Ce que nous devons au mois de mai

par Marc-Ali Ben Abdallah, stratégiste chez Amundi Asset Management

La saisonnalité des marchés financiers est à l’origine d’un florilège de maximes plus savoureuses les unes que les autres. Le mois de mai 2010 a donné une profondeur et une « texture » inattendue au fameux « sell in May and go away ». Pourtant, un simple calcul de performances mensuelles historiques – ajustées de l’inflation pour les rendre comparables – permet de s’apercevoir du caractère désuet de cet adage. En effet, pour des plages temporelles suffisamment représentatives, la moyenne des performances des marchés actions au mois de mai est nulle. Il a d’ailleurs été observé autant de mois de mai à solde positif qu’à solde négatif. Ceci étant, celui de 2010 nous prive du plaisir de la démystification. En termes de performance avec une baisse de -9,7% en dollars de l’indice MSCI Monde, mai 2010 aura été le pire de mois de mai depuis 1970.

Anatomie des années dont le mois de mai est douloureux

Une analyse plus approfondie sur données historiques américaines montre que huit mois de mai comparables, voire un peu plus rudes, se sont déjà produits par le passé (1).Trois d’entre eux correspondent à la période de la Grande Dépression (1929- 1940). Que s’est-il passé dans les mois qui ont suivi ? En moyenne, les marchés actions ont été orientés à la baisse (2) d’environ 15%. Dans la plupart des cas, les tendances baissières ne se prolongent guère au-delà de l’été et bien souvent le point bas de l’année est atteint dès le mois de juin. Les phases de remontées sont, en revanche, plus lentes.

Sans surprise, l’ensemble de ces épisodes se hiérarchisent plus en fonction des perspectives bénéficiaires que de la valorisation. Dans les cas les plus bénins d’un recouvrement intégral ou d’un solde de -10% sur le reste de l’année, à l’instar de ce qui s’est passé en 1970, les bénéfices publiés ajustés de l’inflation sont restés proches ou au-dessus de leur tendance de long terme. Quid pour 2010 ?

Le pragmatisme via la recherche de qualité

A priori, la classe actions ne devrait pas faire l’objet d’un rattrapage rapide pour la simple raison que les attentes bénéficiaires sont aujourd’hui élevées. La dynamique des révisions nettes à la hausse (3) du consensus s’épuise, en ligne avec des indicateurs avancés proches de leurs plus hauts. De plus, les taux réels continuent de glisser vers des plus bas historiques : les taux réels maturité 5 ans+ et 10 ans+ se situent dans une fourchette entre 1,25% – 1,35%. Ce dernier point est préoccupant du fait que les primes de risque actions comme celles du crédit tendent à s’accroître lors des mouvements prolongés de baisse des taux réels. Dès lors, la recherche de la qualité : faible volatilité des bénéfices, valorisations attractives, sera très certainement rémunératrice (actions européennes notamment DAX, actions Amérique Latine, secteur des télécoms ou de la santé, crédit investment grade).

Le statu quo du système monétaire va perdurer

Pour l’allocation d’actifs i.e. en ce qui concerne le comportement relatif entre actifs risqués et les emprunts d’Etat, les devises seront déterminantes. Les axes de diversification resteront contraints par le déséquilibre fondamental du système monétaire international. La rigidité des parités de certaines monnaies asiatiques contre le dollar, notamment la devise chinoise, est au cœur de la problématique. A court terme, le statu quo sur ce sujet est inévitable et même souhaitable. Il est inévitable car la forte baisse de l’euro commence à inquiéter en Asie à l’instar des autorités monétaires coréennes qui affichent ouvertement leur préoccupation face à l’appréciation de leur devise domestique contre le dollar depuis la fin avril. Ce statu quo est souhaitable car pour les surplus commerciaux, l’impact d’une appréciation trop rapide des changes pourrait être substantiel. En retour, des surplus moins importants équivaudraient à un rythme d’accumulation plus faible des réserves de changes….et donc à une baisse de la demande des emprunts d’Etat en tant que support d’investissement. Dans l’environnement délétère actuel autour de la dette européenne, une baisse de la demande d’obligations affecterait d’abord les titres du Trésor américain….alors que les marchés financiers n’ont plus les moyens d’absorber un tel choc potentiel.

A privilégier les stratégies de performance absolue

Dans la configuration actuelle, les autorités monétaires chinoises n’auront pas d’autre choix que de durcir leur biais de politique afin de juguler les tensions inflationnistes qui ont refait surface depuis le 4ème trimestre de l’année passée. Il est donc clair que les ajustements autour des devises se feront principalement sur l’axe euro dollar d’une part, et sur l’axe devises émergentes exportatrices de matières premières contre devises à faible rendement d’autre part. Face à cela, il y a, de fait, peu de marges de manœuvre en matière d’allocation d’actifs. Il s’agit de maintenir une exposition raisonnable aux actifs risqués (actions et crédit) en se contentant d’opérer au sein des compartiments les plus liquides d’un portefeuille diversifié (actions et change). Les conditions de liquidité resteront médiocres tant que la volatilité obligataire perdurera. Alors qu’il serait naturel de renforcer les biais vis-à-vis des actifs du bloc dollar presque de façon indiscriminée, les lignes de force que nous avons décrites nous incitent à tenir des positions sur les actifs à valorisation attractive et de qualité. Comme nous l’avons souvent rappelé, le renforcement d’un compartiment de performance absolue, pouvant inclure au choix une position longue dollar, de l’arbitrage de volatilité, de l’arbitrage de devises des actions aurifères ou des devises à faible de rendement comme le yen, nous paraît essentiel actuellement. 

NOTES

  1. Les mois de mai des années 1893, 1920,1931, 1932, 1934, 1940, 1962, 1970 avec des performances entre -7% et -14%.
  2. sauf en 1934, toutefois le solde de performance moyen entre le mois de mai et le mois de juin est de -20% sur les années 31,32 et 34.
  3. Ecart entre le nombre de révisions bénéficiaires à la hausse et le nombre de révisions à la baisse rapporté au nombre de révisions totales.