BCE : lending me softly

par Frederik Ducrozet, économiste au Crédit Agricole

• La BCE a maintenu jeudi ses taux inchangés tout en conservant une tonalité accommo- dante. À en juger par les commentaires de Mario Draghi, l’option d’une baisse des taux a probablement été débattue. Nous conti- nuons de tabler sur une baisse de 25 pdb du taux « refi » en décembre (et sur un taux de rémunération des dépôts stable à 0%), sa- chant qu’il y a toujours le risque d’un report de la décision jusqu’au premier trimestre 2013.

• Les nouvelles prévisions du staff de la BCE, publiées le mois prochain, seront probable- ment inférieures à l’objectif pour ce qui concerne l’inflation en 2013 et 2014, de quoi justifier tout naturellement entre autres facteurs, une baisse des taux. 

• À terme, la question qui se pose pour le Conseil des Gouverneurs est celle de la lenteur du processus de restauration de la transmission monétaire dans les économies ayant engagé un programme de désendet- tement. Rien d’étonnant à ce qu’une amélio- ration des données de croissance monétaire et de crédit se fasse attendre, mais une chose est sûre : plus cette amélioration tardera à venir, plus les conditions écono- miques resteront dégradées et plus un nouvel assouplissement des conditions financières s’imposera.

• Les choses n’ont guère changé depuis le mois dernier concernant la mise en œuvre potentielle du programme OMT. La BCE est prête à acheter les obligations, mais sans pour autant fournir de garanties ex ante aux pays bénéficiaires, et ce alors même que le gouvernement espagnol s’efforce toujours de gagner du temps.

Les commentaires dovish du président de la BCE Mario Draghi ont amené certains opérateurs du marché à réévaluer leurs anticipations à court terme concernant la politique monétaire, laissant entrevoir une plus forte probabilité de baisse des taux dans les prochains mois. M. Draghi a notamment déclaré aux banquiers allemands que le chômage se situait à des niveaux « déplorablement élevés » et que « la crise de la dette commençait à affecter l’économie allemande ». Il a rajouté : « Aussi les risques d’inflation sont-ils à présent très faibles à moyen terme ». Certes, son objectif était peut-être de défendre le programme OMT face à un public supposé sceptique. Peut-être est-ce aussi la raison pour laquelle M. Draghi a également insisté sur le fait que le programme OMT était loin de constituer un financement du déficit et qu’il s’accompagnait de conditions strictes.

Cependant, les propos tenus jeudi étaient suffisamment dovish, selon notre analyse, pour laisser entendre que la BCE pourrait de nouveau recourir, dès que possible, aux mesures traditionnelles de politique monétaire. Sans indiquer clairement si l’option avait ou non été débattue, M. Draghi a néanmoins précisé que la BCE ne s’était pas encore prononcée sur les mesures monétaires devant être adoptées l’année prochaine. Nous continuons de tabler sur un geste de 25 pdb pour le taux «refi» lors de la réunion du 6 décembre ainsi que sur un taux de rémunération des dépôts stable à 0% (entraînant par conséquent un resserrement du corridor des taux).

Une situation économique déplorable et une lente restauration de la transmission monétaire plaident en faveur d’une nouvelle détente monétaire 

Au regard de l’évolution économique et financière le mois dernier, il faut s’attendre, selon notre analyse, à de nouveaux risques à la baisse pour l’activité à court terme. Les résultats des enquêtes du mois d’octobre auprès des chefs d’entreprise sont restés très mauvais, annonçant une contraction potentiellement significative du PIB au quatrième trimestre, tandis que le chômage continue de grimper.

Par ailleurs, M. Draghi a insisté sur l’effet de stabilisation positif lié à l’annonce du programme OMT sur les marchés obligataires périphériques, les flux de capitaux, les dépôts bancaires, les soldes Target2 et l’émission de la dette bancaire, entre autres. Même avant l’activation du programme OMT, son annonce s’est traduite par une politique monétaire plus accommodante, selon la BCE, réduisant potentiellement la nécessité d’une action dans l’immédiat. Les opérations de refinancement à long terme (LTRO) à trois ans avaient eu un effet similaire par le passé, M. Draghi ajoutant jeudi 8 novembre qu’un remboursement anticipé n’était guère préoccupant et qu’il serait probablement bien accueilli par la BCE.

Les signes d’amélioration de la transmission monétaire restent rares. Certes, les taux d’intérêt facturés par les banques périphériques au titre des nouveaux prêts au secteur privé ont commencé à refluer plus rapidement, quoique à partir de niveaux anormalement élevés1. Mais, et c’est plus important, l’enquête de la BCE sur le crédit bancaire en octobre fait ressortir un nouveau durcissement des conditions de crédit aux entreprises au troisième trimestre (15% en termes nets, contre 10% au deuxième trimestre 2012), un autre resserrement attendu au quatrième trimestre, ainsi qu’une forte baisse de la demande de crédit. L’impact du coût de financement des banques et des contraintes de bilan a diminué mais la perception de risques économiques plus importants n’en a pas moins contribué à accentuer le durcissement net des critères d’attribution de crédits aux entreprises.

Comme le montrent les enquêtes spécifiquement consacrées à certains pays, la détérioration des perspectives de l’offre et de la demande de crédit est en fait générale. En Allemagne, par exemple, les conditions d’attribution de crédits sont devenues plus restrictives pour les prêts aux entreprises comme pour les prêts aux ménages et la situation devrait, selon les anticipations, se détériorer encore au quatrième trimestre, outre une chute record de la demande de prêts de la part des entreprises. En France, les modifications ayant affecté les caractéristiques du crédit sont peu sensibles alors qu’en Espagne, les conditions du crédit sont restées très négatives. Enfin, les données sur la masse monétaire et le crédit sont restées conformes à la poursuite du désendettement et à la contraction du crédit réel aux entreprises.

Le président de la BCE a fait plusieurs commentaires concernant les ajustements en cours des publics et privés, indiquant qu’il s’agissait la d’une étape nécessaire destinée à faciliter in fine la transmission monétaire même si l’impact à court terme sur l’activité restait négatif. Selon notre analyse, la révision probable à la baisse des prévisions du staff de la BCE en décembre, faisant suite à une révision similaire des projections de la Commission européenne, pourrait être en partie justifiée par l’impact plus important que prévu du désendettement sur la croissance. La BCE ne le reconnaîtra pas explicitement, mais une telle révision signifierait qu’elle a sous-estimé l’effet du multiplicateur fiscal, ainsi que l’impact sur la croissance de la réduction des bilans des banques. Enfin, M. Draghi a indiqué qu’on observait déjà les premiers signes d’une amélioration structurelle dans les pays périphériques au travers de nombreux indicateurs, comme la baisse des coûts unitaires de la main-d’œuvre. Autant d’éléments qui confirment la nécessité pour la BCE d’assouplir encore les conditions financières dans un contexte de transition douloureuse pour les économies périphériques. « Les conditions financières sont-elles satisfaisantes ? Non, absolument pas ! », a déclaré M. Draghi pendant la séance des questions-réponses, corroborant notre opinion selon laquelle il faudra bien tôt ou tard mettre en œuvre le programme OMT et abaisser encore les coûts d’emprunt pour que ces 8p0ays retrouvent un « bon équilibre ».

Comme d’habitude, l’évaluation par la BCE des risques d’inflation à moyen terme devrait en grande partie constituer le moyen le plus naturel de signaler (ex ante) ou de justifier (ex post) une baisse des taux. D’après le communiqué officiel, ces risques restent « globalement équilibrés », autrement dit, aucun changement par rapport au mois dernier. Cependant, la BCE pourrait encore préparer le terrain à une orientation plus franchement accommodante en décembre. Deux possibilités s’offrent à elles pour ce faire :

  1. faire état de risques potentiels à la baisse pour l’inflation à long terme sous l’effet de l’output gap, d’importantes capacités inutilisées et d’un taux de chômage élevé ou ;
  2. ce qui serait plus réaliste, modifier les projections relatives à l’IPCH 2013 (actuellement à 1,9%, contre 1,6% dans les projections de juin) et une projection bien inférieure à l’objectif pour l’IPCH de 2014 (c’est la première fois que le Conseil des Gouverneurs communiquera sur ce chiffre).

Programmes d’aide financière aux pays périphériques : peu de progrès accomplis

Concernant l’Espagne, M. Draghi s’en est tenu à la ligne officielle indiquant que la BCE était toujours prête à lancer le programme OMT. Il a, toutefois, précisé que la BCE agirait en toute indépendance (sur demande officielle du gouvernement espagnol portant sur une aide préventive dans le cadre du programme MES) et qu’il ne pouvait, par conséquent fournir au pays quelque garantie que ce soit ex ante. « La balle est dans le camp des gouvernements», a-t-il répété, comme lors des deux réunions de politique monétaire précédentes.

Sur la Grèce, en revanche, M. Draghi a donné l’impression de prendre ses distances par rapport aux déclarations antérieures, saluant le vote au parlement grec et indiquant qu’il attendait une décision de l’Eurogroupe sur un programme d’aide financière faisant suite au rapport de la Troïka et à l’analyse de la soutenabilité de la dette. Il a ajouté que la BCE « avait pratiquement fini » d’aider la Grèce, confirmant que le Conseil des Gouverneurs ne consentirait probablement pas de nouveau geste pour alléger la charge de la dette grecque au-delà de la restitution des gains, déjà approuvée, sur les achats antérieurs de GGB.

NOTES

  1. À quelques exceptions près, ces taux se sont repliés en septembre, signe que la décision prise par la BCE a déjà eu un impact. En particulier, les taux sur les prêts classiques aux PME ont reculé de 64 pdb en Espagne (la plus forte baisse enregistrée) à un peu moins de 6 % (un niveau qui reste néanmoins élevé) et de 20 pdb en Italie (60 pdb en cumulé sur deux mois) aux environs de 5,65 %.

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