Coder, construire et recommencer

par Chris Iggo, CIO for Core Investments, AXA IM – Part of BNP Paribas Group

Cette année, les rendements boursiers supérieurs à 20 % sont monnaie courante dans le monde entier. Aux États-Unis, le S&P 500 est en passe d’enregistrer une troisième année consécutive de rendements supérieurs à 20 %, avec potentiellement plus de 10 000 milliards de dollars ajoutés à sa capitalisation boursière. Sur le papier, cela représente une nouvelle richesse considérable. De nombreux nouveaux investissements ont également lieu grâce à l’essor de l’intelligence artificielle (IA). En outre, la baisse des taux d’intérêt complète le trio des facteurs qui stimulent la croissance américaine. Elle n’est pas équilibrée, mais elle ne ralentit pas non plus.

  • Thèmes macroéconomiques clés – L’essor de l’IA devient de plus en plus dominant
  • Thèmes clés du marché – La croissance des bénéfices des entreprises américaines est très forte

Facteurs raffinés – Il y a quelques semaines, j’écrivais au sujet des trois principaux moteurs de la croissance économique américaine : l’effet de richesse, les conditions de crédit favorables et une politique budgétaire globalement favorable. Aujourd’hui, je nuancerais un peu mes propos. L’essor de l’IA mérite d’être considéré séparément, car il constitue un facteur déterminant de l’effet de richesse, là où la politique économique reste favorable. Cette dernière reflète une politique monétaire et budgétaire accommodante, contrairement à ce que je qualifierais de politiques « America First » qui reflètent la polémique de l’Administration actuelle. Cette semaine, l’accélération de l’IA, la politique monétaire favorable et l’effet de richesse ont tous été au centre de l’attention.

Période de forte croissance – Les entreprises tech américaines ont publié leurs résultats du troisième trimestre (T3) cette semaine et confirment que la vague d’investissements dans l’IA ne montre aucun signe de ralentissement. Plusieurs hyperscalers ont laissé entendre que les dépenses d’investissement devraient encore augmenter afin de garantir que la capacité suive le rythme de la demande croissante pour les produits d’IA. Certains signes ont montré que les investisseurs étaient quelque peu inquiets par la perspective de dépenses toujours plus importantes au cours des prochains trimestres, même si les résultats ont globalement dépassé les attentes. La grande question reste de savoir si les bénéfices futurs justifieront les sommes colossales dépensées aujourd’hui. Les différences dans les réactions des cours boursiers aux annonces de résultats ont mis en évidence à quel point le sentiment des investisseurs est très sensible à l’équilibre entre la nécessité d’investir et la réalisation de bénéfices futurs.

Investir pour perturber – Les chiffres des dépenses d’investissement sont colossaux. Les huit plus grandes valeurs du S&P 500 dépensent des montants équivalents à près de 10 % de l’investissement privé total en capital fixe enregistré dans les comptes nationaux. Il ne s’agit pas d’une comparaison stricte ici, mais près d’un dollar d’investissement sur dix est dépensé par les grandes entreprises technologiques (dont certaines se trouvent bien sûr en dehors des États-Unis). Meta a déclaré 18 milliards de dollars de dépenses d’investissement au T3, Microsoft plus de 19 milliards et Alphabet, la maison-mère de Google, près de 24 milliards. Il est difficile de sous-estimer l’impact de ces dépenses sur les chaînes d’approvisionnement et sur l’économie en général. Le message était toutefois clair : les dépenses d’investissement sont nécessaires pour augmenter la capacité afin de répondre à la demande en IA grâce aux produits existants et nouveaux. Les dépenses dans les centres de données, le matériel informatique, les sources d’énergie, et autres, constituent un atout considérable pour la croissance économique globale. 

Dépenses de trésorerie et emprunts – Ces entreprises disposent de beaucoup de liquidités à dépenser. Selon Bloomberg, les réserves combinées de trésorerie et d’équivalents de trésorerie des huit premières valeurs s’élevaient à environ 500 milliards de dollars à la fin du T3. Lorsqu’on génère le type de revenus que ces entreprises réalisent, il n’est pas surprenant que les liquidités s’accumulent. Elles n’ont généralement pas non plus beaucoup de dettes par rapport au total de leurs actifs et de leurs revenus. Mais cela pourrait commencer à changer. Meta a annoncé jeudi qu’elle empruntait 30 milliards de dollars sur le marché obligataire américain des obligations d’entreprises, répartis en six tranches de maturité différentes. La course à l’IA implique davantage de dépenses en capital, qui doivent être financées. Le montant total de l’émission obligataire aurait dépassé 125 milliards de dollars. Les investisseurs obligataires souhaitent profiter, sous forme de paiements de coupons, des revenus anticipés qui seront générés par toutes ces dépenses d’investissement. Voici une question : le coupon de 5,75 % à échéance 2065 est-il aujourd’hui un meilleur pari que l’action Meta, qui offre un rendement de dividende de 0,3 % (en hausse de 38 %) ?

S’enrichir – Même si les annonces de certaines entreprises technologiques ont suscité des réactions mitigées sur les marchés boursiers, octobre a été un nouveau bon mois pour l’indice, qui est en passe d’enregistrer un rendement total de 2 %. Au cours des cinq dernières années, le mois de novembre a généré un rendement total supérieur à 5 % à quatre reprises. La capitalisation boursière des dix principales actions de l’indice a augmenté de plus de 5 000 milliards de dollars en 2025. C’est une excellente nouvelle pour l’épargne américaine placée dans les plans de retraite et les comptes de courtage. Mais, ces gains ne sont bien sûr pas répartis de manière uniforme, et les Américains ne sont pas pour autant enthousiastes. L’organisme de recherche Conference Board a indiqué que son indice de confiance des consommateurs avait légèrement baissé en octobre ; l’indice des attentes s’établissant à 71,5 contre 91,9 il y a un an. Pour ceux qui gagnent plus de 125 000 dollars par an, l’indice de confiance a toutefois nettement progressé en octobre, tandis qu’il a baissé pour les ménages dont les revenus sont inférieurs à 50 000 dollars.

Pause sur les taux et les rendements ? – Sur le plan politique, la Réserve fédérale américaine (Fed) a répondu aux attentes du marché en abaissant les taux de 25 points de base (pb) pour les situer dans une fourchette de 3,75 % à 4,0 %, soit le niveau le plus bas du taux des fonds fédéraux depuis trois ans. La Fed opère sans disposer de données officielles, ce qui accroît l’incertitude quant aux prochaines décisions de politique monétaire. Deux voix dissidentes se sont élevées lors du vote : l’une en faveur du maintien des taux inchangés et l’autre en faveur d’une baisse de 50 pb. Le président de la Fed, Jerome Powell, a lui-même déclaré qu’une baisse en décembre (anticipée par les marchés) n’était pas acquise d’avance. En conséquence, les prix des obligations ont légèrement baissé cette semaine, le rendement des bons du Trésor à 10 ans remontant à 4,1 %. Alors que le marché s’attendait par défaut à un taux terminal de 3 % à atteindre fin 2026, l’incertitude sur l’évolution des taux directeurs devrait se traduire par une prime de terme plus élevée dans la courbe des taux.

L’histoire de l’IA pourrait également entraîner des risques haussiers sur les rendements obligataires. À long terme, l’IA pourrait avoir un effet désinflationniste, compte tenu de son potentiel à améliorer la compétitivité et à perturber les marchés du travail. Mais si les investissements dans l’IA exigent davantage de capitaux et créent une demande accrue tout au long de la chaîne d’approvisionnement, l’effet pourrait être inverse. Les obligations ont bien performé depuis mai ; une certaine stabilisation pourrait désormais être nécessaire, compte tenu du manque de données de référence pour le trading macroéconomique et des commentaires de Powell concernant la décision de taux de décembre.

Monstres effrayants (et super monstres) – Halloween est là. Si vous voulez vous faire peur, regardez le graphique ci-dessous, repéré sur LinkedIn cette semaine. Il compare l’indice des indicateurs économiques avancés du Conference Board américain aux périodes de récession et à l’indice Dow Jones Industrial Average. L’indice des indicateurs avancés est publié depuis 1959 et comprend notamment la pente de la courbe des taux du Trésor, les données sur les nouvelles commandes manufacturières, les demandes d’allocations chômage et la croissance du crédit. L’IA pourrait changer les règles, mais une interprétation de ce graphique suggère que nous pourrions connaître une récession et une correction boursière. Pour paraphraser le chant des sorcières dans Macbeth de Shakespeare : « double, double toil and trouble. Artificial intelligence and a stock market bubble »1.

Source : Refinitiv Datastream – 30 octobre 2025

NOTE

1 « Double, double peine et trouble. Intelligence artificielle et bulle boursière bouillonnent ».