Crise = opportunité ?

par Jean-Marie Mercadal, Directeur Général Délégué en charge des gestions chez OFI AM

Nous faisons référence au fameux idéogramme chinois, où le signe graphique qui représente le concept de crise signifie également opportunité. Le mois d’octobre a été rude. Les investisseurs sont confrontés à une phase boursière anxiogène, pour de multiples raisons que nous avions évoquées lors de notre publication d’octobre : la volatilité des marchés avait ainsi été un peu oubliée après plusieurs années de soutien des Banques Centrales et une année 2017 haussière en « ligne droite »… Comme à chaque consolidation un peu sévère, le moral des investisseurs flanche… alors que se profilent probablement des opportunités…

Le mois d’octobre s’achève enfin ! C’est une bonne nouvelle pour les investisseurs ! Sur les actions américaines, il s’agit du pire mois d’octobre depuis 2008 et l’un des pires mois depuis 10 ans avec un repli, du plus haut au plus bas, de près de 10 % de l’indice S&P 500 et de 14 % de l’indice Nasdaq riche en valeurs technologiques. Les actions européennes ont également perdu en extrême près de 10 %. Et à l’intérieur des indices, nous avons assisté à un mouvement de rotation sectorielle très violent, à deux niveaux : forte baisse des valeurs sensibles à une remontée des taux d’intérêt, avec en corollaire une reprise des secteurs défensifs « visibles », et parallèlement, une désaffection des valeurs « cycliques ». Les petites et moyennes valeurs ont également été très pénalisées avec des replis de plus de 20 % en Europe.

Ce contexte très tourmenté a sérieusement affecté les sociétés de gestion qui ont été confrontées à de grosses vagues de ra- chats : les derniers chiffres issus de « Morningstar » montrent que les investisseurs ont procédé à des retraits pour près de 85 Mds$ des fonds actions au troisième trimestre. Les sociétés de gestion cotées ont vu leurs capitalisations boursières perdre de 20 à 30 % dans l’ensemble, ce qui ne paraît pas incohérent au vu des performances affichées : à ce jour, et surtout après octobre, les résultats d’ensemble des gérants ne sont pas satisfaisants. La part de fonds qui surperforment figure parmi les plus bas niveaux depuis 2001, avec en Europe seulement 31 % des fonds en surperformance. Sur la catégorie actions françaises la statistique est encore pire avec seulement 13 %, et 25 % pour les actions américaines. La moyenne des fonds diversifiés d’allo- cation flexible affiche une performance très décevante de près de – 4,6 % entre le début de l’année et fin octobre.

Pourquoi une correction aussi violente ?

Les investisseurs sont confrontés depuis quelques mois à une multiplication de facteurs d’incertitudes – que nous avions déjà évoqués à plusieurs reprises dans ces colonnes – mais au bout d’un moment l’accumulation finit par provoquer des réactions très vives : guerre commerciale, situation politique très compliquée en Europe (Brexit, Italie…), fin des politiques monétaires ultra accommodantes… Mais, fait nouveau, la saison de publication des résultats des entreprises, si elle n’a pas été mauvaise dans l’ensemble, a mis en évidence quelques « pro- fit warnings » et également des doutes sur les « guidances », c’est-à-dire les perspectives données par les chefs d’entreprises. Sommes-nous dès lors dans une logique d’auto-réalisation, avec la baisse de visibilité liée au contexte global qui pèse sur la confiance des investisseurs et des chefs d’entreprise ? Les marchés nous annoncent-ils un « hard landing », c’est à dire une forte contraction de l’activité ?

Les instituts de conjoncture internationaux comme l’OCDE et le FMI ont révisé à la baisse leurs perspectives de croissance mondiale. Pour l’instant, cette révision est modérée, passant de 3,9 % à 3,7 % mais avec la mise en évidence de risques potentiels plus importants, surtout si la guerre commerciale s’intensifie. Nous notons par ailleurs une divergence de plus en plus manifeste entre les États-Unis et le reste du monde.

La Chine serait en première ligne sur le sujet de la guerre commerciale alors que la croissance du pays suscite des interrogations.

Mi-octobre, les autorités sont intervenues pour stimuler l’activité en annonçant un assouplissement monétaire alors que les statistiques officielles annonçaient un taux de croissance de 6,5 %, ce qui reste convenable. Mais les marchés doutent de ces statistiques officielles et considèrent que si des mesures de soutien sont prises, c’est qu’il y a un problème. La zone Euro pose aussi question. Les dernières enquêtes de conjoncture ne sont pas encourageantes. L’indice PMI manufacturier d’octobre en Allemagne est au plus bas depuis 3 ans. Ce ralentissement de l’activité observé dans toute la zone s’explique par la faiblesse des nouvelles commandes, notamment à l’exportation. Et la consommation risque de ralentir dans les prochains mois sous l’effet de la hausse des prix de l’énergie. Au final, la croissance pourrait avoir du mal à atteindre 2,0 %, contre près de 2,5 % attendu en début d’année. Nous sommes cependant, là aussi, loin d’une récession.

Il n’y a donc finalement qu’aux États-Unis où les indicateurs d’activité restent robustes avec une croissance de 3,5 % au troisième trimestre. La dynamique reste forte : 250 000 emplois créés encore en octobre, avec une hausse du salaire horaire de 3,1 %, ce qui porte le taux de chômage proche des plus bas historiques à 3,7 %. L’issue des élections de Mid Term donne une répartition des pouvoirs entre les deux chambres. Il s’agit du scénario attendu qui n’a pas provoqué de réaction négative sur les marchés. C’est une situation presque idéale qui pourrait limiter les velléités quelquefois imprévisibles de Donald Trump sans remettre en cause les acquis des baisses d’impôt et des mesures de soutien de l’économie. Donald Trump risque d’être ainsi limité dans son action domestique. Il peut se focaliser sur la politique étrangère, et les sujets susceptibles de peser ne manquent pas : Iran, Corée du Nord, « guerre commerciale vis-à-vis de la Chine… », les signaux envoyés sont pour l’instant contradictoires et la réaction des marchés est vive à chaque déclaration, ce qui montre qu’il s’agit d’un sujet majeur de préoccupation. La rencontre entre le Président américain et son homologue chinois le 30 novembre prochain lors du sommet du G20 à Buenos Aires sera très importante : soit une voie de négociation plus constructive s’ouvre, soit Donald Trump peut en profiter pour dénoncer les avantages actuels et le manque de réciprocité de la Chine et appliquer unilatéralement 25 % de taxes sur les importations chinoises aux États-Unis. Cette éventualité appellerait probable- ment des mesures de rétorsion (dévaluation du Yuan, blocages administratifs pour les affaires avec les États-Unis…). Dans ce cas, les réactions en chaîne sur l’économie et les autres pays émergents seraient négatives. Nous continuons à penser que la raison devrait l’emporter et que personne n’a vraiment intérêt à s’engager dans une spirale négative. À suivre.

Enfin, à ces problématiques de fond s’ajoutent les risques conjoncturels consécutifs à la hausse du pétrole. Le cours du baril a plus que doublé lors des 18 derniers mois, ce qui peut avoir un impact. Aux cours actuels, autour de 70 USD le baril, il se situe dans une zone « neutre » idéale qui préserve les intérêts des pays producteurs et qui ne devrait pas trop pénaliser les pays consommateurs. Mais il y a un risque à la hausse du fait de la conjonction d’un certain nombre de facteurs : embargo américain vis-à-vis de l’Iran, problèmes de distribution et de qualité sur le pétrole de schiste aux États-Unis…

Si la macroéconomie donne donc des signes de tassement, mais toutefois pas de récession, les nouvelles provenant de la micro-économie donnent désormais un panorama plus modéré : les résultats d’ensemble publiés par les entreprises restent globalement bons mais il y a eu plusieurs « profit warnings » et les « guidances » apparaissent plus prudentes. Aux États-Unis, le bilan trimestriel s’avère satisfaisant : près de 80 % des entreprises qui ont publié leurs résultats ont dépassé les attentes des analystes, avec une progression moyenne des bénéfices de 23,5 % et des chiffres d’affaires en progression de près de 9 %. Mais il convient de remarquer que ces nouvelles étaient déjà intégrées dans les cours. Les entreprises qui ont battu les attentes ont vu leurs cours de bourse stagner dans l’ensemble alors que celles qui ont déçu ont enregistré une sous performance médiane de l’ordre de 5 %, avec quelquefois des replis de l’ordre de 20 %. Les investisseurs semblent donc douter des perspectives futures, les marges bénéficiaires pouvant être affectées par la hausse des coûts de production, la hausse des taux… Pour l’instant, les analystes anticipent une progression de l’ordre de 9 % des bénéfices des entreprises de l’indice S&P 500 en 2019. En Europe, l’image diffère légèrement jusqu’à présent et reflète la dynamique moins porteuse : 40 % seulement des entreprises qui ont publié battent les attentes. Pour l’ensemble de l’année 2018, les bénéfices ont été révisés à la baisse et nous attendons une progression en masse de 5 % des bénéfices contre près de 10 % initialement. Pour l’année prochaine, les perspectives restent positives avec + 10 % mais les marchés semblent en douter pour l’instant.

Quel scénario envisager ?

Les marchés craignent donc un « scénario noir », qui combinerait ralentissement économique, hausse de l’inflation, fin des politiques monétaires accommodantes et, de ce fait, hausse des taux d’intérêt. Mais le pire n’est pas certain. Chacun des facteurs de risque pris individuellement a une probabilité d’occurrence qui est largement inférieure à 50 % d’après nos analyses. Concernant la « guerre commerciale », nous avons le sentiment que la raison l’emportera comme expliqué ci- dessus. En Europe, les élections européennes risquent d’être difficiles pour les partis pro-européens, mais c’est probablement déjà dans les cours. Le cas de l’Italie retient l’attention actuellement. Au vu des derniers sondages, c’est la Ligue du Nord qui progresse au détriment du mouvement « 5 étoiles », plus franchement hostile à la rigueur budgétaire prônée par Bruxelles. Le scénario qui nous semble le plus probable est celui d’un échec de la coalition actuelle avec, à terme, une nouvelle coalition formée par la Ligue du Nord et le parti de centre droit. Au final, un attelage plus libéral économiquement et attaché à rester dans la zone Euro. En attendant, il risque d’y avoir beaucoup de volatilité sur la dette italienne au cours des prochains mois, mais il y aura un bon moment pour l’acheter – car nous ne pensons pas que le scénario d’éclatement de l’Euro se produise, même si il y aura une représentation populiste antisystème accrue au sein du nouveau parlement européen.

Reste la question des taux d’intérêt…

Taux d’intérêt : comment investir dans un environnement de fin de politiques monétaires ultra accommodantes ?

– Réduire les durations.

S’il n’y avait pas eu l’épisode de la crise italienne en zone Euro, la logique aurait voulu que le rendement du Bund 10 ans se situe autour de 0,75 %, niveau atteint en début d’année d’ailleurs. En effet, la normalisation en cours de la politique monétaire et les conditions économiques justifient un tel niveau. La BCE a annoncé la fin de son programme d’achat de titres à partir de l’année prochaine. Les taux directeurs ne devraient cependant pas être modifiés dans les prochains mois et l’Eonia restera en territoire négatif. Aux États-Unis, la Fed annoncera probablement un nouveau relèvement des Fed Funds de 25 pb en décembre (actuellement à 2,00 %/2,25 %). Les marchés attendent 3 ou 4 hausses supplémentaires en 2019 et la fin du cycle de resserrement est prévu pour le courant 2020, avec des Fed Funds autour de 3,25 %/3,50 %. À moins d’une rechute claire en ralentissement/récession, il nous semble donc inéluctable d’atteindre des niveaux de taux longs plus « normaux » dans les prochains mois. Peut-être après les élections européennes pour ce qui est de la zone Euro ? Le cas est un peu différent aux États-Unis. Les rendements obligataires ont déjà remonté parallèlement à la croissance et au durcisse- ment monétaire opéré par la Fed. Le 10 ans T-Notes américain se stabilise désormais entre 3,00 % et 3,20 %. La logique historique de ces 30 dernières années voudrait qu’il soit proche du niveau des Fed Funds à la fin du cycle actuel, soit autour des niveaux actuels selon les « futures » de marché, soit plutôt autour de 3,50 % selon la moyenne des prévisions des membres de la Fed, et ce à horizon mi-2020. Rien de bien dangereux selon nous pour les marchés : on semble loin d’un « krach » obligataire. Il convient cependant de conserver des sensibilités modérées à ce stade à notre avis.

Trouver des poches de sous-valorisation. Difficile sur le crédit « Investment Grade ». Si les spreads(1) ont remonté, ils ne nous semblent pas encore assez attractifs pour immuniser contre le risque de sensibilité à la remontée des taux d’intérêt. La thématique des obligations indexées contre l’inflation nous semble intéressante, surtout que les « breakevens(2) » ont rebaissé sensiblement en zone Euro, autour de 1,30 % à 10 ans en Allemagne et en France et moins de 1,00 % en Italie. Il convient de s’y positionner dans une perspective de moyen terme.
Concernant les obligations européennes « High Yield », nous attendions un écartement supplémentaire de 50 points de base avant de repasser franchement positif. Il s’est produit en octobre. Nous pouvons désormais construire des portefeuilles bien diversifiés sur ce segment avec un rendement supérieur à 5,00 % à horizon 5 ans, ce qui nous semble attractif.
De même, nous considérons que nous sommes « également bien rémunérés » pour le risque sur les obligations émergentes en devises locales. Elles ont bien résisté en octobre, les principales devises s’étant stabilisées dans l’ensemble. Le Réal brésilien a même progressé avec l’élection du nouveau Président car son programme libéral séduit les marchés. De nombreux spécialistes considèrent que les monnaies émergentes restent sous-évaluées globalement. Le rendement est élevé à près de 8,50 % sur un panier équilibré de dettes gouvernementales de près de 5 ans de maturité. Les obligations convertibles semblent encore intéressantes pour leur convexité plus que pour les rendements offerts. Par ailleurs, la volatilité implicite(3) a remonté à près de 30 en Europe mais se situe plutôt dans des bas de fourchette depuis quelques années, et s’explique par les flux qui sont sortis cette année de la classe d’actifs.

Actions : faut-il acheter franchement maintenant ?

Après une correction de plus de 10 % depuis les plus hauts niveaux de l’année, les valorisations des actions – et particulièrement européennes – nous semblent attractives, en absolu et également en comparaison des autres classes d’actifs. D’ailleurs, et en dépit de la hausse de la volatilité de ces dernières semaines, les modèles d’allocation que nous utilisons n’ont pas réduit la part des actions. Le PER(4) 2018 de l’indice S&P 500, c’est-à- dire sur des résultats désormais pratique- ment connus, est à moins de 17, celui de 2019 est à 15,5 avec une progression des résultats de près de 9 % attendue pour l’année prochaine. Cela reste historique- ment très convenable. En Europe, ces chiffres s’établissent respectivement à 13,7 et 12,5, avec un rendement des dividendes qui a monté à 3,7 % désormais.

Si notre scénario se déroule, il convient de privilégier les valeurs qui bénéficieraient d’une tension modérée des taux obligataires et qui sont très décotées actuelle- ment : banques européennes, automobile, certaines industrielles…
Globalement, nous restons toutefois encore neutre sur les actions car la phase de correction actuelle peut durer et l’appétit des investisseurs semble encore modéré. Nous passerions franchement à l’achat si des replis supplémentaires de 5 % à 10 % se produisaient, particulièrement sur les actions européennes qui sont très peu détenues actuellement par les investisseurs internationaux.
Enfin, nous réitérons notre vue positive sur l’or, qui a nettement sous-performé les autres actifs financiers ces derniers mois, et qui pourrait bénéficier de la conjonction d’un certain nombre de facteurs positifs : stabilisation, voire baisse du dollar, remontée de l’inflation et tensions politiques.

Notre scénario central

Nous sommes passés de positif à neutre sur les actions en mai dernier. Depuis, les indices ont perdu près de 10 % en Europe. Il y a beaucoup d’éléments de risques, mais qui sont à notre avis partiellement intégrés dans les cours et les valorisations d’ensemble des actions sont très convenables. Nous avons donc failli repasser positifs ! Nous pensons cependant que la phase de volatilité et de consolidation peut durer encore quelques semaines.

Au final, nous voyons une situation de marché un peu « classique » de consolidation qui est davantage liée à des craintes de ralentissement économiques et financières que systémiques. Un scénario du type été 2015/février 2016 nous semble possible. À cette époque, les actions avaient consolidé de près de 20 % en extrême en Europe et de près 10 % aux États-Unis… avant de reprendre un chemin haussier.

NOTES

  1. Spread : écart de taux
  2. Le « Breakeven » inflation représente la différence de rendement entre une obligation classique (taux nominal) et son équivalente indexée sur l’inflation (taux réel).
  3. Volatilité implicite : elle traduit les anticipations des acteurs du marché sur les amplitudes de variations à venir.
  4. PER : Price Earning Ratio. Indicateur d’analyse boursière : capitalisation boursière divisée par le résultat net.