UEM : touchée, mais pas coulée

par Frederik Ducrozet, économiste au Crédit Agricole

La chute brutale de l’activité à la charnière 2008-2009 nous conduit à réviser à la baisse nos prévisions de croissance en zone euro. 

La contraction du PIB attendue en 2009 est historiquement élevée (-1,6 %), mais elle masque une stabilisation de la croissance au deuxième semestre.

Les politiques de soutien à l’activité (baisses de taux et plans de relance) devraient notamment permettre d’éviter un effondrement durable de la consommation et de l’investissement.

La faiblesse de l’activité en début d’année justifie une nouvelle baisse de taux de la BCE de 50 pdb au mois mars, qui marquerait selon nous la fin du cycle d’assouplissement monétaire.

L’année 2008 marque l’entrée en récession des principaux pays développés, et rarement le retournement du cycle économique aura été aussi brutal.

Dans un premier temps, la faillite de Lehman Brothers en septembre dernier a entraîné une aggravation brutale des tensions sur les marchés financiers. Très vite, la contagion de la crise financière à la sphère réelle s’est matérialisée par une chute rapide et synchrone de l’ensemble des indicateurs d’activité. Le secteur industriel, déjà fragilisé par le choc pétrolier de l’été 2008, est particulièrement touché par l’effondrement de la demande mondiale, constructeurs automobiles en tête. Enfin, pour l’ensemble des entreprises comme pour les ménages, un resserrement durable des conditions d’accès au crédit implique moins de dépenses d’investissement et de consommation pendant plusieurs trimestres.

La zone euro, officiellement en récession depuis l’année dernière, n’est pas épargnée. Cette contraction plus sévère que prévu de l’activité à la charnière 2008-2009 nous conduit à réviser à la baisse nos prévisions de croissance. Bien que la récession soit en grande partie importée de l’extérieur, l’activité domestique a également subi un coup d’arrêt brutal, et l’impact sur les chiffres de croissance sera probablement beaucoup plus fort en fin d’année. Nous tablons sur un recul du PIB de 1,3 % t/t au T4 2008 (-5,4 % en rythme trimestriel annualisé), de loin la plus mauvaise performance de l’économie européenne sur les trente dernières années.

Si la contraction de l’activité s’annonce plus forte encore en Allemagne, de l’ordre de -1,75 % t/t au T4, ce sont bien tous les pays qui freinent de concert.

La contraction de l’investissement des entreprises est particulièrement marquée, de l’ordre de 9 % en rythme annualisé en fin d’année dernière, et de 4,4 % sur l’ensemble de l’année 2009. Le recul des exportations devrait également peser sur le chiffre final du quatrième trimestre. Par ailleurs, les données disponibles suggèrent que les entreprises ont rapidement ajusté leur production au ralentissement attendu de la demande, en puisant largement dans leurs stocks et, pour certaines, en augmentant le nombre de jours chômés. Ces facteurs exceptionnels (déstockage, réduction des heures travaillées), expliquent une partie non négligeable de la chute de l’activité au dernier trimestre. Si ces biais devraient être en partie corrigés dans les trimestres à venir, le niveau actuel des indicateurs avancés suggère toutefois une nouvelle contraction du PIB au premier trimestre de cette année, quoique plus modérée (-0,5 % t/t selon nous). Cette révision des prévisions de croissance à court terme a un impact mécanique très important sur les chiffres annuels. Nous attendons une contraction de 1,6 % du PIB de la zone euro en 2009 (l’acquis serait d’ores et déjà de -1,2 % en fin d’année).

Stabilisation de l’activité au 2e semestre

Par la suite, nous excluons un scénario d’effondrement durable de l’activité domestique. Nous tablons sur une croissance nulle au deuxième trimestre et une reprise modeste en deuxième partie d’année, au moment où baisses de taux de la BCE et plans de relance des gouvernements devraient produire leurs premiers effets.

En première estimation, le stimulus global qui en résulte devrait générer au minimum 1,5 % de croissance supplémentaire sur les deux prochaines années(1), permettant ainsi d’atténuer les chocs adverses. Au total, la croissance resterait molle en 2010 (+0,9 %), mais elle aurait été nettement plus faible en l’absence de stimulus.

Nous tablons notamment sur une relative résilience de la consommation privée, qui représente plus de 56 % du PIB de l’UEM. Certes, la confiance des ménages est au plus bas et la remontée du taux de chômage va se poursuivre, ce qui pèsera sur les dépenses, malgré le net ralentissement de l’inflation. Nous tablons cependant sur une baisse marginale de la consommation en 2009 (-0,3 %) et une croissance modeste en 2010 (+0,9 %).

Plusieurs mesures vont être mises en places pour soutenir ponctuellement la demande, telles des primes à la casse visant à relancer les ventes de voitures neuves dans plusieurs pays (France, Allemagne notamment). La demande de biens durables est potentiellement la plus affectée dans l’environnement actuel, mais elle ne représente « que » 15 à 25 % de la demande globale de biens de consommation selon les pays. D’autres mesures visent plus généralement à soutenir les revenus des ménages, notamment les moins aisés qui ont une forte propension à consommer. Enfin, sur le plan structurel, le taux d’épargne des ménages de la zone euro avoisine 15 %, un niveau nettement supérieur à la moyenne des autres pays du G7. Leur réserve d’épargne disponible peut être en partie mobilisée dans un contexte économique déprimé. C’est déjà le cas dans des pays comme la France.

Des trajectoires nationales différenciées Après une phase de « re-couplage » entre l’Allemagne et le reste de la zone euro, les trajectoires nationales pourraient de nouveau diverger à moyen terme. Le creusement des déficits publics lié aux différents plans de relance sera lui aussi très variable d’un pays à l’autre, selon les marges de manœuvre budgétaire disponibles avant la crise.

Allemagne : plus dure est la chute

L’Allemagne fait partie des pays les plus touchés par le retournement conjoncturel, de part l’importance de son secteur manufacturier et son exposition au cycle mondial. La chute des nouvelles commandes et des exportations pèse en retour sur les dépenses d’investissement des entreprises qui devraient reculer de près de 5 % en 2009. Parallèlement, la consommation des ménages est restée atone, malgré la hausse des salaires réels sur les deux dernières années et le recul continu du chômage jusqu’à l’année dernière.

Le gouvernement de Grande Coalition a annoncé en début d’année un deuxième plan de relance de l’économie, pour un total de 50 Mds € sur deux ans, en complément des 12 Mds € de dépenses nettes annoncées à l’automne dernier et ciblées sur l’investissement des entreprises. Les mesures récentes sont réparties entre hausse des dépenses publiques (grands travaux d’investissement dans les infrastructures et le système éducatif pour 17 Mds €) et baisse des recettes fiscales (baisses d’impôt et des cotisations sociales, et aides ciblées aux ménages pour 23 Mds €), le reste étant affecté au soutien du secteur automobile. Enfin, le plan s’accompagne de la mise en place d’un fonds de 100 Mds € destiné à assurer le refinancement des entreprises en difficulté par des garanties de prêts octroyées par la banque publique KfW.

La principale critique adressée au plan allemand est son mauvais timing et sa procyclicalité. Les baisses d’impôt, en particulier, n’interviendront pas avant le 1er juillet.

Après plusieurs années de rigueur budgétaire, un creusement rapide du déficit public paraît inévitable, non loin des 3 % dès cette année. Au total, nous tablons sur une contraction du PIB de 1,9 % en 2009 avec un risque baissier. La croissance repartirait timidement en 2010 (+1 %).

France : rattrapée par la crise

La France a certes échappé à la récession technique au 3ème trimestre, mais sa situation reste fragile. Les indicateurs conjoncturels pointent vers une contraction marquée de l’activité en fin d’année dernière. Production industrielle et investissements des entreprises ont nettement reculé sur le dernier trimestre et l’ajustement n’est pas terminé si l’on en croit le niveau du climat des affaires. Les exportations vont également poursuivre leur ralentissement. La baisse de l’inflation, autour de 1% en 2009, devrait stimuler les revenus réels et la consommation. Celle-ci bénéficiera également du bas niveau des taux à court terme et d’une probable réduction du taux d’épargne. Mais le moral des ménages a touché un point bas historique et la détérioration rapide du marché du travail exclut un rebond à court terme. La consommation devrait au total croître légèrement en 2009 (+0,5%). Les achats de logements resteraient en recul marqué.

Le plan de relance français, qui comporte deux volets ciblés sur la trésorerie des entreprises et les programmes d’investissements publics, est évalué à 26 Mds €, soit 1,3 % du PIB. Accompagné de mesures de soutien aux secteurs les plus en difficulté (automobile, construction), ce plan devrait permettre d’atténuer la récession en cours, sans pour autant l’éviter. Le PIB est attendu en recul de 1,3% en 2009 et en progression modeste de 1% en 2010.

Italie : deux années de recul du PIB

La conjoncture italienne se détériore plus rapidement que prévu. Les indicateurs avancés ont tous atteint de nouveaux points bas historiques et plaident pour un fort recul du PIB au quatrième trimestre 2008 (-0,9 % t/t) ; soit une récession de -0,5 % sur l’ensemble de l’année 2008. Le taux de chômage poursuit par ailleurs sa remontée à 6,7 % au T3 2008, contre 6 % au T2 2007.

Nous prévoyons désormais un recul du PIB de -1,7 % en 2009 et une reprise modérée de 0,8 % en 2010.

Nous anticipons également un reflux rapide de l’inflation à 1 % en 2009, puis une normalisation autour de 1,8 % en 2010. En revanche, nous ne nous attendons pas à un retournement majeur du marché du travail, à l’image de celui à l’œuvre en Espagne. En effet, malgré des épisodes de croissance faible, voire nulle, le taux de chômage n’a pas cessé de diminuer depuis 1998 et a été pratiquement divisé par deux en dix ans grâce aux réformes structurelles. Nous prévoyons une remontée progressive du taux de chômage, jusqu’à 8,8 % fin 2010.

Espagne : structurellement plus exposée

La situation économique espagnole s’est fortement dégradée ces derniers mois, comme l’atteste la remontée sans précédent du taux de chômage de 8,2 à 13,9 % en un peu plus d’un an. Si au départ une majorité de ces nouveaux chômeurs était issue de la construction, le chômage progresse désormais dans tous les secteurs, suggérant que la récession s’est propagée à l’ensemble de l’économie. Ces nouvelles données nous poussent à revoir à la baisse nos prévisions de croissance pour les prochains trimestres. En effet, confrontés à une résurgence du chômage, combinée à un credit crunch marqué, les ménages espagnols réduisent rapidement leur consommation. Par ailleurs, l’effondrement du climat des affaires suggère une nouvelle aggravation de la situation dans les prochains mois. Nous anticipons désormais un recul du PIB de 2,2 % en 2009, avant de revenir en territoire positif à 0,1 % en 2010.

L’Espagne est en train de subir un ajustement structurel de grande ampleur qui passera par une réduction du déficit courant et donc de la consommation. Combien de temps l’Espagne va-t-elle rester sous son potentiel de croissance estimé entre à 2,5 % ? Une contribution négative de l’investissement dans la construction pendant au moins trois ou quatre ans étant probable (soit un peu plus que lors des précédentes crises immobilières), on peut légitimement penser que la croissance devrait s’installer largement sous les 2 % au moins jusqu’en 2012, avant de revenir vers son potentiel.

NOTES

(1) Le stimulus fiscal représente à ce stade plus de 1,5 % du PIB européen, soit un impact sur le PIB proche de 1 % sur deux ans selon la Commission européenne qui retient un multiplicateur fiscal moyen de 0,7 (0,6 pour les baisses d’impôt et 1 pour les investissements publics). L’impact des baisses de taux de la BCE est plus délicat à chiffrer dans un contexte de rationnement du crédit, mais un indice des conditions monétaires passées suggère un impact global sur le PIB supérieur 0,5 % d’ici 2010.