Coup de projecteur sur les comptes américains

par Philippe d’Arvisenet, directeur de la recherche et des études économiques de BNP Paribas

Les effets de la crise se manifestent avec une intensité accrue sur les comptes financiers américains. On met ici l’accent sur les ménages et les comptes extérieurs, le besoin de financement des premiers ayant été le principal vecteur du creusement du déficit des seconds. La correction du bilan des particuliers qui s’amorce et la poursuite de la hausse du déficit public modifieront cette configuration dans les prochains trimestres.

Les ménages

Le recours à l’endettement a continué à fléchir. L’encours de dette s’inscrit sur une pente de 2,2% en glissement annuel contre 5,7% en début d’année et 6,8% en 2007. C’est, sans surprise, la composante hypothécaire qui joue un rôle essentiel dans cette évolution. En termes de flux, les crédits hypothécaires sont entrés dans une zone de contraction (USD -10 mds au T2 et USD -258 mds au T3). La progression de l’encours de dette hypothécaire, de 5,4% début 2008 est tombée à 1,5% au T3.

Compte tenu du profil récent des flux de crédit net, on peut s’attendre à un repli des encours dans les prochains trimestres. La contraction de la distribution nette de crédit immobilier a été plus marquée que celle, déjà considérable, de la dépense en investissement résidentiel. De fait, jusqu’à fin 2007, les flux nets de crédits hypothécaires, qui comprennent les prêts accordés sur la base de la valorisation des actifs immobiliers (home equity loans…), dépassaient nettement les dépenses immobilières, apportant un fort soutien à la demande des ménages. Cette configuration s’est inversée début 2008, les crédits distribués devenant inférieurs à la dépense résidentielle, a fortiori avec l’entrée de la distribution nette de crédit en territoire négatif.

Cette évolution n’a aucunement débouché sur un recours accru au crédit à la consommation, d’ailleurs difficile à envisager au regard des résultats de l’enquête de la FED auprès des banques (le Senior Loan Officer Survey), qui a fait état tout à la fois de resserrements récurrents des conditions du crédit et d’une modération de la demande(1).

La croissance de l’encours du crédit à la consommation est revenue de 5,5% en g.a. fin 2007 à 3,5% au T3 2008, en liaison avec une chute de la production nette, passée de USD 120,3 mds au T1 à 91,7 au T2 et à 30,5 au T3. La baisse de la valeur des actifs touchant l’immobilier et les avoirs financiers a provoqué une détérioration du ratio de richesse/dette et richesse/revenu. La richesse immobilière, qui a augmenté de 14,8% en 2005 et de 2,5% en 2006, connaît une contraction qui est allée en s’accélérant (-1,9% en g.a. en 2007 et -9,8% en g.a. au T3 2008, -12,7% par rapport au pic de fin 2006). La part des actifs immobiliers en pleine propriété (net equity in homes), de 58,5% en 2005, est pour sa part tombée à 44,7% en septembre dernier.

La richesse financière a, quant à elle, diminué de 9,6% en g.a. Le recul le plus élevé touche les actions. Comme on l’avait déjà observé au début de la décennie, cela s’accompagne d’un coup d’arrêt aux ventes nettes d’actions détenues en direct. La richesse nette (actifs – dette) est revenue de 6,39 fois le RD fin 2006 à 5,29 fois au T3 2008.

Si les avoirs détenus sous forme de dépôts et parts de fonds monétaires affichent une croissance de 5,7% en g.a. (8,2% en 2007), la valeur des autres actifs financiers baisse de 12,2%, le total de la richesse financière chute de 9,6% en g.a. au T3. La valeur des actions détenues en direct baisse de 27,3 en g.a., celle des parts de fonds mutuels (hors monétaires) de 17,5%, les réserves des fonds de pension reculent de 11,5%.

La correction du bilan des ménages paraît ainsi clairement amorcée, l’évolution récente des crédits a conduit à un repli du ratio d’endettement (dette/RDB). Ce dernier, passé de 97,5% en 2000 à 139,3% fin 2006, est revenu à 136,4 au T3 2008, diminuant ainsi de 3 points par rapport au pic atteint il y a deux ans. La chute des actifs, le resserrement des conditions du crédit et la récession se conjuguent pour conduire à la poursuite de cette correction de l’endettement dans les prochains trimestres.

Les sociétés non financières

Les profits bruts des sociétés non financières générés au plan domestique ont poursuivi leur décrue dans les derniers trimestres. La contraction de 2,4% en 2007 s’est élevée à 7,8% en g.a. au T3. La croissance des profits réalisés à l’étranger, qui avait atteint 29% l’an dernier, est revenue à 3,5% en g.a. au T3, elle avait permis une légère hausse des profits des sociétés non financières en 2007, elle n’y parvient plus aujourd’hui (-7,1% en g.a. au T3 2008). Avec un recul sensible des impôts versés, en retrait de 9,6% sur les trois premiers trimestres 2008, et des dividendes stables, l’autofinancement n’a connu aucune dégradation. Le besoin de financement des sociétés est ressorti à 1,5 point de PIB sur trois trimestres.

Les acquisitions d’actifs financiers sont en chute libre (-65% sur trois trimestres), les rachats d’actions, qui avaient progressé régulièrement au cours des dernières années pour atteindre USD 831 mds en 2007, sont revenus à 394 mds en données annualisées sur les trois premiers trimestres 2008. Ces évolutions expliquent un très net tassement de la hausse de l’endettement (USD 966 mds en 2007, 523 mds en données annualisées sur les trois premiers trimestres 2008).

Les comptes extérieurs

Le déficit courant, après avoir connu une légère contraction en 2007 (USD 718 mds contre UDS 771 mds l’année précédente), s’est stabilisé depuis le début de l’année, il ressort en moyenne à USD 707 mds en données annualisées sur les trois premiers trimestres.

La progression des exportations a nettement dépassé celle des importations (14,9% en g.a. contre 11,71), le taux de couverture de ces dernières (exports/imports) s’est ainsi progressivement redressé (64,7% en 2005, 70,1% en 2007, 73,6% au T3 2008). Il reste que, par le jeu de l’effet de base (l’ampleur de l’écart entre les ventes et les achats à l’étranger), la différence entre l’essor des exportations et celle des importations n’a pas permis d’aller au-delà d’une simple stabilisation du déficit.

Les revenus versés à l’extérieur se contractent tout comme ceux reçus du reste du monde, leur solde demeure positif (USD 895,8 mds en données annualisées reçus contre USD 783 mds versés), et ce en dépit du creusement d’une position extérieure négative (l’écart entre les avoirs de l’étranger et les avoirs américains ressort à USD 3 458 mds au T3 2008 contre 2 880 mds fin 2007).

Le rendement apparent des avoirs américains à l’étranger continue à dépasser nettement celui des avoirs détenus par les non-résidents aux Etats-Unis. Cette configuration est liée à la différence de structure entre les avoirs américains sur l’étranger et les avoirs étrangers aux Etats-Unis, lesquels comportent une proportion élevée de produits de taux au premier rang desquels les Treasuries et les titres de GSEs(2).

Les sorties de capitaux se sont contractées de façon très sensible cette année, passant de USD 921,4 mds en 2007 à 167,8 mds en moyenne sur les trois premiers trimestres 2008 (données annualisées), ce qui a réduit le besoin de financement brut des Etats-Unis. Les achats nets au titre d’opérations de portefeuille (commercial paper, obligations, actions…) sont négatifs sur les trois premiers trimestres (USD -64,7 mds), en liaison avec les comportements de rapatriements. Les sorties au titre des IDE, en revanche, sont quasi stables (USD 300,2 mds sur trois trimestres (annualisés) contre USD 333 mds l’an dernier).

Contrepartie de la stabilisation du déficit courant et du repli des sorties de capitaux, les entrées sont en nette contraction : USD 825,4 mds en données annualisées sur trois trimestres contre 1 693,9 mds en 2007 et 1 831,1 mds en 2006.

La structure des entrées de capitaux s’est modifiée avec une place accrue prise par les achats de titres du Trésor (USD 215 mds en 2007, 641 en 2008 (3 trimestres annualisés)) en liaison avec la montée de l’aversion au risque. Les achats de Treasuries par les banques centrales sont passés de USD 58,9 mds à 349 mds. Les achats de titres des GSEs se sont repliés de USD 277,3 mds à 199 mds sur trois trimestres (-241 au T3), la part des banques centrales revenant de USD 236,3 mds à 199 mds sur trois trimestres (-58,3 au T3).

Les achats d’obligations corporate qui comprennent les ABS se sont effondrés, passant de USD 925 mds à 52,4 sur trois trimestres (-126,3 au T3), de même que les achats d’actions (176,4 en 2007, 32,5 sur les trois premiers trimestres 2008). Les entrées de capitaux au titre des investissements directs ont, en revanche, augmenté, passant de USD 237,5 mds à 354,6 mds.

La part des actifs financiers détenus par les non-résidents poursuit naturellement sa progression, elle a dépassé les 50% pour la dette fédérale (50,42% à la fin du T3 contre 47,7% fin 2007 et 32,2 en 2003). La part des non-résidents dans l’encours des titres de GSEs ressort à 19,8% (21,2% fin 2007 et 11% en 2003), celle des obligations corporate détenues par l’étranger atteint 25,04% (contre 24,6% l’an dernier et 18,9% en 2003), la part des actions ressort à 11,2% (contre 10,9 l’an dernier et 10,1% en 2003).

NOTES

(1) Pour plus de précisions, voir P. d’Arvisenet : Editorial de Conjoncture-Taux-Change, décembre 2008.

(2) Les Treasuries, GSEs, corporate bonds représentent 45% des actifs des non-résidents aux Etats-Unis, les instruments comparables n’entrent qu’à hauteur de 15% dans les actifs étrangers détenus par les Américains.