Turquie : touchée mais résistante

par Sylvain Laclias, économiste au Crédit Agricole

La Turquie s’est relevée de sa crise de 2001, et c’est plus forte qu’elle traverse aujourd’hui le marasme global. Elle est affectée, mais résiste plutôt bien, et en tout cas mieux que bon nombre de ses voisins d’Europe centrale et orientale. Alors que les signes d’amélioration se multiplient, une certaine retenue s’impose toutefois. Le déficit budgétaire se creuse rapidement, les réformes requises pour consolider plus avant les finances publiques piétinent et le gouvernement n’a jusqu’à présent pas vraiment manifesté le désir d’y remédier.

Cette attitude compromet les chances de parvenir à un nouvel accord avec le FMI (opportun, dans les circonstances actuelles, pour étayer la confiance des investisseurs plus que pour les fonds alloués — la Turquie n’est pas en manque criant de liquidité en devises). Elle risque aussi de refroidir les marchés, et finalement de compliquer et de retarder la sortie de cette période difficile, avec à la clé : de nouvelles tensions sur la livre turque, l’éviction de l’investissement privé, l’augmentation des difficultés de paiement et la fragilisation du secteur bancaire. A moyen terme, la Turquie dispose de réels atouts. Jouer efficacement ces cartes exigera néanmoins des réformes, parfois coûteuses d’un point de vue politique, et n’est donc pas acquis. Le rattrapage avec les pays développés pourra en être ralenti.

Des fondamentaux plus sains

En 2001, la Turquie était confrontée à l’une des plus graves crises financières de son histoire moderne. La livre perdait en quelques mois plus de la moitié de sa valeur. Les taux d’intérêt grimpaient à des niveaux records. Le secteur bancaire sombrait dans une profonde crise systémique. L’État, contraint de soutenir les banques, voyait sa dette exploser et sa solvabilité sérieusement compromise. Et le PIB se contractait de 5,7%.

Huit années se sont écoulées depuis. Huit années de consolidation économique et financière sans précédent. Comme la plupart des pays émergents, la Turquie a bénéficié d’un environnement international plutôt favorable où la vigueur de la demande mondiale conjuguée à un fort appétit pour le risque s’est traduite par la croissance rapide des exportations et des entrées de capitaux massives. Il serait toutefois erroné de réduire les succès de l’économie turque durant cette période à cette seule explication. Au pouvoir depuis 2002, l’AKP a su, avec l’appui du FMI, entreprendre de nombreuses réformes structurelles (en particulier du système bancaire) tout en s’astreignant à une réelle orthodoxie budgétaire et monétaire. Le recul de la dette publique de 78,9% à 43,3% du PIB entre décembre 2001 et décembre 2008 témoigne de ce dernier point.

Des fragilités ont néanmoins subsisté au cours de cette période. Plus particulièrement, le déficit courant s’est creusé à des niveaux inquiétants (à 5,5% du PIB en moyenne depuis 2005). Outre la vigueur de la demande domestique, la flambée du prix du brut y a largement contribué : le pays importe la quasi-totalité du pétrole et du gaz qu’il consomme. Le secteur privé s’est de plus assez lourdement endetté vis-à-vis de l’étranger. Sa dette externe est passée de 17% du PIB en 2004 à 26% du PIB en 2008. Autrement dit, la Turquie est restée très dépendante des financements externes, et donc vulnérable à une remontée soudaine de l’aversion au risque des investisseurs étrangers.

Touchée mais pas coulée

De fait, l’économie turque n’est pas épargnée par la crise mondiale. La liquidité en devises s’est amenuisée et renchérie ces derniers mois. Le taux de refinancement de la dette externe à moyen et long terme du secteur privé s’est élevé à 70% en moyenne au premier trimestre 2009, un plus bas depuis six ans (il était nettement supérieur à 100% depuis la mi-2003). La livre turque s’est dépréciée de 25% contre la dollar depuis ses plus hauts de l’été dernier, et de 20% contre l’euro. Les agents économiques les plus endettés en devises, principalement les corporates, sont doublement affectés : ils éprouvent plus de difficultés pour refinancer une dette alourdie. Les PME, quant à elles, sont pénalisées par la frilosité des banques à leur prêter. L’encours de crédits au secteur privé (qui représente environ un tiers du PIB) stagne depuis le début de l’année, après avoir augmenté de 40% par an en moyenne entre 2004 et 2007, et d’encore 25% l’an passé. Le canal de transmission de la crise mondiale est aussi commercial.

Un peu plus de la moitié des exportations turques trouve débouché dans l’UE et en Russie. La contraction de la demande dans ces pays pèse inévitablement sur l’activité des entreprises exportatrices, principalement dans l’industrie manufacturière (automobile, textile, machines-outils). Dans ce contexte, la production industrielle a chuté d’environ 20% (a/a) au cours des cinq premiers mois de l’année, lorsque la consommation des ménages a dû souffrir d’un taux de chômage (officiel) montée à un plus haut historique en mars, à 16,1%. Et alors qu’il s’est contracté de 13,8% (a/a) au premier trimestre, le PIB pourrait reculer de 5%, voire plus, sur l’ensemble de l’année 2009.

La Turquie résiste néanmoins mieux que ses déséquilibres externes ne le laissaient craindre, et surtout que bon nombre de ses voisins d’Europe centrale et orientale.

La réforme bancaire, engagée au début de la décennie, paie. Les banques turques n’ont pas commis les mêmes erreurs que leurs consœurs régionales : surendettement à l’extérieur pour prêter sur le marché intérieur à un rythme souvent insoutenable et en monnaie locale ou en devises mais alors à des agents économiques n’ayant pas toujours des revenus en devises. Elles ne sont donc pas hypersensibles au durcissement des conditions de financement sur les marchés internationaux de capitaux, ni surexposées au risque de change (qu’elles endurent tout de même indirectement via certains de leurs clients). Le principal risque auquel les banques turques sont confrontées est en fait le risque de crédit. Le niveau des créances douteuses est passé d’environ 3% des crédits totaux en milieu d’année dernière (un plus bas depuis plusieurs années) à 4,4% en avril, et a sans doute continué d’augmenter depuis. Elles devraient toutefois être en mesure d’y faire face sans difficultés majeures, et même d’accompagner l’économie lors de son rebond. Leurs ratios de fonds propres sont élevés, et elles sont globalement en situation de surliquidité. Autre explication fondamentale à cette relative bonne tenue de l’économie turque : la politique menée par les gouvernants depuis 2002, à défaut d’être toujours optimale, a jusqu’à présent su convaincre les investisseurs et les marchés. En tout cas avec suffisamment d’arguments pour éviter que la confiance ne s’envole totalement aux premiers frissons de l’économie mondiale au second semestre 2008.

Du mieux, mais…

Le plus fort de la crise globale semble derrière. Les signes de stabilisation se multiplient. Faut-il en conclure que l’économie turque a évité le pire et qu’elle doit dès à présent s’entrevoir sous le signe de l’embellie ? Un faisceau d’éléments le laisse en tout cas penser. Les marchés se redressent depuis début mars. La bourse d’Istanbul a regagné 60%, et presque 40% depuis le début de l’année. La prime de risque sur les emprunts d’État a baissé de 280 pdb, à 350 pdb. Elle était montée à presque 900 pdb en octobre dernier, au paroxysme des inquiétudes sur les émergents. Et la livre turque s’est raffermie. Certains indicateurs d’activité suggèrent également qu’un point bas pourrait avoir été atteint au premier trimestre. La production industrielle a reculé moins fortement en mai, pour le troisième mois consécutif.

Le taux d’utilisation des capacités de production est en augmentation continue, et rapide, depuis février (il s’est élevé à 72,7% en juin, comparé à 63,8% quatre mois auparavant). Et la confiance des ménages et des entreprises (dans l’industrie manufacturière) est à des plus hauts depuis neuf à douze mois. Une confiance prudente s’impose cependant. Le rebond des marchés est très rapide au regard des perspectives de croissance, et par là même de bénéfices des entreprises, et anticipe la signature d’un accord toujours hypothétique avec le FMI.

Il semble donc encore fragile. De même, l’éclaircie du côté de l’activité économique s’explique en partie par la reconstitution des stocks et des mesures fiscales temporaires et ciblées (afin de soutenir la demande pour certains produits ou dans certains secteurs : automobile, électroménager,…). Faute d’être totalement autonome, elle paraît donc, elle aussi, encore précaire.

Enfin, le besoin de financement externe reste très lourd à court terme. Il est estimé entre 100 et 110 mds USD sur l’ensemble de 2009. Les réserves de change s’élevaient à 64,3 mds USD en avril. En d’autres termes, l’économie turque, et plus particulièrement les corporates, reste vulnérable au sentiment des investisseurs et des marchés, et à tout événement, externe comme interne, qui altérerait celui-ci. Compte tenu du profil d’amortissement de la dette à moyen et long terme du secteur privé, cette vulnérabilité sera accrue en septembre et en octobre, toutes choses étant égales par ailleurs.

Pêché d’optimisme

Cela dit, les gouvernants veulent aujourd’hui croire en une reprise prochaine et soutenue. C’est ce diagnostic, cependant, qui hypothèque le plus la perspective d’un rebond à court terme, et à plusieurs égards. Il n’incite pas vraiment le gouvernement à remettre en question la politique budgétaire en vigueur depuis plusieurs mois, et qui se traduit pourtant par la dégradation assez marquée des comptes de l’État.

Le déficit budgétaire a été multiplié par dix de janvier à mai (par rapport à cette même période en 2008) et pourrait se creuser à plus de 5% du PIB sur l’ensemble de l’année. La dette publique devrait suivre et augmenter de cinq à six points de PIB en 2009, voire plus. Au contraire, une telle lecture de la situation économique et de son évolution prochaine conduit plutôt les dirigeants turcs à poursuivre dans la voie qu’ils ont prise : la reprise est proche et permettra demain de ramener le budget à l’équilibre. La réalité pourrait néanmoins être différente. Dans un contexte où la liquidité est moins abondante et plus chère, et où les banques sont hésitantes à prêter aux corporates et surtout aux PME, le besoin de financement accrû de l’État risque de créer un phénomène d’éviction (de l’investissement privé) et de retarder le rebond du secteur privé. Le taux de refinancement de la dette publique s’est élevé à 106,7% (en moyenne) de janvier à avril et devrait rester supérieur à 100% au moins le restant de l’année. Ce seuil n’avait pas été dépassé depuis plusieurs années.

L’optimisme du gouvernement complique également les négociations avec le FMI, entamées fin 2008. Dans ces circonstances, en effet, le bien-fondé d’un nouvel accord avec le Fonds ne fait pas l’unanimité au sein du parti au pouvoir.

« La Turquie peut s’en passer » semble même être le sentiment dominant, et tout au moins celui du Premier ministre, Recep Tayyip Erdogan. Les réticences à réviser une politique budgétaire un peu trop expansionniste, puisque c’est une des pierres d’achoppement avec l’institution de Washington, sont en tout cas d’autant plus grandes que les États-Unis s’adonnent au keynésianisme. Autres points de discorde, l’unification des services de contrôle des impôts, l’élargissement de la base fiscale et la clarification de la politique de transfert aux municipalités ont un coût politique que la majorité gouvernementale n’est pas disposée à supporter, et risque de l’être de moins en moins à mesure que s’approchent les prochaines législatives, prévues pour juillet 2011. Ali Babacan, le ministre de l’Economie, s’attelle toutefois à convaincre les sceptiques. Dans la droite ligne de sa nouvelle politique de crédits, le FMI fait, de son côté, preuve d’une réelle souplesse. La tenue de la réunion annuelle du FMI et de la Banque mondiale à Istanbul en septembre prochain y prédispose sans doute aussi.

Un accord reste en conséquence l’hypothèse la plus vraisemblable. Mais sa probabilité de réalisation s’amenuise à mesure que le temps passe.

C’est en tout cas l’issue la plus souhaitable. Car, autre conséquence fâcheuse de l’attitude complaisante des dirigeants turcs, les marchés s’interrogent et pourraient commencer à douter. Un accord avec le FMI rassurerait, et c’est en cela qu’il serait bienvenu, pour le gage de confiance qu’il apporterait aux investisseurs plus que pour les 30 à 40 mds USD de crédits qui l’accompagneraient. La question de la confiance est primordiale pour un pays comme la Turquie. Elle permet de cadrer le champ des possibles, et donc les anticipations, et ainsi d’asseoir plus fermement la stabilité macro-économique et financière. Au contraire, un regain de tensions serait à craindre, en particulier sur la livre turque ; d’autant que les marchés ont déjà pricé un arrangement avec le Fonds. Dans cette éventualité (pas d’accord), un programme économique de moyen terme crédible et articulé autour de la consolidation des finances publiques permettrait sans doute de contrebalancer ce risque d’ajustement brutal des marchés. Les propositions en la matière déjà avancées par le gouvernement sont cependant en deçà des attentes.

Manque de visibilité politique à court terme

La trajectoire à court terme de l’économie turque est donc loin d’être assurée. Les signes de redressement sont encore trop fragiles pour garantir un rebond prochain et rapide de l’activité économique. Surtout, le desserrement de la contrainte budgétaire, même s’il est partiellement justifié par la situation exceptionnelle, hypothèque l’éventualité d’un accord avec le FMI, met à l’épreuve la confiance des investisseurs étrangers, et risque finalement de générer de l’instabilité (macroéconomique et financière) et de retarder la reprise.

Trois scénarios sont envisageables.

1/ Le plus probable : le gouvernement parvient à un accord avec le FMI d’ici la réunion annuelle du Fonds en septembre ou à l’issue de celle-ci. L’horizon s’éclaircit. L’économie turque se redresse progressivement, dans le sillage de l’économie mondiale, et, parce que pas trop leveragée et soutenue par ses banques, sans doute un peu plus rapidement que les économies développées. 

2/ Le plus « rose » : le gouvernement décide de composer sans le FMI, mais ajuste sa politique budgétaire et élabore un programme économique de moyen terme convaincant. Des perspectives comparables se dessinent, avec peut-être cette nuance d’un peu plus de volatilité sur les marchés, du moins dans un premier temps. 

3/ Le plus sombre : les négociations avec le FMI n’aboutissent pas et le gouvernement poursuit dans la voie actuelle. Les marchés replongent, la livre turque en premier, et assez significativement. L’économie réelle suit. La récession en 2009 est plus sévère qu’actuellement prévu, et la croissance est nulle, voire négative, l’an prochain. Au niveau microéconomique, les agents économiques privés éprouvent de plus en plus de difficultés pour se refinancer, le risque de défaut est à la hausse, et le portefeuille de crédits des banques se détériore assez rapidement, et avec lui la santé du système bancaire. Le souverain, quant à lui, ne connaît pas les mêmes difficultés, mais capte l’essentiel de la liquidité bancaire, et de fait accentue la crise.

A moyen terme, des atouts et des défis 

La Turquie dispose d’atouts indéniables. Hors Russie, son marché est voué à devenir le plus gros d’Europe. La croissance démographique plus soutenue qu’en Allemagne lui assurera cette place d’ici cinq à six ans. Un quart de la population a en outre moins de quinze ans. C’est une source potentielle indéniable de vigueur économique ; d’autant qu’il existe en Turquie un r é e l « esprit » d’entreprise, et c’est un autre point fort. Le tissu de PME est d’ores et déjà bien développé, et l’industrie manufacturière plutôt bien diversifiée. La qualité de la gouvernance est par ailleurs assez satisfaisante. L’efficacité des pouvoirs publics est comparable à celle du Mexique ou de la Chine, lorsque l’état de droit est mieux respecté, et la corruption contrôlée, que dans ces deux pays. La consolidation des institutions au cours du passé récent est aussi encourageante. Elle témoigne de la volonté des dirigeants turcs d’améliorer la gouvernance et, en l’absence d’une rupture politique ou d’une suspension prolongée (ou définitive) des négociations d’adhésion à l’UE, présuppose d’autres progrès à l’avenir. Enfin, la Turquie a une carte géographique à jouer, en tant que route de transit du pétrole et du gaz de la mer Caspienne vers l’Europe de l’ouest et porte sur le Moyen-Orient et l’Asie centrale.

Tirer le meilleur profit de ces avantages, et conduire l’économie turque sur un chemin de croissance durablement soutenue et équilibrée, ne va cependant pas être chose simple. Pour ce faire, les dirigeants turcs vont devoir poursuivre assidûment l’assainissement des finances publiques. Ils vont devoir aussi créer les conditions nécessaires à l’expansion d’un secteur exportateur compétitif et de plus en plus porté sur des produits à forte valeur ajoutée, tout en veillant à réduire la dépendance du pays aux financements externes ou tout au moins à préserver la « soutenabilité » du déficit de la balance courante (structurel en raison de la lourde facture énergétique). Et ils vont devoir encore ramener progressivement le secteur informel, qui pèse entre un quart et la moitié du PIB (selon les sources) et où résident des gains potentiels de productivité substantiels, dans le formel (cette dualité économique est aujourd’hui l’un des principaux obstacles au développement de la Turquie).

Ce sont les défis de demain. Les relever nécessitera d’adopter et surtout d’appliquer de multiples et profondes réformes : de la fiscalité (élargir l’assiette fiscale, améliorer le recouvrement de l’impôt), de l’administration (simplifier les procédures administratives, réduire les effectifs), du marché du travail (baisser le « coût » légal du travail non qualifié, alléger la réglementation et élargir les formes possibles de contrat de travail), des marchés de capitaux (appliquer Bâle II dans le secteur bancaire, revoir le code du commerce en faveur d’une plus grande transparence comptable des entreprises), de l’éducation (améliorer l’adéquation entre les formations proposées dans le secondaire et le tertiaire et les besoins des entreprises, renforcer la formation professionnelle), du système de pension, du secteur agricole, de la réglementation foncière…

Des réformes difficiles à entreprendre

La plupart de ces mesures auront un coût politique et social. De nombreuses entreprises du secteur informel ne sont, par exemple, pas assez solides pour supporter les charges fiscales et les contraintes réglementaires du secteur formel, et sont donc vouées à disparaître. Les plus résistantes devront sans doute couper dans leurs effectifs pour réaliser les gains de productivité nécessaires et se mettre à niveau. Les travailleurs non qualifiés seront très probablement les premiers mis sur la touche, avec en prime seulement de maigres espoirs d’en sortir. En d’autres termes, la modernisation et le développement de l’économie turque, aussi souhaitables soient-ils, risquent aussi de rimer avec plus de laissés-pour-compte (lorsque l’économie souterraine joue aujourd’hui le rôle « d’amortisseur social ») et plus d’inégalités.

Cette perspective risque d’être difficile à assumer pour M. Erdogan et son parti, l’AKP, qui puisent là, dans l’économie informelle et la masse des travailleurs non qualifiés, une large partie de leur électorat.

Les réformes pourront donc progresser lentement et par à coup à l’avenir, voire être ponctuellement suspendues. Cette éventualité pourra se concrétiser encore plus aisément si le projet d’adhésion à l’Union européenne vient à capoter (à moins qu’il ne déraille dans la dernière ligne droite et que l’essentiel des réformes exigées par le processus de négociation ait été déjà adopté). S’il ne faut pas l’exagérer, ce risque existe. La question chypriote est un sujet sensible susceptible d’occasionner de fortes tensions entre Ankara et Bruxelles. Plus généralement, les pays membres de l’UE, politiques comme populations, manifestent de plus en plus de réticences à voir la Turquie entrer dans leur « club ». Du côté turc, le projet européen séduit moins que par le passé et n’a plus les faveurs de la majorité de la population. C’est, en outre, un sujet de discorde entre le gouvernement actuel et l’armée.

De la volatilité en perspective

Il n’est pas question de contester le potentiel à long terme de la Turquie. Pas plus qu’il n’est question de contester la poursuite des négociations d’adhésion à l’UE, qui jouent un rôle d’ancrage des anticipations des investisseurs et favorisent par là même la réalisation de ce potentiel.

Il s’agit en revanche d’appeler à une certaine prudence. Le processus de convergence vers les standards européens, et plus généralement occidentaux, risque d’être lent. Il risque aussi d’être marqué pendant encore quelque temps d’une certaine instabilité macroéconomique et financière. La dépendance de l’économie turque aux financements externes, et sa vulnérabilité consécutive au sentiment des marchés, y prédispose. La crise actuelle le rappelle.

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