée. Au T2 2016, elle s’est contractée pour le sixième trimestre consécutif (- 5,2% en g.a.) et l’évolution des ventes au détail ne laissent pas entrevoir d’amélioration significative pour le troisième trimestre. En outre, les salaires réels se sont à nouveau contractés en juillet et en août après un redressement au printemps. La banque centrale estime les arriérés de salaires à RUB 3 531 mds, soit l’équivalent de 1% de la masse salariale.

Afin de soutenir la difficile reprise, la banque centrale a abaissé en septembre dernier, et pour la deuxième fois cette année, son principal taux directeur qui s’établit désormais à 10%. Néanmoins, en dépit de la forte baisse des pressions inflationnistes (+6,5% en g.a. en septembre contre +15,7% un an plus tôt), elle a déjà annoncé qu’elle ne procèderait pas à un nouvel assouplissement d’ici la fin de l’année.

La banque centrale et le ministère des finances ont révisé à la baisse leurs prévisions de croissance en supposant que le prix du pétrole atteindrait en moyenne USD 40 le baril pour les trois prochaines années. La croissance se situerait entre 0,5% et 1% en 2017 pour s’élever entre 1,5 et 2,2% d’ici 2019.

Néanmoins, en dépit de perspectives de croissance très modestes, le gouvernement n’envisage pas de soutenir son économie par une augmentation des dépenses publiques. Sa priorité est de parvenir à consolider les finances publiques.

Le creusement du déficit

Sur les huit premiers mois de l’exercice 2016, le déficit budgétaire du gouvernement a atteint RUB 1 518 mds, l’équivalent de 3% du PIB, soit 67% de plus que lors de l’exercice budgétaire précédent. Ce creusement s’explique par la baisse des recettes publiques (-9%), notamment des revenus du pétrole (-25%), et malgré les rentrées exceptionnelles de la vente des actions d’Alrosa (estimées à USD 800 millions). Dans le même temps, la baisse des dépenses du gouvernement a été extrêmement modeste (-2%). Les hausses des dépenses de retraites (+13%) et du service de la dette (+21%) ont compensé la forte baisse des dépenses militaires (-27%). Afin de contenir le déficit budgétaire, le gouvernement a vendu ses actions dans la compagnie pétrolière Bashneft (pour EUR 4,7 mds) et envisage de privatiser Rosneft d’ici la fin de l’année ou au plus tard en début d’année prochaine si l’évolution du marché n’était pas favorable. Dans un tel contexte, le gouvernement a révisé à la hausse son déficit à 3,7% du PIB (contre 3% initialement).

Sur les huit premiers mois de l’exercice en cours, le déficit a principalement été financé par le fonds de réserve, lequel n’atteignait plus que USD 32 mds fin août, soit 38 milliards de moins qu’il y a un an. Afin de retarder l’épuisement de son fonds, le gouvernement a émis à deux reprises de la dette en mai et septembre dernier (pour un total de USD 3 mds). Par ailleurs, comme ses obligations se traitent facilement sur le marché secondaire, le gouvernement pourrait avoir davantage recours à cet instrument pour financer son déficit.

Le budget 2017 a été présenté le 13 octobre et sera soumis à la Douma le 28 octobre, en même temps que la révision du budget 2016. Les détails ne sont pas encore connus mais les grandes lignes ont déjà été annoncées. Le gouvernement a décidé de mettre en place un programme de consolidation budgétaire pour les trois prochaines années1 (2017-2019). Renouer avec une telle pratique (abandonnée lors des deux derniers exercices budgétaires) permettra davantage de transparence car le financement du déficit reste le principal problème.

L’objectif du ministre des finances est de réduire le déficit de 3,2% du PIB en 2017 à 1,2% du PIB en 2019, soit une baisse d’un point chaque année. Les deux tiers de cette consolidation résulteraient d’un gel des dépenses (en termes nominaux) à RUB 15,8 tr sur la période 2017-2019. Rapportées au PIB, elles ne s’élèveraient qu’à 15,7% en 2019 alors qu’elles atteindraient, selon nos estimations, près de 19% du PIB cette année. Le détail n’étant pas encore connu, il est difficile de se prononcer sur la faisabilité d’un tel programme. Le gouvernement n’a pas encore annoncé s’il gèlerait pour la troisième année consécutive les salaires du secteur public. En revanche, il devrait concéder une hausse des retraites de l’ordre de 5 à 6%. Mais pour compenser cette augmentation il lui faudra probablement réduire une fois encore les dépenses d’éducation et de santé, ce qui contribuera à réduire la croissance potentielle.

Dans le même temps, sur la période 2017-2019, le gouvernement ne prévoit qu’une hausse modeste des recettes induite par le retour à la croissance ainsi qu’une augmentation des dividendes et des recettes de privatisation. Néanmoins, son hypothèse de USD 40 le baril étant particulièrement conservatrice, il est possible que ses recettes soient supérieures à ses anticipations.

A plus long terme, à partir de 2020, le ministre des finances prévoit d’introduire une nouvelle règle budgétaire visant à maintenir à l’équilibre le solde primaire.

Consolidation de la balance des paiements

Au premier semestre 2016, l’excédent courant a diminué de plus de 70% par rapport à l’année dernière et n’a atteint que 2,3% du PIB alors qu’il s’élevait à plus de 9% un an plus tôt. Cette forte baisse est induite par la contraction des exportations suite à l’effondrement du cours des matières premières au premier trimestre 2016. Même si, depuis, les prix du pétrole et du gaz ont enregistré un rebond, ils restent faibles, et l’excédent courant russe ne devrait guère excéder 3-3,5% du PIB au cours des deux prochaines années selon le FMI.

Néanmoins, en dépit de la baisse de l’excédent courant, la balance des paiements russe s’est consolidée. En effet, sur les huit premiers mois de l’année, les sorties de capitaux privés ont diminué significativement et n’ont atteint que USD 9,9 mds, soit cinq fois moins qu’il y a un an. Par ailleurs, les investissements directs étrangers ont accéléré au deuxième trimestre. Ainsi, le déficit du compte financier n’était que de USD 6 mds au premier semestre 2016 alors qu’il s’élevait à plus de USD 55 mds l’année dernière. Les réserves de change (hors DTS et or), en hausse de 4% en g.a., atteignaient USD 322 mds fin septembre.

La consolidation de la balance des paiements devrait se poursuivre en 2017 dans la mesure où les remboursements de dette extérieure vont encore diminuer. En effet, sur l’ensemble de l’année 2017 la banque centrale estime les remboursements à USD 70 mds alors qu’ils devraient atteindre plus de USD 91 mds cette année.

Large victoire aux élections parlementaires

Lors des élections parlementaires en septembre dernier, le parti au pouvoir, Russie Unie, a obtenu 343 sièges sur 450, soit l’équivalent de 54,2% des voix. A titre de comparaison, en 2011, Russie Unie ne remportait « que » 49,3% des scrutins. Une telle victoire confère au président Poutine toute liberté pour conduire sa politique économique et internationale comme il l’entend. Néanmoins, il est probable qu’il attende les élections présidentielles de 2018 avant de mettre en place certaines réformes particulièrement impopulaires comme celle des retraites.

NOTES

  1. Le budget a été construit en supposant un prix du pétrole de USD 40 le baril et un cours de change RUB/USD de 69,1 en moyenne sur les trois prochaines années. Le gouvernement anticipe le maintien des sanctions jusqu’en 2019.

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