Tropismes trumpiens

par Raphaël Gallardo, Stratégiste multi-assets Investissement et Solutions Clients chez Natixis AM

L’élection de Donald Trump a provoqué sur les marchés américains hausse des actions, des taux longs et du dollar, et resserrement des swap spreads. Les marchés ont acheté un tournant résolument keynésien dans la politique budgétaire américaine et un impact positif de ce revirement sur la croissance réelle de l’économie. Cet optimisme est-il justifié ?

Tout d’abord gardons à l’esprit qu’il existe une très grande incertitude sur ce à quoi ressemblera la politique économique de la nouvelle administration. Le point le plus étonnant est que l’euphorie de Wall Street élude totalement la possibilité de mise en application de certaines promesses de campagne qui auraient un impact radicalement néfaste sur le cycle américain, nommément un virage protectionniste majeur (barrières douanières) et des déportations massives de résidents en situation irrégulière.

Ces politiques auraient un impact clairement stagflationniste sur l’économie américaine. En second lieu, on peut s’interroger sur l’ampleur du stimulus et son timing. Le volet dépenses d’infrastructures et de défense risque fort d’avoir un impact cyclique quasi- nul dans une économie proche du plein-emploi. En outre, la montée en puissance de ces dépenses pourrait n’avoir lieu qu’en 2018, notamment parce que le volet infrastructures comporte une grande part d’investissement privé qui mettra du temps à être planifié.

Mais, pour les marchés, le point le plus important dans le programme de Trump est le chapitre sur les largesses fiscales promises aux entreprises. La perspective d’une baisse drastique du taux d’impôt sur les sociétés a bien sûr un effet haussier mécanique sur les profits futurs des sociétés, donc sur leur cours de bourse.

En outre, le vote probable d’une amnistie fiscale sur le rapatriement des profits étrangers engendrerait des flux entrants dans la balance des capitaux, qui boosteraient le dollar contre devises étrangères. Mais il nous semble que la Maison Blanche devra s’accorder avec le Congrès sur une révision plus large et beaucoup plus austère de la politique fiscale américaine. L’élection de Trump n’a pas converti la majorité républicaine au keynésianisme budgétaire du jour au lendemain. Les précédents grands plans budgétaires républicains ont toujours eu lieu dans des contextes de récession. On voit mal le GOP se lancer dans une relance massive alors que l’économie est au quasi plein-emploi, qui plus est alors que la dette publique atteint déjà des records.

Trump devra vraisemblablement édulcorer fortement son projet et le fondre dans une réforme plus large où les baisses de taux d’imposition sont compensées par l’effacement de déductions et niches fiscales diverses. Au total, les marchés achètent avec conviction une conversion au keynésianisme budgétaire du parti républicain au pouvoir, tout en minimisant la rhétorique protectionniste omniprésente dans la campagne. Trump devra choisir entre satisfaire les marchés ou ses électeurs.