Union Européenne : un problème de tenue de route ?

par Yves Labat, Délégué Général, Eurogroup Consulting Holding

L’Europe est un autocar engagé sur une route sinueuse, de plus en plus sinueuse. Un car un peu particulier où les vingt-sept passagers prennent successivement le volant tout en menaçant de descendre si la conduite leur déplait …

L’autocar tangue de plus en plus. Personne ne connaissant la difficulté du prochain virage tout en la redoutant, le doute s’installe parmi les passagers sur la capacité du véhicule à finir le trajet et à les amener à bon port.

Et si le problème venait plutôt de la « tenue de route »? Si ni le pilotage ni la route n’en étaient à l’origine – personne n’ayant l’expérience de la conduite d’un tel « bahut » dans des conditions de route si particulières ? Si cela venait plutôt des qualités structurelles de la machine ?

Chaque jour, les gouvernants des pays européens les plus concernés par la crise financière, l’endettement et les déséquilibres budgétaires sont chahutés ou soumis à la pression de leur opinion publique.

Les difficultés structurelles de l’Europe ne seraient-elles pas aussi dues au faible engouement, voire à l’hostilité des opinions publiques pour le projet européen ?

Combien de citoyens européens sont prêts à « se battre » pour l’Union ? Qui peut réellement dire ce que l’Europe lui apporte quotidiennement, une fois qu’il a cité, pour se donner bonne conscience, la paix et la démocratie (dont on a d’ailleurs tendance à oublier qu’elles ne sont pas gravées dans le marbre) ?

L’Europe est, au mieux, considérée comme une infrastructure supplémentaire et nécessaire: supplémentaire car personne ne conteste malheureusement plus l’empilement des couches de responsabilités au nom du sacro-saint principe de subsidiarité ; nécessaire car nous avons tous conscience que nos états souverains n’ont plus, seuls, la taille pour affronter les enjeux mondiaux.

Mais une Europe qui serait un bienfait, une opportunité pour chacun ? Une Europe si intime que l’on pourrait la chérir, la critiquer, la conspuer, et qui serait l’objet de vrais débats, de manifestations « pour » ou « contre »? Une Europe qui serait autre chose qu’un consensus mou qui ne divise même plus la vie politique traditionnelle et partisane ? Allons donc, ca se saurait !!!

Et bien ce n’est pas le cas. Les citoyens seraient bien avisés de prendre l’Europe en main, d’en faire leur projet ; pour eux, pour leurs enfants. Il leur revient de s’ouvrir à l’Europe en devenant polyglottes et en choisissant d’être géographiquement mobiles. Ce sont les entrepreneurs du monde des PME qui peuvent se projeter hors de leur frontière tout en restant dans un territoire unifié, pour exporter, pour coopérer. Ce sont les citoyens qui peuvent contribuer à ce que l’Europe soit un bloc important et influent dans la refondation du monde qui se déroule sous nos yeux.

Les statistiques européennes forment à ce sujet une attristante litanie : 2,6% seulement (le pourcentage d’étudiants européens qui passent au moins un trimestre de leurs études dans un autre pays européen que le leur), 8% seulement (le pourcentage des entreprises de moins de 250 salariés qui exportent), 4% seulement (le pourcentage des jeunes qui démarrent leur vie professionnelle hors de leur pays d’origine), 2 euros et douze centimes seulement (le montant annuel dépensé par citoyen par l’Union pour l’éducation et la formation tout au long de la vie), 1 à 10 seulement (le rapport de taille moyenne entre les PME Européennes et les PME américaines après 5 ans d’exploitation).

L’Europe « d’en bas » manque de substance : c’est un pan entier du projet européen qui est laissé en friche. Or les gisements de richesse et de croissance sont là. Si les citoyens décidaient, avec l’aide d’une gouvernance européenne forte et incarnée, de bâtir « leur » Europe, ils en retireraient de nombreux avantages et un mieux-vivre perceptible.

Ils seraient plus disposés à aider l’autocar à négocier les difficiles virages qui, c’est assuré, nous attendent. La tenue de route en serait grandement améliorée.

Nos gouvernants voudraient pouvoir compter sur une opinion publique européenne plus résistante, plus résiliente, pour affronter les inévitables réformes et évolutions qui s’imposent. Pour qu’elle le soit, il faudra bien qu’ils s’appuient sur des citoyens à qui ils auront laissé la responsabilité d’une partie du projet européen. Cela fait des siècles qu’ils sont capables de réalisations extraordinaires.

 NOTE

Yves Labat est l’auteur du livre « L’instinct européen », paru aux Editions Jean-Paul Bayol