Chine : les aléas du changement de modèle

par Jean-Marie Mercadal, Directeur Général, et Xinghang Li, Managing Director de Syncicap AM

L’actualité économique et financière chinoise a été marquée par plusieurs annonces importantes, ces dernières semaines. Il est important de bien les analyser pour essayer de comprendre comment le pays se situe dans son chemin vers le nouveau modèle de croissance qu’il a choisi.

La Chine reste au cœur des préoccupations politiques et économiques mondiales, comme l’illustrent le récent voyage de 3 jours en Chine du Chancelier allemand Olaf Scholz et la venue pour 4 jours du secrétaire d’État américain Anthony Blinker. Néanmoins, la Chine n’est actuellement pas au centre des préoccupations des investisseurs occidentaux, focalisés sur la politique monétaire américaine et la situation géopolitique tendue en Ukraine et au Proche-Orient. Il est vrai que le changement de modèle choisi il y a 3 ans a refroidi les investisseurs. L’annonce de la « prospérité commune » a engendré de nombreux changements réglementaires, un éclatement de la bulle immobilière et une chute de près de 50 % de la bourse depuis 2021… Les nombreux événements de ces dernières semaines nous donnent l’occasion de faire le point sur le cheminement vers ce nouveau modèle.

La croissance chinoise a dépassé les attentes

Le 1er trimestre 2024 a été meilleur que prévu avec une croissance annualisée de +5,3 %, contre un consensus initial de l’ordre de 4,6 %. Cela donne de la crédibilité à l’objectif de 5,0 % annoncé par le gouvernement pour 2024. L’activité industrielle reste solide dans l’ensemble. L’investissement, en hausse de 4,5 % sur le 1er trimestre en rythme annuel, a été soutenu notamment par les dépenses publiques. La Chine veut accélérer ses investissements dans les industries de technologie avancée, ce qui créera du travail pour les jeunes diplômés qui endurent actuellement un taux de chômage très élevé de l’ordre de 20 % (désormais il n’y a plus de statistiques sur ce sujet). L’objectif du pays est de devenir autonome dans les secteurs de pointe pour s’affranchir des embargos décidés par les États-Unis, comme dans les semi-conducteurs par exemple. Le montant annuel des investissements ciblés vers ces secteurs est estimé à 1 600 Mds$, soit 20 % des investissements totaux du pays.

La consommation intérieure a en revanche déçu. Les ventes au détail n’ont progressé que de 3,0 % sur le 1er trimestre en rythme annuel. La confiance de la population est affectée par le recul de l’immobilier, qui constitue une grande partie de son patrimoine. Les ménages ont ainsi accumulé 1 200 Mds$ d’épargne au 1er trimestre 2024. L’immobilier reste en effet sous pression : les derniers chiffres font état d’une baisse de 9,5 % des investissements immobiliers par rapport à la même période de l’année dernière, avec une baisse des volumes de vente de près de 25 % alors que les prix des logements continuent à baisser, de 2 % à 5 % selon les catégories de ville.

En synthèse, la décomposition de cette croissance montre que la crise du secteur immobilier n’est pas finie et pèse sur la consommation domestique. Une stabilisation du secteur immobilier est donc nécessaire pour pouvoir envisager une reprise plus solide et davantage centrée sur la consommation, conformément à l’objectif du gouvernement. Rappelons que celle-ci ne représente que 37 % du PIB chinois contre près de 65 % aux États-Unis.

Vers un « Quantitative Easing » chinois ?

La dette chinoise vient d’être dégradée par Fitch. L’agence Moody’s l’avait déjà dégradée en décembre dernier. Effectivement, la dette accumulée ces dernières années, notamment dans le secteur immobilier, explique cette dynamique négative de notations. Les risques financiers s’accroissent, mais notons que la part de la dette chinoise détenue en dehors du pays est très faible, ce qui éloigne les risques systémiques à l’échelle internationale. La Chine a les moyens de résoudre elle-même ses problèmes et semble prête à adopter des mesures monétaires non conventionnelles. La dette totale chinoise, entreprises, régions et État avoisine 350 % du PIB, ce qui est par ailleurs comparable aux métriques occidentales.

Compte tenu de ce niveau de dette déjà très élevé, le gouvernement prévoit de limiter le déficit budgétaire à 3,0 % cette année, contre 3,8 % en 2023. En revanche, des mesures d’assouplissement de politique monétaire, dont certaines non conventionnelles, sont très probables cette année.

Même si le RMB est sous pression par rapport au dollar, il y a de la marge pour de nouvelles baisses des taux directeurs : le taux directeur à 1 an s’établit à 2,5 % alors que l’inflation est proche de 0 %. En outre, les discussions pour savoir si la PBoC (Banque populaire de Chine) se lancera dans une politique soutien quantitatif (« Quantitative Easing ») se sont intensifiées après la publication le 24 mars dernier d’une série d’extraits du discours du Président Xi Jinping dans lequel il a déclaré que la PBoC devrait progressivement augmenter ses opérations sur les obligations du gouvernement central (CGB, Central Government Bonds) dans le cadre d’opérations d’Open Market (OMO). Son discours initial a été prononcé lors de la conférence centrale sur le travail financier en octobre dernier, mais c’est la première fois que sa déclaration est rendue publique. Ce serait également la première fois depuis près de 20 ans que la Banque centrale (PBoC) pourrait être active sur le marché des obligations souveraines chinoises, dans le but de contrôler la partie longue de la courbe des taux et fournir des liquidités. Le rendement à 10 ans est actuellement de 2,2 %. Il est également possible d’abaisser le ratio de réserves obligatoires des grandes banques, actuellement à 10 %.

Adoption d’un plan de réforme pour les marchés boursiers : « Nine-Point Guideline »

Le Conseil des Affaires d’État a publié le 12 avril dernier des directives générales relatives aux marchés de capitaux. Cela montre que le gouvernement chinois est préoccupé par le niveau général de la bourse et souhaite des réformes pour améliorer la qualité et la transparence des marchés. Il s’agit de la troisième directive sur le marché des capitaux en deux décennies. Les deux précédentes fois avaient été suivies par un redressement de la bourse chinoise.

Cette version impose une réglementation stricte pour les entreprises entrant sur les marchés des capitaux, renforce la surveillance des sociétés cotées, des maisons de titres et des sociétés de gestion de fonds, intensifie la réglementation sur les radiations et renforce la surveillance des transactions à haute fréquence… En outre, les « points clés » qui avaient été mentionnés dans quatre documents de politique générale publiés par la Commission chinoise de réglementation des valeurs mobilières (CSRC) le 15 mars ont été réitérés : encouragement des sociétés cotées à verser des dividendes actifs et stables, à racheter leurs actions (et à les annuler).

Ces mesures visent à améliorer la transparence et la qualité des sociétés cotées afin de redonner confiance aux investisseurs et d’attirer à nouveau des capitaux stables sur le marché boursier.

Début de la saison de publication des résultats des entreprises cotées en Chine

En 2023, les bénéfices des entreprises chinoises cotées en Chine ont été mitigés avec une progression globale de 7 % sur l’ensemble de l’année. Les résultats de l’année dernière ont été affectés par les secteurs immobilier et des matières premières mais, en dehors de ces deux secteurs, les bénéfices ont augmenté de 15 %. Pour 2024, une progression d’ensemble de 16 % est attendue et, cette fois-ci, elle devrait être assez bien répartie tant au niveau des titres que des secteurs. Par ailleurs, les entreprises devraient distribuer davantage à leurs actionnaires sous forme de dividendes et de rachats d’actions. Avec 16 % de croissance bénéficiaire attendue et un PER(2) 2024 de l’ordre de 10, le profil rendement/risque des actions chinoises paraît très convenable en absolu, et également en comparaison des autres marchés.

En synthèse, la Chine se situe depuis 2/3 ans dans une phase de transition. La période mercantiliste des dernières décennies, qui a fait de la Chine l’usine du monde avec 31 % des capacités industrielles mondiales, se heurte désormais à une fermeté occidentale illustrée par les taxes douanières et les sanctions décidées par les États-Unis. Cela ne changera pas quel que soit le Président américain élu en novembre prochain. La Chine souhaite se développer par elle-même, en privilégiant le développement de ses technologies de pointe, l’économie verte, la consommation domestique, mais aussi la sécurité…

Cette voie nouvelle est intéressante, mais son implémentation paraît trop centralisée, plus bureaucratique et idéologique qu’avant. Elle est par ailleurs difficile à comprendre au vu des changements brutaux de règlementations décidés. Nous avons aussi le sentiment que l’esprit d’entreprise qui a fait le succès du pays ces dernières années décline, de même que la confiance des jeunes. Cette phase compliquée explique le dégonflement de la bulle immobilière et la baisse de la bourse.

Nous sentons néanmoins aussi qu’il y a désormais une volonté politique de résoudre ces problèmes de confiance en essayant d’abord de stabiliser l’immobilier, quitte à adopter des moyens non conventionnels de politique monétaire.

Sur le plan des marchés financiers, les réformes visent à redonner confiance et faire revenir en bourse les investisseurs institutionnels domestiques et aussi ménages qui disposent d’épargne très abondante. Les investisseurs internationaux suivront-ils ?