2016 s’annonce plus compliquée… mais pas forcément négative

par Jean-Marie Mercadal, Directeur Général Délégué en charge des gestions chez OFI AM

L’année financière 2015 s’achève sur un bilan globalement conforme aux attentes que nous avions formulées l’année passée à la même période. Seul le cheminement des marchés, beaucoup plus heurté depuis 6 mois, a été finalement plus difficile à anticiper. Quel scénario envisager pour 2016 ? Poursuite d’un environnement volatil sans tendance, voire plus négatif, ou reprise d’une tendance haussière plus marquée ? Notre Comité d’allocation d’actifs, qui s’est tenu ce lundi 21 décembre, a essayé de trancher, sans grande unanimité…

En effet, dans cet environnement complexe et « challenging », deux lectures s’opposent.

La première, plus négative, met en avant le fait que le « Bull Market » américain est désormais mature, avec des bénéfices des entreprises qui stagnent, à l’heure où la politique monétaire américaine commence à se normaliser avec un premier relèvement des taux d’intérêt qui en appelle d’autres. D’autant plus qu’il intervient dans un envi- ronnement économique mondial assez faible et sans réel potentiel de surprise à la hausse, surtout dans le monde émergent et sur le secteur très déprimé des matières premières. Les marchés financiers, dopés par plusieurs années de politiques monétaires très complai- santes, vont donc se retourner à la baisse… Les premières difficultés qui se manifestent ici et là sur le segment des fonds « High Yield » et sur le marché du crédit n’en sont que les prémices…

La deuxième, naturellement plus positive, ne manque également pas d’arguments. Les politiques monétaires et les Banques Centrales restent dans leur grande majorité accommodantes, notamment la BCE et la Banque du Japon très procycliques. Certes, la Fed se différencie, mais elle avait commencé plus tôt et les relèvements prévus sont de faible ampleur au final. Dans ces conditions, il y a peu de risques de voir les taux d’intérêt se tendre globalement et, dans ce contexte, les investisseurs se tourneront logiquement vers les actions qui présentent le meilleur couple dividende/espoir de performance… Pour ce qui est des signes négatifs donné par le segment du crédit, notons que les aléas sont surtout le fait du secteur des matières premières et que les Banques n’y semblent pas particulièrement exposées ni trop « leveragées ». Il y a donc finalement peu de risque de crise financière comme en 2008…

Les marchés sont de ce fait particulièrement hésitants ces dernières semaines. L’issue viendra de l’évolution de trois paramètres majeurs : l’économie, les Banques Centrales et le contexte géopolitique.

Economie : le « momentum » global n’est finalement pas si mal…

Pour l’instant, la croissance mondiale est attendue en légère amélioration par le FMI à + 3,6 % contre 3,1 % cette année.

Les Etats-Unis tournent à un rythme modéré autour de 2/2,5 % : le secteur de l’industrie souffre de la baisse des investissements dans le secteur de l’énergie et de la hausse du dollar : la production industrielle vient ainsi d’enregistrer sa plus forte contraction depuis 3 ans. En revanche, la consommation est correcte en raison des bons chiffres de l’emploi et de la reprise progressive de l’immobilier. Mais au final, la dynamique est moyenne et l’indice « flash » des directeurs d’achat est retombé à 51,3 après une première publication à 52.8… Par ailleurs, le cycle US est bien « mature » avec plus de 6 ans d’expansion depuis le creux de 2009, ce qui en fait le 4e plus long cycle depuis 1945…

La zone Euro est mieux orientée et bénéficie du fameux alignement des planètes : baisse des taux, du pétrole et hausse du dollar : la croissance réaccélère donc légèrement et devrait se situer autour de 1,7 %/1,8 % en 2016. Notons également que la dynamique s’améliore nettement dans le Sud de la zone. Après l’Espagne ces derniers mois (plus forte croissance de la zone avec + 3,3 %), c’est au tour de l’Italie de donner des signes encourageants : le pays vient de connaître, pour la première fois depuis 2011, deux trimestres consécutifs de croissance. Le PIB de l’Italie devrait ainsi progresser de près de 0,8 % en 2015 et 1.2 % en 2016, après une récession de 0,4 % en 2014. Les réformes engagées par le gouvernement Renzi commencent ainsi à porter leurs fruits (marché du travail, fiscalité…) et elles devraient se poursuivre car il n’y a pas d’opposition majeure dans le pays à cette voie décidée.

Le cas des émergents est plus compliqué et c’est devenu un sujet d’une extrême importance : ils représentent entre 40 et 55 % du PiB mondial selon la manière de calculer, donc près de la moitié ! Il est acquis que la situation économique de l’Amérique latine restera sous pression, avec au Brésil la pire récession depuis les années 30, autour de – 3,5 %. Ceci dit, un tournant politique plus libéral se prépare, comme en Argentine, qui mettra fin à plus de 12 ans de politique populiste. Avec la chute du réal, le pays commence à retrouver de la compétitivité et une amélioration est attendue en 2017.

Reste le cas de la Chine qui, à elle seule, représente 15 % de l’économie mondiale, avec un grand effet d’entraînement sur toute l’Asie. Nous avons étudié attentivement tous les indicateurs publiés depuis le stress de l’été dernier : ils sont en grande majorité soit en ligne avec les attentes, soit meilleurs. Le pays se situe même dans une phase de léger rebond lié à des mesures gouvernementales de soutien, particulièrement dans le secteur de l’immobilier. Nous pensons que l’économie chinoise se situe dans une phase progressive de mutation vers une économie plus tournée vers la consommation et l’économie numérique. Notre scénario est donc celui d’un « soft landing ». Rappelons aujourd’hui que, avec une hypothèse de 5 % de croissance, la contribution de la Chine à la croissance mondiale est aujourd’hui supérieure à celle du pays en 2007 qui avait près de 15 % d’expansion ! On peut estimer ainsi que le pays crée en richesse chaque année l’équi- valent du PIB d’un pays comme la Pologne ! Ceci-dit, on ne peut ignorer les doutes sus- cités par le pays depuis cet été et par la gouvernance « à poigne » du Président Xi. Les marchés ont le sentiment que les autorités n’ont pas bien géré la crise boursière et que les réformes des entreprises d’États tardent à se mettre en place. Le volet politique qui vise à faire de la Chine à nouveau une grande puissance politique (un empire ?) semble bien avancer, alors que la libéralisation de l’économie tarde. Et il est également possible que les forces de « ralentissement » reviennent : le cycle manufacturier gouverne encore le pays qui souffre à l’international de la baisse de pratiquement toutes les monnaies contre le Yuan, à l’exception bien sûr du dollar. Ceci pèserait sur la consommation si l’emploi se détériore. Il y a donc sur le pays une petite accumulation de problèmes et de perte de crédit qui réduit la visibilité d’ensemble… Au final, nous nous attendons à une année de croissance « molle », en ligne avec les attentes et il est aléatoire de parier sur une phase de ralentissement plus marquée, comme d’ailleurs sur une reprise plus forte !

Les banques centrales : elles ont été la solution, seront-elles un problème ?

Elles ont contribué clairement au marché haussier des obligations et des actions depuis quelques années. Or, depuis que la Fed a arrêté son QE et mis fin à l’expansion de son bilan en fin d’année 2014, les marchés américains stagnent… La décision de la Fed de procéder à un premier relèvement de ses taux directeurs pose donc question : ne le fait-elle pas pour des raisons plus conventionnelles qu’économiques ? Le cycle américain est très long (75 mois) alors, habituellement, les taux directeurs sont relevés en moyenne 30 mois après le creux. Et aujourd’hui, il est clair que la dynamique économique n’est pas très forte… Alors pourquoi ? Pour ne pas être « behind the curve » et se redonner des marges de manœuvre, pour ne pas être suspectée de favoriser une bulle boursière, ou alors parce qu’il y aura davantage d’inflation par les salaires ?… Bref, beaucoup de questions nouvelles pour les marchés. Quelle serait l’ampleur de cette hausse des taux ? La Fed a balisé le chemin et il ne devrait pas y avoir beaucoup de surprises. D’ici la fin de l’année 2016, des Fed Funds autour de 1 % sont annoncés. Au-delà, la Fed a expliqué à plusieurs reprises que ce cycle était aty- pique : contrairement aux fois précé- dentes, le niveau des Fed Funds s’alignera sur celui de l’inflation pour avoir des taux réels à 0 (« The New Normal »…). L’objectif d’inflation de laRéserve Fédérale étant de 2 %, nous pouvons anticiper des taux courts autour de ce niveau d’ici 2/3 ans.

En zone Euro en revanche, il y aura moins de surprises. La BCE est clairement procy- clique sous l’impulsion de Mario Draghi et la performance d’un placement Eonia sera encore plus négative en 2016, probablement autour de – 0,25 %. Par ailleurs, le programme de QE restera significatif avec des montants équivalents à ceux de 2015 et qui représen- tent près de 7 % du PIB de la zone.

Les risques géopolitiques

Il est difficile d’avoir de fortes convictions sur ce sujet, mais l’actualité de ces derniers mois nous indique qu’il s’agira d’un paramètre non négligeable. La situation internationale est tendue et il convient d’essayer d’en exa- miner les risques potentiels induits pour les économies et les marchés. Nous pensons qu’une intensification aurait trois types de conséquences principales :

  • Un retard dans la réduction des déficits publics, et notamment en France. Les contraintes européennes nous imposent de revenir à moins de 3 % de déficit budgé- taire en 2017. Or, le surcoût des frappes militaires et des mesures de sécurité vont entraver la réduction des dépenses publiques et il sera délicat pour les partenaires euro- péens d’en faire grief à la France. Mais il ne faudrait pas que ce prétexte freine les mesures structurelles nécessaires pour engager le pays dans la modernité écono- mique… Il serait en fait temps qu’une nou- velle avancée de construction européennes se mette en place, ceci en sera peut-être l’occasion en réfléchissant à un budget militaire européen… On avait espéré enfin une vraie avancée dans la construction européenne après l’épisode grec… Sinon, les tensions intra zone Euro peuvent refaire surface.
  • Une réduction du commerce international pour des raisons simples de sécurité ou alors par des mesures protectionnistes entravant la liberté de circulation des biens et des personnes…
  • Le pétrole ? Impossible d’imaginer un scénario sur ce sujet mais à 35 dollars le baril, de toute façon, on s’approche de cours intéressants dans une optique moyen terme.

Notre scénario central

– Taux : « le désert des rendements » va se poursuivre

Dans un monde en faible croissance et avec des matières premières à leurs plus bas niveaux depuis une bonne dizaine d’années, il y a peu de risques de dérapage inflationniste dans les économies occidentales.

Les taux d’intérêt devraient donc rester bas en 2016, surtout dans la zone Euro. Une bonne partie des courbes des taux des pays « core » resteront même en territoire négatif. Le taux de référence du « Bund » 10 ans devrait donc évoluer entre 0,50 et 1 % durant la majeure partie de l’année.

Nous n’attendons pas de mouvements significatifs sur les « spreads » gouvernementaux au sein de la zone, sauf événement politique inattendu ou alors défiance ponctuelle sur les finances publiques d’un pays. La France serait un candidat naturel à cette défiance éventuelle, notamment pour les raisons évoquées plus haut, mais nous n’y croyons pas vraiment.

Pour ce qui est des obligations américaines, là aussi nous n’envisageons pas de fortes tensions des rendements obligataires. Traditionnellement, la courbe des taux s’aplatit lors des phases de durcissement monétaire. Un niveau de T-Notes 10 ans autour de 3,5 % est envisageable à horizon 2/3 ans à la fin de ce nouveau cycle. Les investisseurs vont donc être encore dans l’obligation de rechercher du rendement, ce qui maintiendra les « spreads » des obligations d’entreprises les mieux notées à de faibles niveaux. Logiquement, ils devraient également revenir vers les obligations à haut rendement d’autant que les conditions économiques restent stables et les bilans des entreprises corrects (hors secteur matières premières). Mais, comme nous le soulignons dans ces colonnes depuis 2 ans, attention à la liquidité qui est faible comme on l’a constaté récemment.

L’année 2015 a été marquée par une vague de rachats sortants des obligations émer- gentes. Il est vrai que les performances des dettes libellées en monnaies locales sont très négatives après l’effondrement de cer- taines monnaies comme le réal qui a perdu en extrêmes près de 60 % contre le dollar. Cette dynamique de défiance devrait encore se poursuivre quelques mois car le « news Flow » économique sera encore mauvais au cours des prochains mois. En revanche, il y aura des points d’investissement attractifs au cours de l’année. Nous en reparlerons.

– Actions : du risque… mais encore du potentiel !

L’année 2015 est très intéressante du point de vue boursier. Par exemple, sur le marché le plus « mature », la performance de l’indice S&P 500 est légèrement positive, mais avec une envolée de 42 à 116 % des valeurs FANG (l’acronyme pour Facebook, Amazon, Netflix, Google)… Si bien que l’indice S&P non pondéré par les capitalisations recule de près de 4 %. Le choix des secteurs et des valeurs a donc été déterminant en 2015, et il le restera.

Mais commençons par l’aspect directionnel, ou autrement dit, existe-t-il encore un potentiel d’appréciation (ou de risque de forte chute) des actions américaines, principal guide pour les marchés internationaux ?

Finalement, la performance 2015 de l’indice S&P 500 est en ligne avec la stabilité des bénéfices des entreprises observés en 2015. Pour 2016, le consensus s’attend à 123,5 dollars de bénéfices par indice contre 118 en 2015. Cela donne un PER 2016 de 16,3, ce qui est assez élevé historiquement mais pas excessif. En conséquence, une légère progression des actions américaines semble donc le scénario le plus probable sur l’ensemble de l’année 2016, surtout dans un environnement de taux assez bas. Des phases de corrections marquées sont possibles par contamination de certains segments du marché de crédit car les investisseurs trouveront la liquidité manquante sur les actions qu’ils n’auront peut-être pas sur les obligations d’entreprises. Mais difficile d’imaginer plus que des corrections boursières…

Les actions européennes gardent notre préférence car elles sont en retard dans leur cycle boursier et présentent des valorisations encore inférieures : PER 2016 de l’ordre de 13 avec près de 10 % de croissance de bénéfice attendue et un rendement des dividendes de 3,5 %. Logiquement, cela doit attirer les investisseurs et le risque de forte correction semble, là aussi, modéré ou constituera des opportunités intéressantes. La question du dollar est évidemment cruciale pour les actions européennes, car la hausse de la devise américaine explique en grande partie la surperformance de l’année. Nous estimons que le cycle de hausse du dollar contre toutes les autres devises inter- nationales est « mature » : cela signifie que l’on a probablement vu 80 % du chemin et que cette thématique a délivré l’essentiel de son potentiel. Comme d’habitude, les mar- chés ont anticipé la divergence de politique monétaire qui se matérialise aujourd’hui.

Quels types de valeurs choisir ?

Que ce soit aux États-Unis ou en Europe, la cote est divisée entre les valeurs de croissance, beaucoup plus chères mais à la visibilité bien meilleure, et les secteurs plus cycliques ou qui semblent très décotés comme sur les matières premières. Il peut y avoir des rattrapages sur des segments « value », mais en l’absence de catalyseur d’accélération de l’économie, les tendances en vigueur depuis plusieurs mois devraient se poursuivre.

Sur les autres marchés internationaux, nous aimons les actions chinoises qui ont fortement corrigé cet été et dont les valorisations sont aujourd’hui convenables. Nous misons également beaucoup à moyen terme sur la modernisation du pays et sur le renouvelle- ment de ses managers. Sur les autres marchés émergents, il sera temps au cours de l’année de revenir sur certains segments des bourses latino-américaines, très décotés par les flux sortants, et où l’on trouve désormais des va- leurs cotées à moins de 0,5x la Book Value…

Synthèse

Il y a actuellement beaucoup de scepticisme vis-à-vis de la relative bonne tenue des marchés et le sentiment diffus qu’on est entré en zone de risque. Par certains côtés, c’est compréhensible. Mais au final, le choix d’investissement est assez binaire : soit peu de rendement de façon certaine et du risque, soit des perspectives potentielles plus attractives, et aussi du risque ! Notre préférence reste donc en faveur des actions européennes et d’ici quelques mois, les obligations et actions émergentes.